« Nous sommes arrivés au bout du système », proclame Sarkozy à propos des 35 heures, pour plaire à la patronne du Medef, Laurence Parisot, qui veut mettre en pièces toute idée de réduction légale du temps de travail. Pour l’agenda social 2008, il voudrait détricoter tous les accords RTT conclus après la loi Aubry et, sous réserve d’accords majoritaires, rendre possible une durée du travail purement contractuelle, comme le sont les accords de temps partiel. Cet appel à la curée contre la RTT se double d’un leitmotiv : « La France ne travaille pas assez, elle est le pays où la durée du travail est la plus basse. »
Mais cette fable d’une France paresseuse est démentie par les chiffres officiels. Les données Eurostat (2006) livrent les chiffres suivants sur les durées du travail en Europe : les Pays-Bas, avec 30,8 heures, ont le temps le plus bas, la Grèce a la durée la plus haute, avec 42,7 heures, la France est à 38 heures, la moyenne européenne est en-dessous, à 37,9 heures, l’Allemagne est à 35,6 heures et le Royaume-Uni à 36,9 ! Ces chiffres additionnent tous les types d’emplois, à temps complet, partiel et précaires. Pour les durées à temps plein, Philippe Askenazy (CNRS) commente ainsi les statistiques de la Commission européenne elle-même (Les Échos du 6 décembre 2007) : « Les 35 heures ont été un feu de paille. La durée habituelle de l’ensemble des temps pleins chute de 41,3 heures en 1995 à 38,9 en 2002, pour remonter à 41 en 2006. » La France n’est donc nullement une « singularité sans équivalent », comme le disait encore l’OCDE, en 2003.
Effets ravageurs
Mais l’OCDE révèle bien le véritable fond idéologique du mensonge sur la paresse française : il s’agit de casser la RTT pour toujours. Il est vrai que, de 1997 à 2002, la RTT légale était une « singularité » potentiellement progressiste dans la régression libérale. En général, c’est le cahier revendicatif patronal qui est constamment débattu ; les syndicats ne font que retarder les dégâts. Une seule exception, au milieu des années 1990, les 35 heures, la RTT, imposées par le mouvement revendicatif (chômeurs, équipes syndicales) au PS en 1997. Mais on connaît la suite : Martine Aubry a voulu concilier l’inconciliable. Ce faisant, elle a réussi magistralement à discréditer la RTT dans la partie du salariat la plus exploitée, la moins bien payée, notamment les ouvriers et les femmes. Elle a encouragé le patronat à tirer le parti maximal des articles de loi qui autorisaient les gains de productivité au détriment de l’emploi, des conditions de travail et des salaires.
Au total, une partie des salariés (loi Aubry 1 expérimentale) a vu sa durée du travail baisser de 4 heures. Mais la majorité des entreprises de plus de vingt salariés ont appliqué la loi Aubry 2 (sans obligation d’embauches) et, en moyenne, leur durée n’a baissé que de deux heures. Un troisième groupe est tout simplement resté à 39 heures, avec théoriquement quatre heures supplémentaires. Depuis, la durée remonte et elle se différencie beaucoup. Dans la restauration, le bâtiment, les petites entreprises, la durée réelle dépasse nettement les 40 heures. Inversement, beaucoup de salariés travaillent avec des durées précaires, donc des salaires annuels dérisoires, mis en évidence par l’Insee, qui parle de stagnation générale du revenu salarial.
Mais, en dépit de toutes les entraves délibérément mises par Jospin et Aubry, afin d’aider le patronat à profiter des 35 heures pour accroître la productivité du travail (intensification), la RTT a tout de même produit des effets d’emplois observables. « Oui, la RTT a créé des emplois, 350 000 selon la Dares [dépendant du ministère du Travail, NDLR]), 500 000 selon l’Ires [Institut de recherches économiques et sociales, NDLR] », explique Michel Husson (Ires) depuis les années 2000, sinon rien n’expliquerait le record absolu de création d’emplois entre 1997 et 2001. Si ces emplois étaient dus aux seules baisses de charges, ils auraient été créés avant 1997 et beaucoup moins après. Or, en 2003, François Fillon a généralisé sans condition les aides aux bas salaires, mais l’emploi stagne. Les mesures libérales pures n’augmentent pas l’emploi, mais elles ont des effets ravageurs sur la qualité de l’emploi, laissant croire que le taux de chômage diminue, comme l’a montré le collectif Les Autres chiffres du chômage (ACDC).
Finalement, le potentiel de la RTT légale restant une menace, les libéraux s’acharnent depuis 2002 à raboter (« assouplir » !) les mécanismes mis en place : au moins trois lois ont été nécessaires pour « arriver au bout du système » : allongement des contingents annuels d’heures supplémentaires (220), heures sup’ choisies en plus « pour le salarié qui le souhaite », rachats des jours RTT, alimentation des comptes épargne temps par les repos compensateurs non posés et, enfin, révision annoncée des accords RTT d’entreprise.
Collectifs de salariés
La logique générale de ces procédés est évidente : c’est « une revanche sur les 35 heures », comme l’explique l’Observatoire unitaire des politiques sociales (Oups, sarkoups.free.fr), c’est-à-dire exploiter plus, extraire de la plus-value absolue par l’augmentation brutale de la durée du travail. L’illusion du « gagner plus » n’est en rien donnée par un meilleur salaire, au contraire. Le pouvoir d’achat tiré des heures RTT vendues, représente en fait une prime de surexploitation du travail, à taux de salaire horaire comprimé. Le « travailler plus » tue l’emploi en le dégradant, en le morcelant, en le déqualifiant. Beaucoup espèrent toucher un peu, mais peu seront élus à cette nouvelle manne, et les finances publiques seront bientôt soumises à un régime d’austérité pour faire payer la note finale aux ménages.
Les dégâts politiques de la RTT version Aubry sont cependant considérables, même si la droite met du temps à détruire l’idée même de RTT. Pour reconstruire un programme de relance de la RTT, plusieurs préconditions politiques sont maintenant nécessaires. La première est de reconquérir, dans l’urgence, une augmentation substantielle de la part des salaires dans la richesse produite. Rien ne sera possible sans ce préalable, qui passe par des luttes acharnées pour le Smic (1 500 euros net) et pour le salaire de base (300 euros pour tous). Ensuite, il faut obtenir l’abolition des mesures d’assouplissement incrustées depuis 2003, mais déjà autorisées sous Aubry, et le retour à la loi RTT générale, sans différenciation entre entreprises de plus et de moins de vingt salariés. La troisième condition impérative est le contrôle du travail. L’emploi ne peut être le simple résultat d’une gestion légale détachée de l’expérience concrète du travail. Ici et maintenant, la loi doit permettre aux collectifs de salariés de calculer les emplois à créer, de déterminer les conditions de travail à améliorer, ou de décider collectivement des horaires aménagés. Bref, il s’agit de mettre en cause le pouvoir patronal.