Que demandent les manifestants tibétains de Lhassa ?
D’après les images un peu confuses diffusées à la télévision et d’après les informations que nous avons en provenance du Tibet, nous sommes face à un mouvement quasi insurrectionnel. Au départ, c’est la commémoration de l’arrivée des troupes chinoises au Tibet en 1959 qui a déclenché la manifestation. Ces commémorations ont lieu tous les ans. En 1988, elles avaient été très violentes et s’étaient terminées par l’imposition de la loi martiale. En 1989, les autorités chinoises y avaient répondu par une répression féroce. Nous avons peu d’informations sur ce qui a provoqué l’escalade cette année. Ma sensation, c’est que les Tibétains se sont dit : si on ne s’exprime pas cette année en 2008, avant les Jeux olympiques, on ne va jamais être entendus. C’est une stratégie à double tranchant. D’un côté, c’est le moment béni pour se faire entendre, parce que la communauté internationale n’a jamais été aussi attentive à ce qui se passe en Chine. Mais d’un autre côté, c’est le moment où le gouvernement chinois est le plus nerveux et hésitera le moins à réprimer violemment pour que cela s’arrête le plus vite possible. Ces manifestations montrent l’ampleur du désespoir des Tibétains, qui savent que c’est maintenant ou jamais.
Quelles sont les relations actuelles entre Pékin et le gouvernement tibétain en exil à Dharamsala ? La Chine peut-elle infléchir sa position vis-à-vis du Tibet ?
Nous sommes face à un dialogue de sourds. Depuis plus de vingt ans, le dalaï-lama répète qu’il ne demande pas l’indépendance, mais l’autonomie. Et à chaque fois, les autorités chinoises répondent : « Nous ne pouvons pas recevoir le dalaï-lama car il réclame l’indépendance. » C’est proprement surréaliste. Les Chinois font semblant de ne pas entendre ce que dit le dalaï-lama. Les relations « diplomatiques » ont repris en 2002, et il y a eu de nouveaux pourparlers, non pas avec le dalaï-lama, qui n’est toujours pas autorisé à rentrer en Chine, mais avec des membres de sa famille et avec des ministres du gouvernement en exil. Mais tant que le gouvernement chinois accusera les Tibétains de vouloir la sécession, les choses ne pourront pas bouger.
Qu’est-ce qui pourrait débloquer la situation ?
La seule chose qui pourrait débloquer la situation serait une unité politique mondiale et cohérente de l’ensemble des nations démocratiques, ou du Conseil de sécurité de l’ONU, ou encore d’un organisme international comme l’OMC. S’il n’y a pas une pression qui s’exerce fortement au niveau international sur la Chine, la situation peut rester telle quelle pendant encore cinquante ans. C’est le jeu du gouvernement chinois que de faire traîner la situation aussi longtemps que possible, de façon à garder la mainmise totale sur cette région pseudo-autonome.
Le boycottage des Jeux olympiques reste-t-il un moyen de pression efficace, bien que le dalaï-lama s’y soit opposé ?
Si la demande est formulée clairement, pourquoi pas ? Le boycottage des Jeux olympiques serait un outil très puissant s’il est très bien ciblé. Mais j’imagine mal le CIO ou les sportifs s’organiser pour formuler des demandes politiques. Ce n’est pas tout à fait leur rôle. C’est un problème qui relève des Etats, et c’est à eux d’assumer leur responsabilité.
Les manifestations tibétaines commencent à se répandre dans d’autres provinces limitrophes, comme le Gansu, le Sichuan ou le Qinghai. Peut-on s’attendre à un embrasement régional ?
La région autonome du Tibet administrative, telle qu’elle est définie par les Chinois, ne correspond pas du tout à la superficie du Tibet historique, telle qu’elle est définie par les Tibétains. On trouve des ethnies tibétaines qui vivent dans toutes ces provinces de Chine – Qinghai, Gansu et Sichuan – donc loin, très loin même, des limites administratives du Tibet. D’un côté, ça ne peut qu’embarrasser terriblement le gouvernement chinois de se trouver en face d’un tel soulèvement quelques mois seulement avant l’ouverture des JO. Mais d’un autre, je ne suis pas sûre que ces protestations aient un effet. Les Tibétains sont tellement minoritaires dans leur région par rapport aux Hans [ethnie majoritaire en Chine], ils sont dans une telle position de faiblesse par rapport à l’armée chinoise, que je vois mal comment ils pourraient échapper à une répression musclée.