A Taïwan, le Kouomintang, parti d’opposition favorable à un rapprochement avec Pékin, a remporté une large victoire lors des élections législatives, en obtenant 81 des 113 sièges du Parlement, a annoncé la commission électorale samedi 12 janvier. Le parti du président Chen Shui-bian, le Parti démocratique progressiste (DPP), a lui subi un grave revers en remportant seulement 27 sièges dans la nouvelle assemblée, tandis que de petites formations alliées du Kouomintang (KMT) ont décroché un total de 5 sièges, selon le président de la commission.
Le président Chen Shui-bian, qui est un fervent partisan d’une politique d’indépendance vis-à-vis de la Chine, a concédé sa défaite, qu’il a qualifiée de « pire revers » dans l’histoire de son parti. Il a ajouté qu’il en assumait « toute la responsabilité » et a annoncé sa démission « immédiate » de son poste de président du DPP.
« NOUS RESPECTERONS LA MINORITÉ AU PARLEMENT »
Avant même que la commission électorale n’annonce les résultats, Wu Poh-hsiung, le président du Kouomintang, avait revendiqué la victoire de son parti. « Je promets que nous n’abuserons pas du pouvoir que nous donne la majorité, mais que nous l’utiliserons à stabiliser la société et à unir le peuple, et que nous respecterons la minorité au Parlement », s’est exclamé M. Wu. Cette victoire du Kouomintang confère un sérieux avantage à son candidat pour l’élection présidentielle du 22 mars, l’ex-maire de Taipei Ma Ying-jeou, face à celui du parti du chef de l’Etat Frank Hsieh ; Chen Shui-bian ne pouvant, lui, se représenter à l’issue de son second mandat.
Le Kouomintang a été au pouvoir pendant 51 ans à Taiwan jusqu’à l’élection en 2000 de M. Chen, récemment touché par un vaste scandale de corruption. Le parti du chef de l’Etat pâtit en outre d’un ralentissement de l’économie et d’un taux de chômage élevé dans cette île de 23 millions d’habitants.
Sous son nom officiel de République de Chine, Taïwan a perdu en 1971 son siège à l’ONU, qui a été attribué à la Chine populaire, dont elle avait fait sécession après la guerre civile de 1949, quand les nationalistes de Tchang Kaï-chek avaient dû fuir devant les communistes. Pékin considère l’île rebelle comme partie intégrante de son territoire et envisage de la réunifier à la « mère patrie », y compris par la force.
LEMONDE.FR avec AFP | 12.01.08 | 16h31 • Mis à jour le 12.01.08 | 16h37
Les Taïwanais votent pour leur Parlement et deux référendums
TAÏPEH ENVOYÉE SPÉCIALE
Vendredi 11 janvier au soir, c’est une ambiance de veillée d’armes qui règne dans le centre de San Chong, ville de faubourgs mal construite à quelques kilomètres de la capitale taïwanaise, Taïpeh.
Autour du terrain de football, les partisans du Parti progressiste démocratique (DPP), le parti indépendantiste connu comme le camp des « verts », forment une foule si dense qu’elle s’est figée. Ils attendent, en mâchant de la noix de bétel ou en accompagnant les hurlements des animateurs du podium, la venue du président Chen Shui-bian.
Au pouvoir depuis l’an 2000 et en forte baisse de popularité à la suite de scandales d’argent impliquant sa famille et son entourage, le président Chen Shui-bian a encore des supporteurs. « C’est un homme extraordinaire, pauvre et honnête, un vrai Taïwanais, comme la plupart de ceux qui sont ici », explique spontanément un partisan. Les mots qui reviennent, souvent assortis de grands gestes, sont « aimer Taïwan », « gens de la terre », « gens locaux », « Taïwan n’est pas la Chine ».
Séparés des « verts » par de simples rouleaux de barbelés, les « bleus », les partisans du Kouomintang, le grand parti d’opposition, occupent, eux, l’intérieur du terrain de football. Le spectacle, ici, est plus sophistiqué, avec des stars sur le podium. La foule est moins émue, mieux habillée. « Notre problème, à nous tous, c’est l’économie. Il y a huit à dix ans, Taïwan était un »dragon« asiatique. En huit ans de DPP au pouvoir, nous avons tellement perdu », regrette Bill Wang, qui se présente comme « un simple homme d’affaires de Taïpeh ».
Des centaines de policiers armés de longs bâtons séparent les deux camps dont les feux d’artifices se confondent dans le noir du ciel. Les Taïwanais ont la réputation d’avoir le sang chaud et la rixe facile. Partout, à travers les 79 circonscriptions de l’île, se mêlent rassemblements, cris, drapeaux, danses et pétards.
NOUVEAU MODE DE SCRUTIN
Il ne s’agit pourtant « que » d’élections législatives. Samedi 12 janvier, 17 millions des 23 millions de Taïwanais sont appelés à élire leurs députés. Mais à deux mois de l’élection présidentielle qui pourrait voir le retour du Kouomintang au pouvoir, l’enjeu est très important. Le prochain Parlement taïwanais sera réduit de moitié. Des 225 députés actuels, il n’en restera que 113. Le découpage des circonscriptions et le mode de scrutin ont également changé. Les électeurs auront deux bulletins de vote : le premier pour élire le député de leur district, le second pour exprimer une préférence pour un parti.
Ce nouveau mode de scrutin devrait accentuer la bipolarisation de la vie politique taïwanaise, dont le principal défaut est déjà la profonde division culturelle voire « ethnique », entre le DPP, taïwanais indépendantiste, et le Kouomintang, favorable à de meilleures relations avec la Chine, dont ses membres sont souvent originaires.
Outre le scrutin législatif, les électeurs vont également devoir se prononcer sur deux autres questions présentées sous forme de référendums d’initiative populaire. Le premier a été organisé par le DPP et porte sur la restitution à l’Etat des biens mal acquis ou spoliés par le Kouomintang pendant son demi-siècle de pouvoir sans partage à la tête de Taïwan.
En riposte, le Kouomintang a proposé un référendum lié aux scandales de corruption qui éclaboussent l’entourage du président Chen Shui-bian depuis près de deux ans. Mais le Kouomintang a fait machine arrière et appelé au boycottage des deux référendums, inquiet des conséquences d’une banalisation de cette pratique électorale, inaugurée en 2004 à Taïwan et que Pékin redoute de voir appliquée à des thèmes sensibles comme l’indépendance.
Mais, selon Bi Khim-hsiao, du DPP, la « jeune démocratie taïwanaise » est avide de goûter à tout ce que lui offre sa liberté politique : « Pourquoi nous priverions-nous d’utiliser un outil de consultation populaire que toutes les démocraties du monde utilisent ? »
Florence de Changy
* Article paru dans le Monde, édition du 13.01.08.
LE MONDE | 12.01.08 | 14h02 • Mis à jour le 12.01.08 | 14h02