Le 14 février, au centre de Beyrouth, l’alliance du 14 mars, pro-occidentale, commémorait l’assassinat de Rafic Hariri, disparu il y a trois ans. La banlieue sud de Beyrouth, elle, rendait, par centaines de milliers, un dernier hommage à Imad Mughnie, Hajj Radouane de son pseudonyme, assassiné deux jours plus tôt à Damas, probablement par les services du Mossad. Ce dernier était considéré comme l’un des principaux artisans de la victoire du Hezbollah en juillet 2006 et l’un de ses stratèges politico-militaires les plus doués.
Ancien membre des services de sécurité du Fatah palestinien, dans les années 1970, proche d’une tendance maoïste de ce dernier, il était l’un des fondateurs du Hezbollah, à la suite de l’invasion israélienne de 1982, et il était tenu comme l’un des principaux responsables des attentats contre les ambassades et postes militaires des Français et des Américains en 1983, actions qui les avaient forcés au départ, ainsi que de l’attaque contre le centre militaire israélien de Tyr au Liban, occupé en 1982.
Recherché par les États-Unis, la France et les Israéliens, Imad Mughnie était notamment suspecté de superviser la liaison sécuritaire entre le Hezbollah, les Syriens et les Iraniens depuis de longues années. D’où, peut être, la différence de perception du personnage en Occident et au Liban. Les médias français et américains ont rendu compte de la disparition d’un « terroriste ». Au Liban, c’est un résistant qu’ils semblaient enterrer. La présence aux obsèques – gigantesques –, organisées par le Hezbollah, du secrétaire général du Parti communiste libanais, Khalad Hadadeh, et de l’ensemble des formations de toutes tendances engagées dans la lutte contre la présence israélienne depuis plus de vingt ans, en témoignait.
Un tournant semble être opéré. En assassinant l’un des principaux théoriciens et formateurs militaires du Hezbollah en dehors du Liban, les Israéliens ont régionalisé le conflit Israël-Hezbollah, et il faut s’attendre maintenant à une « guerre ouverte » entre eux, selon les mots du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. La mort d’Imad Mughnie coïncide avec la mise sous pression, ces dernières semaines, du Hezbollah et de l’opposition anti-américaine. La répression, par une partie de l’armée, des manifestations sociales dans le sud de Beyrouth, fin janvier, et la mort de neuf jeunes chiites proches du Hezbollah et d’Amal, les menaces américano-françaises d’une résolution de l’ONU contraignante pour désarmer le Hezbollah et imposer un nouveau président de la République, les affrontements nocturnes quotidiens entre partisans de l’opposition et du 14-Mars dans les rues de Beyrouth, les violations israéliennes continues font penser que l’épreuve de force entre le couple Bush-Olmert et leurs alliés libanais d’un côté, l’opposition libanaise nationaliste anti-américaine de l’autre, n’en est qu’à son début.