ESTUAIRE DE LA LOIRE CORRESPONDANCE
C’est Anne Auffret, maire divers gauche de Donges (Loire-Atlantique) fraîchement élue, qui rapporte la scène. Dimanche 16 mars, elle supervise le scrutin de l’élection cantonale. Dans la soirée, des représentants de la raffinerie Total implantée sur la commune font irruption lors du dépouillement pour révéler qu’un « petit incident » s’y est produit. Une fuite, survenue sur une canalisation lors du chargement d’un cargo à quai, a provoqué un déversement de fuel. « Les porte-parole de Total n’étaient pas du tout alarmistes, relate Mme Auffret. Ils nous ont dit : »Ne vous inquiétez pas, on gère.« »
Une semaine plus tard, le « petit incident » est loin d’être résorbé. Plus de 400 tonnes de fuel lourd se sont échappées de la raffinerie. Une grande partie s’est déversée dans l’estuaire de la Loire, provoquant une minimarée noire et la colère de toute une région, excédée de voir que les leçons de l’Erika ne sont toujours pas tirées.
Ce week-end, les importants coefficients de marée et de fortes rafales de vent ont encore compliqué la tâche des quelque 500 hommes mobilisés pour les opérations de nettoyage. Les autorités se veulent cependant rassurantes : les principales nappes auraient été pompées. Mais la commune de Paimboeuf, la plus touchée par la pollution, voit régulièrement apparaître de nouvelles nappes d’hydrocarbures, avec leurs effluves entêtants.
Les communes de Saint-Brévin, Saint-Nazaire, la Plaine-sur-Mer et Préfailles sont également frappées. La centrale électrique de Cordemais, dans l’impossibilité de puiser de l’eau dans la Loire pour alimenter son circuit de refroidissement, a stoppé momentanément sa production. Plus d’une centaine de pêcheurs professionnels sont bloqués à quai, la pêche dans l’estuaire demeurant interdite jusqu’à nouvel ordre.
« On n’a même pas encore perçu les indemnisations de la précédente pollution de 2006, lorsque deux butaniers étaient entrés en collision, qu’il en arrive une nouvelle, fulmine Louis Vilaine, président du syndicat des marins pêcheurs de l’estuaire. C’est écœurant. »
Les pouvoirs publics, qui avaient annoncé dans un premier temps que le chantier de dépollution serait achevé pour le week-end pascal, reconnaissent aujourd’hui que les opérations de ramassage devraient se prolonger « sans doute dix à quinze jours supplémentaires ».
François de Rugy, député (Verts) de Loire-Atlantique, a demandé la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la sécurité des installations portuaires en France. « Il y a eu toute une chaîne de dysfonctionnements à Donges, relève-t-il. On peut se poser des questions sur la qualité des infrastructures, leur niveau de maintenance, mais aussi les procédures d’alerte en vigueur. »
Les causes de l’accident demeurent indéterminées. L’enquête interne diligentée par Total n’a débuté que le 20 mars. Tout juste sait-on que la canalisation défectueuse datait de 1972. « Selon la version de Total, la fuite aurait duré près de trente minutes, souligne Jacky Bonnemains, président de l’association environnementale Robin des bois. Un tel délai pour détecter une anomalie, en plein cœur d’un site classé Seveso, est aussi inquiétant qu’aberrant. »
« Nous avons 20 000 à 30 000 kilomètres de tuyaux au sein de la raffinerie, rétorque le service communication de Total, à Donges. Il était difficile d’identifier plus vite le point défectueux. »
Bernard Garnier, adjoint (Verts) au maire de Saint-Nazaire, chargé de l’environnement, déplore « le manque de transparence » de Total. « On a facilement perdu douze heures avec la mauvaise gestion de la crise », affirme-t-il.
Sur une large partie de l’estuaire, roselières, vasières, marais et prairies ont été touchés. Les spécialistes redoutent un pic de mortalité chez les oiseaux (tadornes, bécasseaux) d’ici à une dizaine de jours. « La raffinerie côtoie l’estuaire, site classé Natura 2000 en raison de la richesse de son écosystème, reprend M. Garnier. Dans un milieu aussi fragile, le maximum de précautions s’impose au moindre incident. »
Michel Bahurel, maire socialiste de Paimboeuf, a porté plainte contre Total pour le préjudice écologique subi par sa commune et la perte d’image de marque. Samedi 22 mars, quelque deux cents personnes ont manifesté à Saint-Nazaire contre le groupe pétrolier.
Les excuses présentées par celui-ci et la promesse de prendre en charge les dépenses générées par la pollution n’y ont rien changé.