Il n’y a « jamais eu aussi peu
d’intervention de la France »
affirmait Kouchner au terme de la
dernière offensive des rebelles
tchadiens. Depuis que les anciens
fidèles d’Idriss Déby, armés par le
Soudan, ont à nouveau tenté de le
renverser pour mettre la main sur la
rente pétrolière, les autorités
françaises n’ont cessé de répéter
qu’aucun soldat français n’avait pris
part aux combats, version
complaisamment relayée par la
plupart des médias. Il s’agit de ne pas
compromettre l’Eufor, la force
européenne qui devait se déployer au
Tchad et en Centrafrique,
officiellement pour sécuriser les
camps de réfugiés. Celle-ci a en effet
été décidée en dépit de fortes
réticences des autres pays
européens, qui soupçonnent, à juste
titre, la France de vouloir
l’instrumentaliser pour consolider sa
présence militaire néocoloniale.
La pénétration rapide des
rebelles, leurs déclarations
triomphalistes, l’offre faite à Déby par
la France de l’exfiltrer ont d’abord fait
penser que l’Elysée envisageait de
remplacer son protégé, comme elle
l’avait fait par le passé dans des
circonstances analogues. Simple
avertissement, changement de
stratégie ou manipulation initiale ?
Toujours est-il que le ton a
rapidement changé,
affirmant un soutien sans
faille à un régime soit
disant élu et légitime.
Tellement légitime qu’il
profitait des combats pour
rafler des opposants civils
dont on est toujours sans
nouvelle, et au sujet
desquels les ministères
français de la Défense et
des Affaires étrangères
jouent les autistes…
Sarkozy obtenait par
contre un vote du conseil
de sécurité autorisant une éventuelle
intervention française, de manière à
dissuader des renforts militaires
venus du Soudan. En effet, la France
n’a pas avec le Tchad d’accord de
défense, mais de « simples » accords
d’assistance militaire. C’est au nom
de ceux-ci que l’armée française
fournit une aide médicale, logistique
(transport, entretiens du matériel
militaire, fourniture de carburant et de
munitions), et du renseignement.
Autant dire que sans l’armée
française, l’Etat major tchadien est
sourd, aveugle et manchot. Ce n’est
donc pas rien… mais ce n’était pas
tout.
On apprenait progressivement,
car deux soldats français avaient été
blessés, qu’en fait de balles perdues,
les forces françaises s’étaient
affrontées aux troupes
rebelles pour garder le
contrôle de l’aéroport.
Officiellement, il s’agit de
sécuriser l’évacuation de
nos ressortissants. Mais
l’armée française sécurisait
par la même occasion les
hélicoptères de combats
tchadiens et les
mercenaires qui les
pilotent, lesquels ont joué
un rôle décisif dans les
combats. Sarkozy, qui
avait déjà accordé des missiles Milan
au Tchad au moment de
l’affaire « Arche de Zoé », a obtenu la
livraison en urgence de plusieurs
tonnes d’obus pour les chars
tchadiens, en provenance de Tripoli,
et peut-être d’Israël.
Par ailleurs, Le
Canard Enchaîné du 6 février révélait
que la France venait d’envoyer, en
prévision des combats, un DAMI
(Détachement d’Assistance Militaire et
d’Instruction). Le surlendemain, le
journal La Croix affirmait que ces
officiers du DAMI avaient coordonné
la première attaque tchadienne contre
les rebelles, et ajoutait que les forces
spéciales du COS (Commandement
des Opérations Spéciales), dont les
activités sont toujours secrètes, ont
également pris part aux combats dans
la capitale « avec une stratégie qui se
révélera payante : épuiser les
rebelles, bientôt à court de
munitions ».
S’il y a eu volonté
délibérée d’attirer les rebelles à
N’Djamena pour les isoler de leurs
bases arrière, il s’agit d’une stratégie
criminelle au regard des
conséquences sur les populations
civiles. Mais cela n’étonnerait ni de la
part de Déby, ni de la part des
conseillers militaires français officiant
en Afrique.