En se rendant au dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), le 13 février, le président de la République a voulu faire un coup médiatique de nature à faire passer au second plan ses difficultés du moment. Tel était l’objet principal de sa proposition de parrainage, par chaque élève de CM2, d’un « enfant français victime de la Shoah ».
Cette opération ne s’avère pas seulement une instrumentalisation innommable, à des fins politiciennes, de l’histoire et de la destruction des Juifs d’Europe. Elle est aussi un sale coup porté au devoir de mémoire. Si ce dernier est indispensable contre des offensives négationnistes à répétition, si le génocide hitlérien constitue une tache indélébile sur l’histoire du siècle passé, comment assimiler l’indispensable vigilance contre toute résurrection de la bête immonde avec l’évocation simplement compassionnelle de ce qui restera à jamais un crime contre l’humanité ?
Pire, comment ne pas trouver insupportable de jumeler un enfant vivant et un enfant mort, de donner au premier « la charge d’un fantôme, l’introduire dans la mort », comme le dit si bien Annette Wieviorka, l’historienne d’Auschwitz ?
Non seulement l’initiative de M. Sarkozy constitue une insulte au travail des enseignants. Non seulement l’immixtion des gouvernants sur le terrain de l’histoire se révèle toujours dangereuse pour la démocratie. Mais elles sont aussi de nature à détourner la société du « besoin de raison », de « la recherche du sens », que Primo Levi ou Hannah Arendt plaçaient au cœur du travail rigoureux à mener en permanence, afin que l’indignation ne retombe jamais.