« Les gouvernements européens se sont ainsi mis d’accord sur des changements cosmétiques à la Constitution pour qu’elle soit plus facile à avaler… » (V. Giscard d’Estaing, juillet 2006)
Dans son numéro d’octobre 2007, « Lignes d’Attac » a publié une analyse précise, article par article, du projet de « Traité Modificatif Européen »
(TME) - encore appelé « traité simplifié » en jargon sarkozien - dont la signature par les gouvernements des 27 Etats membres de l’UE est intervenue le 13 décembre dernier et dont la ratification doit être votée par les parlements nationaux avant les élections européennes de juin 2009. Critique doublement pertinente. En premier lieu ce projet non seulement reprend mais encore aggrave la quasi-totalité des dispositions essentielles du TCE, ce traité dit « constitutionnel » (comme si un traité, texte issu d’une négociation d’Etats, pouvait tenir lieu de constitution, loi fondamentale qui ne saurait être issue que d’une assemblée constituante démocratiquement élue) rejeté au printemps de 2005 par les électeurs français et néerlandais. Il n’est qu’un copié-collé du TCE, une grossière manipulation politique en somme. En second lieu il maintient la dévolution de l’essentiel du pouvoir dans l’UE, prévue dans le TCE de 2005, au Conseil des ministres et à la Commission européenne, au détriment du Parlement. Il est donc logique que le mode de ratification du « Traité modificatif » aujourd’hui retenu évite toute procédure référendaire et que seuls les gouvernements et les parlements nationaux soient appelés à se prononcer : « Traité Modificatif » et ratification d’Etat constituent bien un couple indissociable.
Si l’analyse critique de ce second projet de traité telle que la développe ATTAC est irréfutable, il n’en va pas de même de la stratégie et du mode d’action militante choisis par la direction de l’association, comme d’ailleurs par d’autres organisations de gauche, pour le combattre. N’est en effet envisagée dans l’immédiat qu’une campagne destinée à exiger le recours à un référendum. Perspective d’action certes justifiée mais incomplète et confuse. Référendum, mais dans quel cadre ? Dans toute l’UE ? Dans les seuls pays où cette procédure a été mise en œuvre en 2005 (à peine un quart de la population de l’UE) ? S’agit-il de revendiquer à nouveau l’organisation de référendums nationaux comme en 2005 ou celle d’un seul référendum européen, ce qui ne saurait avoir le même sens ? En bonne logique, c’est la seconde option qui serait légitime puisqu’il est question d’opérer un choix politique de très longue portée à l’échelle de toute l’Union européenne. Sur ces interrogations, pourtant importantes, ATTAC ne se prononce pas clairement.
Il y a plus grave. Un « oui ou non » référendaire à un projet de traité émanant des gouvernements européens actuels, issus presque tous de majorités conservatrices, élimine d’avance le débat public sur le devenir politique et social de l’UE, puisque face à ce texte, il n’y aura pas de projet alternatif soumis au vote. Les forces qui en Europe aspirent à « constituer » une Union Européenne démocratique, sociale, écologique et pacifique, n’auront d’autre choix que d’émettre un vote négatif comme ce fut déjà le cas en 2005, où d’ailleurs la gauche opposée au TCE a été incapable de proposer un texte constitutionnel alternatif. Comme dans tout référendum, sans contre-propositions alternatives, le vrai débat se trouve d’avance verrouillé.
Depuis 2005, deux années ont été largement perdues. En matière européenne, l’initiative politique a été laissée aux forces de droite et aux social-démocraties favorables au néo-libéralisme. C’est cette initiative que les forces de gauche européennes doivent conquérir. Aujourd’hui, il n’est politiquement ni responsable ni opératoire de ne pas opposer dès maintenant à la voie des traités celle d’une véritable « Constitution » de l’Union Européenne avec son corollaire : un mode de préparation et de ratification démocratiques. Il faut sortir de la confusion et cesser d’avoir peur des mots, et en particulier du terme « Constitution ». Constituer une quelconque structure politique, nationale, fédérale, etc…, ne saurait s’accomplir par une négociation diplomatique inter-Etats, ce qu’est par nature un traité. Car il ne s’agit pas seulement d’inventer des institutions mais aussi de « constituer », à partir du débat public sur les enjeux fondamentaux du présent et de l’avenir, une société politique. Le choix à opérer aujourd’hui en Europe est bien double : quelle Constitution proposer pour l’UE ? Comment favoriser l’émergence d’une société politique européenne, non pas ex nihilo, mais dans l’optique d’un changement du rapport des forces sociales en Europe et à partir de la prise en compte cohérente et globale des grands défis mondiaux d’aujourd’hui et de demain ?
De ce point de vue, le temps nous est chichement compté. Car si, à de multiples titres, l’Union Européenne pèse encore très lourd dans le devenir de la planète, si elle est le principal (mais pas l’unique) ensemble humain où sont vivaces le syndicalisme, les forces de gauche, la pensée et l’idée socialistes, cela ne durera pas si elle ne constitue pas politiquement sur un autre projet de société continentale et d’un autre futur pour l’humanité, que celui d’une coopérative d’Etats gérant un marché régional néo-libéralisé. La dimension internationale du choix constitutionnel européen est en effet fondamentale, puisqu’en Europe peut encore se débloquer une autre perspective globale que celle de la nouvelle mondialisation du capitalisme. Elle doit donc être prise lucidement en compte dans le débat européen.
Dans cette perspective, il est donc plus qu’urgent d’entreprendre une campagne de fond et de longue haleine, à la fois pour l’organisation d’un référendum sur le « Traité modificatif » et pour la convocation d’ici 2009, à l’initiative du Parlement européen par exemple, d’une Assemblée Constituante européenne chargée d’élaborer une Constitution de l’Union Européenne, fixant les compétences respectives de l’Union et des Etats nationaux, définissant les principes constitutifs de l’Union et ses rapports avec le monde, et de la soumettre à la ratification des peuples européens. Sur ces choix fondamentaux, il faut sortir dès aujourd’hui de la logique des traités. C’est d’autant plus possible qu’après tout, « traité modificatif » ou pas, la question de la Constitution européenne reste ouverte.
Une première initiative en ce sens devrait être la réunion, à l’initiative d’ATTAC France et des ATTAC d’Europe, de la gauche européenne, politique, syndicale et associative dans une Convention pour la Constitution Démocratique de l’Union Européenne, ouverte également aux représentants des forces de gauche des autres continents, investie de la tâche d’engager clairement le débat constitutionnel européen, débat politique s’il en est, et de le populariser dans l’UE.
Une telle initiative n’est nullement contradictoire avec la recherche de la convergence mondiale des luttes ouvrières et populaires contre la généralisation des politiques néo-libérales, plus que jamais nécessaire (que l’on songe à la totale absence de synchronisme des grèves européennes de cheminots des derniers mois !) et qui doit rester au centre de la réflexion et de l’action d’ATTAC. Bien au contraire, l’ouverture d’un débat populaire sur le devenir constitutionnel de l’Union Européenne va dans le sens de cette convergence et ne peut que la favoriser. Dans l’un et l’autre de ces domaines, il n’est de vision juste que globale.