En Italie comme en France, le pouvoir prend de plus en plus de libertés par rapport aux textes constitutionnels. Il faut dire que les assemblées constituantes qui ont accouché de ces dispositions rappellent de fort mauvais souvenirs au personnel actuel des institutions politiques qui nous « représentent » ou nous dirigent. Elles renvoient en effet à des moments privilégiés de l’histoire, où des régimes oligarchiques et autoritaires ont été renversés par des mobilisations sociales de grande envergure, voire par des révolutions. En 1958, même De Gaulle n’a pas pu se débarrasser du préambule de la constitution de 1946, issu de la Charte du Conseil National de la Résistance (CNR), qui élargissait le champ des droits populaires, économiques et sociaux.
En Italie, les forces dominantes du Parlement s’évertuent depuis plusieurs années à réformer le fonctionnement des institutions (renforcement des prérogatives de l’exécutif, relativisation du scrutin proportionnel pour l’élection du Parlement, réduction de la solidarité nationale par une autonomie financière accrue des régions, etc.). Derrière cela, c’est en réalité la mise en pratique effective des grands principes démocratiques et sociaux de la constitution qui est visée. Une première tentative dans ce sens ayant été rejetée par un vote populaire, en juin 2006, le Parlement remet ça aujourd’hui, sous une forme différente, espérant cette fois-ci gagner devant les électeurs-trices au printemps prochain.
En France, le rejet du Traité constitutionnel européen (TCE), en mai 2005, malgré le soutien de l’UMP, de l’UDF, de la grande majorité du PS et de la quasi-totalité des médias, amène aujourd’hui Nicolas Sarkozy à réintroduire par la fenêtre ce projet qui avait pourtant été chassé par la grande porte. Un nouveau traité simplifié, proche du précédent, est donc soumis actuellement à l’Assemblée et au Sénat, qui devraient le plébisciter, réunis en Congrès à Versailles, le 4 février prochain. Dans cette affaire, le PS sert de faire-valoir au gouvernement : une partie de ses député-e-s ont annoncé en effet qu’ils iraient à Versailles pour voter OUI, une autre partie qu’ils iraient pour voter NON, tandis que la direction appelle à boycotter ce Congrès (pour assurer le triomphe du OUI sans paraître soutenir Sarkozy).
Nous donnons ici la parole tout d’abord à un éminent constitutionnaliste italien, Gianni Ferrara, qui explique comment la révision du fonctionnement des institutions italiennes vise à stériliser les principes démocratiques et sociaux contenus dans la constitution de 1948, qui se voulait « l’esprit de la Résistance traduite en droit » (selon Piero Calamandrei, son père spirituel, membre du Parti d’action – un antifasciste d’inspiration républicaine et socialiste). Ensuite, nous présentons le point de vue d’un membre de la Direction nationale de la LCR sur la manœuvre sarkozyste qui vise à imposer sans débat un Traité constitutionnel européen simplifié en passant par le Parlement pour éviter tout référendum populaire.
Voir : Gianni Ferrara, Italie : défendre une constitution issue de la Résistance