Darcos réac et fier de l’être
L’annonce, par Xavier Darcos, d’une énième réforme de l’école primaire semble fasciner Le Figaro. Au point d’y revenir à trois reprises dans le seul numéro de jeudi 21 février ! D’abord, un article détaillant les mesures. Puis, une page entière consacrée au portrait – fort complaisant, cela va sans dire – de « Xavier Darcos, “réac” et fier de l’être ». Et, enfin, en pages « Opinions », sous le titre : « Darcos, 68 et les hussards noirs », l’éditorial de Paul-Henri du Limbert nous explique l’enjeu idéologique réel de cette réforme. Et de s’émerveiller : « Non seulement c’est le grand retour de l’orthographe, mais c’est aussi celui de l’instruction civique et morale. Avec, on n’ose y croire, obligation de se lever en entendant La Marseillaise et apprentissage du vouvoiement ».
Une fois de plus, l’éditorialiste ironise sur la pédagogie et insiste sur la nécessité « d’oublier les pratiques détestables et l’infernal jargon du monde éducatif ». Pratiques et jargon qui seraient naturellement les fruits de Mai 68, dont on mesurerait aujourd’hui les ravages : « 40 années de ce régime-là ont donné ce que chacun constate aujourd’hui. 15 % des élèves sortant du CM2 sont en grande difficulté, 25 % des élèves entrant en sixième lisent et écrivent mal. » Il ne vient évidemment pas à l’esprit de Paul-Henri du Limbert que ces résultats, effectivement préoccupants, pourraient être la conséquence de l’insuffisance de moyens – notamment humains – accordés à l’école et de la transformation de l’enseignement en marchandise soumise à la concurrence, plutôt que celle des errements « pédagogistes ».
L’enjeu de la réforme Darcos, selon notre éditorialiste ? « Les temps sont en train de changer. À l’heure où Daniel Cohn-Bendit lui-même reconnaît que les barricades étaient absurdes, c’est une nouvelle pelletée de terre que l’on jette sur l’héritage de Mai 68. » Ça vire à l’obsession sarkozyenne : « En finir, une bonne fois pour toutes avec Mai 68. » Cela dit, ce pouvoir – effectivement « réac et fier de l’être » – devrait prêcher par l’exemple : difficile de prôner à la fois l’apprentissage du vouvoiement (!) et la banalisation d’expressions présidentielles raffinées. Comme, par exemple, « Casse-toi, pauv’ con »…
François Duval (« La gazette des gazettes »)
Droit de grève à vendre
En Sarkozye, tout s’achète, tout se vend… y compris le droit de grève ! En témoigne l’histoire de GT Logistics (98 salariés), entreprise basée à Tarnos (Landes), qui assure la logistique pour le compte d’un fabricant de moteurs d’hélicoptères. La direction a proposé à ses salariés de signer « un contrat de garantie de permanence de prestation ». Le principe ? Ceux qui signent ce contrat se voient dotés d’une somme de 1 000 euros, remboursable en cas de non-respect des engagements. Il s’agit donc bien d’un achat du droit de grève car, dès le premier jour d’arrêt de travail, c’est 1 000 euros de perdu !
Cette proposition, le PDG de l’entreprise l’a faite au moment où la négociation salariale s’engluait et risquait d’aboutir à de premiers débrayages. À l’heure où les salaires stagnent et où les produits de première nécessité augmentent démesurément, les salariés subissent un chantage odieux.
Mais, à la suite de sa découverte, le pauvre PDG est sous les feux de la rampe : « On est attaqués, bien sûr, mais on n’est pas dans l’illégalité : le droit de grève existe, mais on n’est pas obligé de l’utiliser. » Bien sûr… Certain de son bon droit, le patron ne s’arrête pas là et il revient à la charge, cette fois contre les inspecteurs du travail : « On a des difficultés avec des inspecteurs du travail ailleurs qu’en Gironde, qui se disent : “C’est quoi ces cow-boys ?” Surtout quand l’inspecteur appartient au même syndicat que nos représentants syndicaux. »
D’après les syndicats, qui saisissent l’inspection du travail et la justice, la moitié des salariés a accepté de signer le contrat. Une fois de plus, le cynisme atteint des sommets de la part de ces PDG, pour qui tous les droits des salariés doivent être écrasés.
Thibault Blondin (Fais et méfaits
Le fait du Prince
Nicolas Sarkozy vient de trébucher sur la récente loi Dati instaurant une rétention de sûreté, dans des centres d’enfermement à vie, à l’issue de la peine purgée par les criminels réputés dangereux. Un texte qui créait un double et redoutable précédent juridique. D’abord, en ce qu’il consacrait l’arbitraire en instituant, au-delà d’une décision de justice, une peine illimitée pour des individus simplement suspects de pouvoir récidiver. Ensuite, en ce qu’il prétendait revenir sur un principe élémentaire du droit, à savoir la non-rétroactivité de la loi, en faisant appliquer la rétention à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou pour des faits commis antérieurement à cette publication.
Cette violation du principe de non-rétroactivité a conduit le Conseil constitutionnel à censurer partiellement la loi, provoquant les foudres du président. Usant démagogiquement de l’argument de la « protection des victimes », ce dernier aura saisi le premier président de la Cour de cassation dans le but affiché de contourner l’arrêt et de permettre l’application immédiate de la loi. Le scandale, ici, ne porte pas sur l’intangibilité des décisions d’une cour constitutionnelle qui s’est, à travers 40 ans d’histoire de la Ve République, octroyé le statut exorbitant d’un législateur de fait. Il réside plutôt dans les mœurs qui se révèlent au sommet de la République sarkozyenne : on n’hésite plus à y bafouer sans vergogne la légalité ou les jurisprudences en vigueur pour le seul intérêt du Prince. Il vient ainsi de s’ouvrir une véritable crise institutionnelle… qui n’annonce nullement un surcroît de droits et de démocratie.
Rouge (Au jour le jour)
DÉPÉNALISATION : Feu vert pour les patrons voyous
Stôt remis le rapport de la commission Coulon sur la dépénalisation du droit des affaires, la garde des Sceaux, Rachida Dati, s’est empressée de déclarer qu’elle en reprendrait la « quasi-totalité des propositions ». Il est vrai qu’il s’agit de la mise en œuvre d’une promesse faite par Nicolas Sarkozy lors de l’université d’été du Medef ! Car c’est bien de cela qu’il s’agit : ne pas décourager « la prise de risques », et donc protéger les patrons, en leur garantissant l’impunité maximale.
Pour ne pas avoir à réprimer les patrons coupables de délits, il y a deux possibilités complémentaires… auxquelles le rapport fait largement appel. La première a le mérite de la simplicité : ainsi est envisagée la suppression pure et simple d’une quarantaine d’infractions au motif qu’elles seraient « redondantes » ou « tombées en désuétude ». Plus de délit, plus de poursuites : le tour est joué ! La seconde est plus retorse : pour les infractions vraiment graves – en particulier le fameux « abus de biens sociaux » –, la combine consiste à rendre les poursuites plus difficiles – voire impossibles – en jouant avec les délais de prescription. Certes, le rapport propose de faire passer le délai de prescription de trois à sept ans. Mais il propose surtout de le faire démarrer à la date où a été commis le délit et non plus, comme aujourd’hui, à la date où le délit a été découvert.
Or, en matière de délinquance financière, il est extrêmement fréquent que les délits, facilement dissimulables – c’est même un vrai métier ! –, ne soient découverts que très tardivement, parfois au bout de nombreuses années. Autant dire que certains détournements seront purement et simplement légalisés a posteriori, lors de leur révélation, les délais étant dépassés. Le rapport prévoit aussi de créer une justice d’exception pour les délits boursiers et de développer les transactions, au détriment des actions en justice.
Si le Syndicat de la magistrature dénonce « de nouvelles citadelles d’impunité », le patronat voit dans le rapport Coulon et les annonces de Rachida Dati « un équilibre qui va dans le bon sens ». Et le quotidien financier Les Échos de titrer : « Dépénalisation de la vie des affaires : le rapport Coulon plutôt bien accueilli ! » Cette mansuétude avec la « délinquance en col blanc » tranche avec les autres réformes judiciaires qui, toutes, visaient à alourdir la répression. Sanctionner les pauvres et protéger les riches : telle est, en matière pénale aussi, la marque de fabrique du sarkozysme.
François Duval
FONCTION PUBLIQUE : Opération division
Il a fallu quatre mois de ruses et quelques concessions pour que le ministre des Comptes sociaux, Éric Woerth, vienne à bout du front syndical construit depuis la grève du 20 novembre 2007, rééditée en janvier. Un accord est paraphé avec un groupe syndical comprenant la CFDT, l’Unsa, la CGC et la CFTC. Ce groupe a même accepté d’entrer dans une logique de saucissonnage du texte en six volets, avec, selon les cas, deux ou quatre signatures.
Bien entendu, les syndicats qui refusent (CGT, FSU, FO, Solidaires) représentent une grande majorité des personnels, et la légitimité des signataires est faible. Mais Éric Woerth peut tout de même se vanter d’avoir fait avaliser « le premier accord sur le pouvoir d’achat depuis dix ans » (depuis 1998).
En réalité, les syndicats signataires avalent une méthode politique, et pas seulement des chiffres et des euros saupoudrés habilement. Les chiffres, on les connaît : 0,5 % en mars, 0,3 % en octobre, et « une garantie individuelle de pouvoir d’achat » pour les titulaires des trois fonctions publiques qui auraient subi une perte dans les années précédentes, proportion évaluée à 17 % des effectifs, recevant une rallonge pouvant atteindre 700 euros. En fait, ce qui est une nouvelle fois officialisé, c’est une perte du pouvoir d’achat du point indiciaire, puisque l’inflation est estimée à 1,6 % en 2008, et les 0,8 % d’augmentation affichés se ramènent à 0,56 % en année pleine, selon Solidaires. Tous les syndicats protestaient jusqu’ici unanimement contre les arriérés de pertes de salaires résultant de la désindexation systématique depuis si longtemps !
Ce qui est aussi institué, c’est certes un rendez-vous salarial annuel, mais dans le cadre d’une négociation triennale, seule habilitée à « cadrer » les évolutions du point d’indice. C’est donc la planification durable d’une désindexation sur l’inflation. Il n’est pas étonnant qu’une action interprofessionnelle sur les salaires, associant public et privé, ne puisse avoir lieu, quand on brade si allègrement des principes syndicaux élémentaires.
Dominique Mezzi
Comme un boomerang
« Adieu, veau, vache, cochon… » Au Salon de l’agriculture, où il était venu prendre un bain de foule, Sarkozy s’est laissé aller à traiter un visiteur, qui refusait de lui serrer la main, de « pauvre con ». Pas de quoi faire remonter sa cote de popularité, tombée au plus bas, à 36 % d’opinions favorables contre les 57 % qu’il avait encore en septembre. Ni convaincre les notables de l’UMP qui jugent préférable, en de nombreux endroits, de faire acte de dissidence pour assurer leur victoire aux élections municipales, d’y renoncer.
Le dernier en date des dérapages de Sarkozy ne fait qu’exprimer son mépris de toute expression libre et démocratique, qui va de pair avec son mépris des couches populaires, au nom desquelles il prétend parler et agir. Sa démagogie populiste, dont le succès a été un temps assuré par la capitulation de la gauche institutionnelle et son renoncement à toute contestation du système, s’est brisée sur la question du pouvoir d’achat, dont il s’était fait le champion pendant sa campagne électorale et qui ruine aujourd’hui, comme par un retour de balancier, son éphémère popularité.
Non seulement, ses recettes n’ont pu faire illusion quand il s’agissait de rattraper la baisse du niveau de vie due à la stagnation des salaires pendant plusieurs années, mais le « travailler plus pour gagner plus » et sa mise en œuvre, à coup d’heures supplémentaires détaxées ou de monétisation des RTT, ont pris des allures de véritable provocation face à une hausse des prix dont les dernières statistiques indiquent qu’elle atteint 2,8 % sur les douze derniers mois, et près de 50 % sur certains produits alimentaires les plus indispensables, tels que les pâtes, les yaourts ou le jambon.
Au-delà, il s’agit bien de l’insolente inégalité dans la répartition des richesses. Alors que leurs profits sont en passe de battre le record de l’année dernière – 100 milliards d’euros –, les grandes entreprises cotées au CAC 40 enchaînent fermetures d’usines et licenciements, qui jettent à la rue des milliers de salariés sans reclassement possible autre que des petits boulots précaires, et ôtent tout espoir aux jeunes de trouver un emploi. Pas d’états d’âme pour les dirigeants d’Arcelor-Mittal, lorsqu’ils décident de mettre fin à l’activité de l’usine de Gandrange (Moselle) et de ses 600 salariés, alors que le trust sidérurgique vient de déclarer un bénéfice de plus de 10 milliards d’euros, en hausse de 30 %.
Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Depuis des années, les salariés ont fait la cruelle expérience de l’inutilité des sacrifices qu’on prétendait leur imposer au nom de la recherche de « compétitivité », censée préserver les emplois restants ou en créer de nouveaux à l’avenir. Cette logique, celle de la concurrence capitaliste, n’aboutit qu’à une spirale sans fin, enchaînant restructurations, licenciements et précarisation de la main-d’œuvre à un pôle, bénéfices insolents à l’autre, qui n’ont d’autre résultat que de grossir les dividendes d’une poignée d’actionnaires ou de permettre aux PDG d’augmenter de 40 % leurs salaires, qui équivalent en moyenne à plus de 500 fois le Smic.
Et combien dérisoires et mensongères apparaissent les solutions qu’a avancées tout récemment Sarkozy sur l’ancien site de Metaleurop pour lutter contre la baisse du pouvoir d’achat « sans nuire à la compétitivité des entreprises », ou mieux encore en leur promettant de nouveaux allègements fiscaux contre une augmentation des primes d’intéressement versées aux salariés.
Cette lucidité donne une nouvelle force aux salariés qui ont entrepris, dans nombre d’entreprises, de revendiquer des augmentations de salaires. Des caissières de Carrefour, à Marseille, qui ont fait grève pendant seize jours, aux salariés d’Air France, de l’Oréal, de Sanofi, d’Alcatel-Lucent ou de la Snecma, on ne compte plus les débrayages, manifestations, grèves, qui se déroulent dans le privé, un secteur où le poids du chômage avait si longtemps exercé sa pression contre les revendications salariales. Un mouvement inédit depuis le début des années 1970, commentent certains observateurs, qui alimente les inquiétudes non seulement chez les dirigeants de la droite au pouvoir mais chez ceux, également, du Parti socialiste, qui ne font que reprocher à Sarkozy, finalement, de risquer l’explosion du mécontentement dans la rue.
C’est dans ce contexte qu’a lieu la campagne pour les élections municipales. Au-delà de la sanction du gouvernement et de la droite qu’elles doivent permettre, il s’agit de donner confiance à ce mouvement qui se fait jour, de l’amplifier, de contribuer à ce que s’expriment les besoins et les exigences du monde du travail, de la collectivité, face aux intérêts égoïstes d’une minorité parasitaire. Que s’affirme en toute légitimité la nécessité de prendre sur les profits pour maintenir et créer des emplois, augmenter les salaires et les minima sociaux. Que se renforce une conscience anticapitaliste qui permette aux luttes naissantes de déboucher sur un mouvement d’ensemble, seul à même de mettre un coup d’arrêt à la régression sociale.
Galia Trépère (Premier plan)
SARKOLAND 1. La régie publicitaire de la RATP, Métrobus, a refusé de placarder dans les stations de métros une affiche de Courrier international qui comportait comme titre « Vu de Madrid, Sarkozy, ce grand malade » : un titre qui faisait référence à un article d’El Pais, écrit par le rédacteur adjoint du quotidien espagnol, qui estime que Sarkozy est atteint d’une « incurable hypertrophie de l’ego », « qu’il se vautre dans l’exhibitionnisme » et qu’il « rabaisse la République au niveau de Monaco ». De son côté, Lagardère, l’ami de Sarkozy, grand patron de l’industrie militaire, qui rêve de faire main basse sur les maisons d’édition et la presse françaises, a obligé les employés des boutiques Relay, dont il est propriétaire, à plier le haut de l’affiche qui reproduit la « une » de Courrier international, afin que le même titre concernant Sarkozy soit invisible. Censure et remise en cause de l’indépendance de la presse sont parties intégrantes du projet sarkozyen. Il y a danger !
SARKOLAND 2. Le Syndicat de la magistrature estime que « l’initiative de Nicolas Sarkozy visant à demander au premier président de la Cour de cassation de formuler des propositions pour rendre la rétention de sûreté applicable immédiatement, malgré la décision contraire du Conseil constitutionnel, est un coup de force inacceptable ». Il demande au premier président de la Cour de cassation de respecter la Constitution, de ne pas donner suite à cette demande et il appelle à la mobilisation pour assurer le succès de « la nuit de défense des libertés », qui aura lieu place de la Bastille le 20 mars.