Nous, militants de la société civile engagés dans de nombreux mouvements de base et organisations citoyennes en Afrique et en Europe, nous sommes rencontrés à Lisbonne du 7 au 9 décembre 2007 pour exprimer notre opposition et notre résistance aux politiques néolibérales que les gouvernements européens et africains mettent en œuvre dans nos pays, et dont ils veulent faire le cadre structurant du « Partenariat stratégique Afrique-UE ».
Alors que les dirigeants de deux continents se rassemblaient à Lisbonne pour décider du futur de l’Afrique, nous nous sommes réunis pour approfondir le dialogue politique et social entre nos peuples car nous défendons notre droit à résister et proposer des alternatives à ces politiques, et nous avons confiance en notre capacité à les mettre en pratique.
Les participants africains comme européens ont noté le rôle passé et présent des gouvernements et des acteurs économiques européens en Afrique ; ils ont insisté sur le fait que l’Europe constitue la source de menace et de pression la plus directe pour les peuples d’Afrique. Nous considérons que le Partenariat stratégique UE-UA représente une menace cohérente et immédiate pour l’Afrique et nous rejetons ses principes et son plan d’action.
Nous dénonçons également la politique européenne en matière de visas, qui a empêché hommes et femmes impliqués dans les mouvements sociaux africains d’être présents à Lisbonne pour participer à nos débats sur les alternatives que nous souhaitons promouvoir. Nous leur dédions cette déclaration.
Au cours de nos échanges, confrontions et débats intenses sur les quatre principaux thèmes de préoccupation commune, nous avons identifié de nombreux enjeux, à partir desquels nous avons choisi de prioriser les propositions suivantes :
Sur le développement économique
En tirant partie de l’endettement externe de la plupart des pays africains, les gouvernements européens, agissant notamment à travers le FMI, la Banque mondiale et plus récemment l’OMC, leur ont imposé des programmes d’ajustement structurel radicaux. Après plus de 2 décennies de libéralisation commerciale et de promotion de modèles économiques fondés sur la croissance des exportations, la libéralisation des marchés de capitaux, la promotion d’investissements étrangers et la privatisation des services publics dans les pays africains, les effets négatifs sont évidents et confortent notre opposition à de telles politiques et institutions.
Plus récemment les pays africains, tout comme ceux des Caraïbes et du Pacifique, ont été confrontés à la perspective de voir ces politiques encore renforcées à travers les APE proposés par l’UE.
Dans ce contexte nous demandons que :
• Les gouvernements européens cessent d’imposer des politiques économiques destructrices aux pays africains à travers le FMI, la Banque mondiale, l’OMC et tous les acteurs commerciaux bilatéraux et régionaux
• Les gouvernements européens et les banques annulent immédiatement la dette externe de l’Afrique et reconnaissent leur dette écologique et sociale à l’encontre du continent
• La Commission européenne cesse d’exercer des pressions sur les gouvernements africains et qu’ils retirent leurs demandes concernant les APE
• Les gouvernements africains résistent à ces pressions en refusant de signer les APE
• Les entreprises multinationales européennes mettent fin à l’extraction prédatrice des ressources naturelles africaines, à la destruction des équilibres écologiques et à l’exploitation des peuples
Nous en appelons aux citoyens européens afin qu’ils rejettent le dit « nouveau traité » européen, qui renforce le pouvoir de la Commission européenne en matière de commerce et de développement, et réduit davantage la capacité des citoyens à influencer démocratiquement ses politiques.
Sur la souveraineté alimentaire, l’agriculture et les ressources naturelles
Nous faisons notre le principe de souveraineté alimentaire que les mouvements citoyens, dans toutes les régions du monde, érigent en alternative au modèle néolibéral de production agricole et alimentaire fondé sur l’agrobusiness et le contrôle des transnationales.
Parmi les menaces au droit à l’alimentation et au droit des communautés à produire elles-mêmes leur nourriture, nous dénonçons avant tout les suivantes, tout en nous engageant à les combattre ensemble :
• La libéralisation de l’agriculture et du commerce à travers l’ajustement structurel, la réforme de la PAC, les APE ou l’Accord sur l’agriculture de l’OMC
• La perte de souveraineté politique par les Etats africains, privés de la capacité de soutenir leurs agricultures et de protéger les marchés régionaux et locaux
• Les politiques qui promeuvent la privatisation des semences et de la biodiversité, propagent les OGM, et le concept de propriété intellectuelle tel qu’il est utilisé et revendiqué par les multinationales de l’agrobusiness
• La création d’un marché global de biocarburants, encouragé par la fixation d’objectifs européens en la matière et la création de subventions à leurs productions
• Les politiques foncières qui favorisent les multinationales au détriment des paysans et des générations futures
• Les stratégies pour le développement agricole de l’Afrique, dominée par les bailleurs internationaux membres de l’UE ou l’OCDE
Nous défendons le droit des pays d’Afrique et d’Europe à soutenir les petits producteurs agricoles à travers des politiques publiques dès lors que ce soutien n’affecte pas négativement les paysans des autres pays et régions.
Sur les droits humains
Nous dénonçons le soutien octroyé par l’UE aux régimes autoritaires et dictatoriaux en Afrique, tout comme les violations des droits humains et les entraves à la démocratie fréquentes en Europe comme en Afrique.
Les conventions et les règlements existent mais demeurent lettre morte dans les faits. Nous en appelons aux Etats d’Afrique et d’Europe et leurs organisations régionales pour qu’ils soutiennent la démocratie et les droits humains, en particulier à travers les engagements suivants :
• Soutenir le développement d’une culture démocratique, en particulier à travers des processus électoraux transparents et crédibles, associant la société civile à toutes leurs étapes (depuis l’éducation civique jusqu’à la supervision des élections) ; dans cette perspective nous condamnons la responsabilité des Etats membres de l’UE dans le commerce international d’armements
• Contrôler, par la mise en œuvre d’instruments légaux contraignants, les entreprises multinationales, et particulièrement celles actives dans le champ des industries extractives, afin que cessent les violations des droits humains et leur implication dans les conflits locaux et régionaux et qu’elles deviennent responsables, dans leurs propres pays, des infractions et délits qu’elles commettront à l’étranger
• Donner plus d’espaces aux contre-pouvoirs tels que les organisations citoyennes et les medias alternatifs, par exemple en facilitant leur implication dans les processus de paix
• Développer la démocratisation, à travers le renforcement du rôle des Parlements, notamment le Parlement européen, promouvoir des mécanismes d’élaboration et de décision politique qui soient transparents et cohérents, enfin rendre les institutions politiques communautaires et des Etats membres responsables devant les citoyens
• Promouvoir les droits humains, notamment les droits sexuels et reproductifs des femmes ; nous rejetons les violences sexistes, les mariages forcés et toutes les autres pratiques qui constituent des violations des droits humains et tuent des milliers de femmes et de fillettes chaque année
• Promouvoir la liberté d’expression et de presse, promouvoir la Cour africaine sur les droits humains et toutes les autres institutions de même nature à l’échelle des Etats ou des régions, et leur accessibilité pour les sociétés civiles
• Obtenir des IFI, de l’OMC et des autres accords commerciaux, la reconnaissance du droit à l’alimentation, à l’éducation, à la santé et à tous les autres services de base
Sur les migrations
Considérant que :
• Les politiques migratoires actuelles sont conçues en fonction de préoccupations sécuritaires et d’une logique d’exploitation des êtres humains, qu’elles criminalisent les migrations et menacent leurs droits à la fois en Europe et en Afrique
• L’émigration massive est largement le produit des politiques européens qui dénient la reconnaissance de leurs droits économiques, sociaux et culturels aux populations africaines, en premier lieu desquels le droit à l’alimentation
• Que les politiques migratoires actuelles sont racistes et, loin de prendre en compte les besoins réels de développement des sociétés, ruinent toute possibilité de développement durable
Nous rejetons :
• L’externalisation des contrôles aux frontières imposée par l’UE aux gouvernements africains, désormais responsables de sa mise en œuvre
• La politique de détention, d’expulsion, de déportation et les accords de réadmission
• Le programme Frontex, qui représente un énorme investissement vers la militarisation du contrôle des frontières, créant les bases pour des interventions directes dans les pays africains et exprimant une véritable déclaration de guerre aux migrants
• Toutes les mesures et les politiques qui promeuvent exclusivement les migrations temporaires mais systématisent la fuite des cerveaux
• Toutes les politiques économiques et les accords commerciaux suscitant la restructuration des économies locales, l’accroissement des inégalités sociales et la destruction de l’emploi local et des revenus
Nous demandons que :
• Les politiques migratoires soient basées sur la reconnaissance des droits humains fondamentaux et des droits du travail garantis par les instruments et protocoles de l’ONU et de l’OIT, notamment la liberté de circulation et la reconnaissance du droit d’asile et des statuts de réfugiés de la faim et de réfugiés environnementaux
• Tous les gouvernements européens ratifient et mettent en œuvre la Convention internationale sur le droit des travailleurs migrants et de leurs familles, et qu’ils assurent la pleine mise en pratique du droit d’asile
• La reconnaissance des droits fondamentaux, dont l’éducation, la santé, le logement, pour les sans-papiers, et leur régularisation inconditionnelle
Ces préoccupations et ces aspirations nous ont réunis à Lisbonne.
Nous nous engageons à renforcer les solidarités interrégionales et la coopération entre nous mouvements et nos organisations, et à construire des alternatives centrées sur les droits des peuples.
En particulier nous continuerons à faire campagne pour :
• Stopper les Accords de partenariat économique (APE)
• Stopper la Stratégie dite “Global Europe” sur la compétitivité interne et externe de l’UE
• Soutenir le moratoire sur les biocarburants
• Obtenir la liberté de circulation pour tous
Nous travaillerons pour faire émerger de nouvelles stratégies de développement économique fondées sur la solidarité, la complémentarité, la paix et la satisfaction des droits humains de tous les peuples d’Afrique et d’Europe. Nous utiliserons un certain nombre d’échéances du calendrier des mouvements citoyens et sociaux d’Europe et d’Afrique tels que…
• La Journée d’action globale du Forum social mondial le 26 janvier 2008
• La 12e réunion de la CNUCED (Accra, avril 2008)
• La Conférence sur l’Europe globale et les Accords de libre-échange européens (Bruxelles, avril 2008)
• Le 5e Forum social européen (Malmo, septembre 2008)
• Le Forum social mondial des migrations (Madrid, septembre 2008)
… afin de relier nos initiatives, construire nos alliances et créer les conditions d’un monde juste et stable sur le plan écologique.
Lisbonne
9 décembre 2007