Déboussolés, livrés à eux-mêmes sur le terrain. « Le quelque chose qui s’est levé, pour l’instant c’est le grand blues » , lâche un militant socialiste. Depuis l’échec de Ségolène Royal à la présidentielle, le « peuple de gauche » se cherche un(e) chef pour s’opposer à Nicolas Sarkozy. Alors que le Président tient ce matin la première grande conférence de presse de son quinquennat, sympathisants et militants de gauche se désespèrent de la passivité de leurs dirigeants. Et relèvent que, parfois, ce sont des people qui donnent de la voix à la place de l’opposition : « Alors que Sarkozy y va à fond la caisse, on n’entend pas le PS. Yannick Noah tape plus fort sur le gouvernement que nous ! » se désole Sylvie, militante PS à Montreuil. La colère de Josiane Balasko - « Je me demande ce que foutent les mecs du PS, où est l’opposition ? » - venue, fin 2007, soutenir les mal-logés rue de la Banque, résonne encore à leurs oreilles.
« Il y a un manque ». « Autour de nous les gens nous demandent : « Qu’est ce qui se passe au PS ? », reconnaît Benjamin, militant de l’Aube. Il y a un manque. Les éléphants courent un lièvre à l’Assemblée, se présentent aux municipales, mais aucun ne s’arrête pour réfléchir. » Cécile, de la fédération sdu Rhône s’agace carrément : « C’est plus qu’une déception, c’est de la frustration. On voit les députés intervenir, les dirigeants du PS dans les médias, mais on a l’impression qu’il n’y a pas d’écho. On ne reproche pas aux responsables de ne pas parler, mais de ne pas parler assez fort. »
Gueule de bois aussi chez les Verts, quelque peu déboussolés par la phase propositionnelle du Grenelle de l’environnement : « On s’oppose dans les idées mais ce n’est pas suivi d’effets parce qu’on est affaiblis, concède Adrien, militant écologiste. On est actifs au niveau municipal, réactifs sur le Web, mais il faut être super-provoc pour être entendus. »
L’œuf ou la poule ? Pour l’heure, seuls les sympathisants de la LCR roulent des mécaniques puisqu’Olivier Besancenot « ne tortille pas comme le PS » : « L’opposition est incarnée par Besancenot. Quand Olivier va rue de la Banque, il est tout seul, plaide Sylvie, militante LCR « unitaire » à Montpellier. « Le PS ne fait même pas le minimum syndical dans la critique du gouvernement », ajoute-t-elle, citant « les transfuges au gouvernement ou le manque d’opposition aux remises en cause des 35 heures et du droit de grève ».
Et pour cause, les socialistes, dirigeants et militants, gambergent sur un casse-tête façon « l’œuf ou la poule » ? Faut-il d’abord un leader pour pondre le projet, ou un projet avant de trouver son leader ? « Un chef peut difficilement s’intégrer après-coup à un programme qui a été fait par l’ensemble du parti », juge Laurent, de la section socialiste de Bourg-lès-Valence. Claire, des Yvelines, part, elle, du raisonnement inverse : « Le plus urgent, ce n’est pas de trouver la personne qui mènera le PS, mais la grande réflexion de fond qui amènera la personne. »
Du coup, la sortie du bois de Ségolène Royal - qui a fait part jeudi de sa volonté de briguer le poste de premier secrétaire du PS au prochain congrès - apparaîtrait presque comme une planche de salut : « Il y a une telle désespérance dans les sections, qu’on est content d’avoir trouvé quelqu’un pour taper sur Sarkozy. Avec Ségolène, les militants se disent qu’ils ont quelqu’un à qui se raccrocher », se réjouit Fabien-Pierre qui milite à Paris, et juge « pas très francs du collier les leaders non-déclarés qui disent : « On verra plus tard » ». Benjamin partage cette analyse : « Fabius critique le coming-out de Royal. Elle, au moins, c’est une face visible du PS. »
« De nouvelles têtes ! » Certains militants pensent à d’autres noms pour s’opposer à Sarkozy, voire pour se présenter à la présidentielle de 2012. « Gorce, Montebourg, s’il vous plaît des nouvelles têtes ! » supplie Alain, socialiste du Cher. « Je vois bien Hamon monter dans les années qui viennent. Il est plus à gauche que le reste du PS et européen », explique Yves, sympathisant auxerrois. Brigitte, de Bordeaux, rêve de « quelqu’un comme Vincent Peillon plutôt que des grands commis de l’Etat ». Et pour Ludovic, de Limoges, l’actuel premier secrétaire fait toujours l’affaire pour contrer Sarkozy : « Hollande a la légitimité de ses militants. » Cécile, de Lyon, pronostique : « Chercher un leader avant les municipales c’est quelque chose de virtuel, car la donne peut changer, notamment si Delanoë gagne à Paris. »
L’échéance des municipales permet pour l’heure à de nombreux militants d’esquiver la question du patron : « Jusqu’à mars, on est la tête dans le guidon, à fond dans la bagarre locale, assure Brigitte. Le national réapparaîtra après. » Il sera alors plus que temps, pour la gauche, de répondre aux attentes de ses militants.
Pierre DEMOUX, Matthieu ECOIFFIER et LAURE EQUY
Analyse
Royal mène encore la danse chez les militants
Qui pour porter la voix de la gauche et incarner l’opposition à Nicola Sarkozy ? La question est plus que jamais posée, alors que le président de la République, renouant avec la tradition gaullienne de la conférence de presse de début d’année, tentera ce matin de se redonner quelque souffle politique. Depuis son élection, les formations de gauche peinent à exister Davantage centrées sur leurs luttes intestines que sur la production d’u discours audible et d’une alternative crédible, elles n’ont jusqu’ici guère réussi à hausser le ton. Militants et sympathisants s’interrogent : lequel parmi leurs dirigeants sera capable de s’opposer et de s’imposer ? Alors que s’effrite la cote présidentielle, en particulier sur le dossier du pouvoir d’achat (Libération d’hier) et que le moment de l’opposition semble venu, notre sondage LH2 le montre : la compétition reste ouverte.
Crédibilité présidentielle. A l’aube d’une année décisive, entre campagne municipale et congrès socialiste, le match est loin d’être plié. Même si Ségolène Royal se maintient comme le « meilleur leader » pour 30 % des sympathisants PS. L’ex-candidate à la présidentielle, qui atteignait les 35 % en juin, a certes payé ses hésitations quant à sa stratégie. Mais après avoir fléchi à 25 % en septembre, elle sort plutôt renforcée du pas supplémentaire effectué jeudi vers une candidature au premier secrétariat. Pas totalement dominante, cependant : son ex-rival des primaires, Dominique Strauss-Kahn, quoique fort éloigné de la rue de Solferino, pointe à 24 %. Et, parmi l’ensemble des sondés, caracole même en tête avec 29 %, loin devant Ségolène Royal (20 %).
Le combat décisif ne se jouera donc peut-être pas entre Ségolène Royal et Bertrand Delanoë. Le maire de Paris occupe toujours la troisième position à gauche, et sa cote ne cesse de progresser : de 6 % à 17 % en six mois chez les sympathisants socialistes. Il demeure également compétitif dans son duel annoncé avec la présidente de Poitou-Charentes. Si les sympathisants de gauche jugent l’ex-candidate nettement « plus déterminée » (68 % contre 24 %), « plus attentive aux questions sociales » (59 % contre 31 %) et « plus rassembleuse » (53 % contre 38 %), elle semble n’avoir toujours pas comblé ses carences en crédibilité présidentielle : Bertrand Delanoë serait le meilleur opposant à Nicolas Sarkozy aux yeux de 49 % des sympathisants PS (contre 45 %). Et le meilleur président de la République (43 % contre 38 %) pour l’ensemble des sondés. Reste que le maire de la capitale, engagé dans sa campagne parisienne, demeure à quelques encablures de ses deux camarades du PS. Et qu’il est, excepté chez les sympathisants socialistes, talonné par un Olivier Besancenot en embuscade.
Lassitude. L’ex-candidat de la LCR à la présidentielle, dont la cote atteint 10 % chez les sondés de toutes tendances, n’est qu’à trois points du maire de Paris. Il le dépasse même chez les sympathisants de gauche (15 % contre 14 %). Dans un contexte d’atonie du PS, le leader trotskiste, porté par la grogne sociale, s’installe comme l’une des principale figures de l’opposition à Nicolas Sarkozy (voir ci-dessous). Pas sûr, pourtant, que cette popularité suffise à assurer le succès du nouveau parti anticapitaliste que la Ligue doit lancer lors de son congrès, fin janvier.
Hormis ces quatre figures, aucune personnalité, à gauche, ne surnage. Et, à l’exception d’Arnaud Montebourg, ne dépasse les 3 % : ni Laurent Fabius, ni François Hollande, ni Marie-George Buffet, ni Dominique Voynet. Mais les questions de personnes, qui lassent de plus en plus les militants, ne sont pas tout. Sur celle des alliances, qui n’a pas fini d’agiter le PS, les sympathisants de gauche prônent une maison socialiste plus ouverte : 61 % se prononcent pour une ouverture « à toutes les sensibilités de la gauche et du centre », 12 % « principalement au centre » et 21 % « principalement à la gauche anti-libérale ». Quant au modèle des primaires à l’italienne, 60 % des sympathisants de gauche estiment que le prochain candidat du PS devrait être choisi « par tous les électeurs qui le souhaitent », adhérents à une organisation politique ou non.
David Revault d’Allonnes
Profil
Besancenot, le capital chouchou
Dans les sondages, le leader de la LCR rallie bien au-delà de sa famille politique.
Olivier Besancenot, leader, « dans la rue », des anti-Sarkozy ? Alors que les ténors socialistes se tirent dans les pattes pour une petite place sur le terrain de la gauche modérée, il occupe tout l’espace de la radicalité. Le PCF et LO, rétamés à la présidentielle, restent inaudibles : lui truste les luttes sociales, des entreprises qui ferment aux cheminots en grève. Depuis son score à la présidentielle (4,08 %), Olivier Besancenot reste haut dans les sondages, en surfant notamment sur la faiblesse de la gauche de la gauche et le flou du PS. Au point de susciter l’adhésion au-delà des frontières traditionnelles de son camp.
« Hors-système ». Il se classe quatrième « meilleur leader de la gauche, au cours des années qui viennent », dans notre sondage LH2, avec 10 %, derrière DSK, Ségolène Royal et Bertrand Delanoë. Et figure même en troisième position, à 15 %, chez les sympathisants de gauche, doublant le maire de Paris. La part de l’opinion qui l’approuve n’adhère pas forcément à l’idéologie de la LCR mais « épouse tout de même, en général, sa posture contestataire », remarque François Miquet-Marty, de l’institut LH2. « Une popularité très supérieure à l’audience électorale du parti qu’il représente », comme Arlette Laguiller en son temps, explique Pierre Giacometti d’Ipsos.
Interrogé sur sa cote de popularité au beau fixe, fin décembre sur Canal +, l’intéressé joue les modestes, y voyant « une tentative de dévitaliser [son] combat qui consiste à parler plus de Besancenot que de ses idées ». Pour les sondeurs, il est une figure « hors système », « tribunitienne », élevée « à l’école des AG », qui « ne s’habille pas, ne parle pas comme un homme politique » et « accroche le téléspectateur » avec des répliques percutantes.
Mais le charisme et le capital sympathie de Besancenot suffisent-ils à expliquer sa percée dans l’opinion ? Citant le baromètre BVA-Orange-L’Express, du 13 décembre , Jérôme Sainte-Marie, de BVA Opinion, observe que, parmi les 39 % de sondés qui lui sont favorables, 41 % jugent que Besancenot « défend les intérêts des gens comme moi ». 23 % répondent qu’il est le mieux placé « pour résister à Nicolas Sarkozy » et seuls 8% l’approuvent parce qu’il est « sympathique ».
Besancenot a pu s’imposer, pour Jérôme Sainte-Marie, comme « porte-parole de catégories sociales que la classe politique, y compris le PS, représente de moins en moins et que le déclin du PCF, notamment, avait laissées sans voix ». Pas seulement les jeunes et les ouvriers, mais aussi les « classes moyennes salariées qui ont désormais un sentiment de précarisation ». Du coup, non content de s’imposer face aux autres formations de la gauche radicale, il peut aussi devenir « une menace pour le PS ».
Limites. Le porte-parole de la LCR joue là sur du velours. Les difficultés des socialistes à accorder leurs violons lui ouvrent un créneau à gauche. Ce que confirme François Miquet-Marty : « Une vraie dynamique socialiste après la présidentielle aurait sans doute éclipsé Olivier Besancenot. » Lui ne souffre pas d’un « manque de leadership et son positionnement n’est pas contradictoire », reproches adressés aux dirigeants socialistes, rappelle François Miquet-Marty. Résultat, le porte-parole de la LCR « incarne la gauche authentique » pour une partie de l’opinion et capte, outre un noyau dur d’extrême gauche, des sympathisants d’une « nébuleuse de la gauche antilibérale et des déçus du PS ou même des Verts ».
Mais les sondeurs entrevoient là les limites d’un « phénomène Besancenot », prévoyant, pour certains un coup de frein dans les sondages, lors des municipales. Selon Stéphane Rozès (CSA), « ceux qui vont vers lui souhaitent moins la construction d’une alternative révolutionnaire que de voir la gauche proposer un véritable projet alternatif. » A tel point que « l’opinion instrumentalise Besancenot pour dire à la gauche de gouvernement qu’elle ne joue plus son rôle ». Avec son projet de parti anticapitaliste dans les tuyaux, le jeune facteur ne se contentera certainement pas de passer le mot à Solferino.
Laure EQUY