Conférence sociale : l’araignée tisse sa toile
Sarkozy change constamment de terrain. Contesté sur le pouvoir d’achat, il poursuit sa tactique de « saturation » de l’espace public en remplissant l’agenda social 2008. Les élections municipales n’ont nullement l’air de freiner son ardeur. Le programme donne le tournis : fin des 35 heures, législation sur le contrat de travail (février), travail du dimanche. Hors conférence, de nombreux rendez-vous se planifient aussi sur la santé, son financement (TVA « sociale » le retour), l’hôpital… La cerise sur le gâteau est la réforme de la représentativité syndicale, des mécanismes qui structurent les relations et le poids des confédérations et du patronat depuis un demi-siècle. La révélation des méthodes surannées de l’UIMM n’est pas un hasard : des forces puissantes sont décidées à faire le ménage. L’enjeu est de combler enfin ce que des ingénieurs sociaux et autres experts, tels Raymond Soubie, conseiller de Sarkozy, nomment le retard français du système de relations sociales. Syndicats, patronat, pouvoirs publics, sont sommés de coproduire et cogérer les contre-réformes. Il s’agit ni plus ni moins d’en finir, si possible, avec la lutte des classes.
Négocier un « agenda social » était l’une des vingt « actions » préconisées par Dominique-Jean Chertier, dans son rapport sur la « modernisation du dialogue social », qui a débouché sur la loi de janvier 2007, obligeant les partenaires sociaux à « une concertation préalable », pour les « relations individuelles et collectives du travail ». C’est ce qui s’applique sur le contrat de travail depuis septembre, et qui devrait accoucher dans une méga-séance finale de 48 heures, les 9 et 10 janvier. Ces procédures se calquent sur les articles 138 et 139 du Traité CE, laissant 9 mois aux partenaires pour négocier une proposition de la Commission. Institutions, syndicats, associations, etc, sont invités à être des auxiliaires de la gouvernance générale des affaires...
Pour décider quoi ? Lessiver totalement les 35 heures jusqu’à faire oublier qu’elles ont été la seule réforme d’origine non patronale négociée dans les dix dernières années. C’est faisable, grâce aux lois Aubry de complaisance avec les exigences patronales. Le retard salarial est tel que les syndicats, moyennant quelques euros de plus, risquent d’avaliser des dérogations aux accords des années 2000 ou 2001, pour peu qu’elles soient signées par des blocs syndicaux majoritaires (principe réclamé par la CGT et la CFDT).
Sur le contrat de travail, la CGT s’aperçoit tardivement qu’il conviendrait « d’opposer l’unité des syndicats et des salariés au front uni Medef/gouvernement » (tract CGT). Maryse Dumas, négociatrice CGT, explique cependant (Le Peuple du 12 décembre) qu’un « front uni apparaît difficile », parce que, pour certains, l’accord est « une fin en soi ». Elle ajoute qu’il n’y aura pas de « constat partagé » avec le Medef. Le couperet législatif est déjà installé par Fillon au-dessus des négociateurs. Sur toutes ces questions, c’est la nécessité d’états généraux unitaires, associant syndicats, inspecteurs du travail, chercheurs, qui aurait dû être le préalable aux discussions sans contrôle.
Dominique Mezzi
FONCTION PUBLIQUE : Un avertissement clair
Quelques jours après le premier conseil de « modernisation des politiques publiques », le mépris que le gouvernement a affiché, en refusant aux fonctionnaires toute augmentation générale des salaires, ne fait que confirmer l’évidence : sa volonté d’attaquer le statut de la fonction publique. Une grève est prévue le 24 janvier.
Après la journée de grève et de manifestations du 20 novembre dernier, les syndicats de fonctionnaires avaient refusé d’envisager une nouvelle journée de grève, sans même parler d’un mouvement réel, parce que, avaient-ils dit, le ministre de la Fonction publique, Éric Woerth, s’était engagé à centrer une future négociation salariale autour du point d’indice. Ils sont ressortis très mécontents de ladite négociation, le lundi 17 décembre, menaçant d’appeler à une nouvelle journée en janvier.
L’attitude du ministre a été d’autant plus méprisante et provocatrice que les syndicats s’étaient dérobés devant la lutte nécessaire. Non seulement, il a affirmé que 75 % des fonctionnaires avaient vu leur situation salariale s’améliorer, quand les syndicats estiment la perte de pouvoir d’achat à 6 % entre 2000 et 2006, mais il a confirmé sa volonté d’imposer la rémunération individuelle, au mérite, en baptisant celle-ci de « garantie individuelle du pouvoir d’achat ». Il s’est même payé le luxe de présenter la suppression, dans les années qui viennent, d’un poste de fonctionnaire sur deux partant à la retraite – soit 35 000 postes par an – comme une promesse d’une meilleure rémunération pour ceux restant en poste. Et de laisser entendre que les fonctionnaires, qui ont perdu du pouvoir d’achat selon lui, à savoir 24 %, devenus d’ailleurs ensuite 17 %, pourraient bénéficier d’une revalorisation de leurs salaires. Sans même se donner la peine de chiffrer quoi que ce soit.
Cinq jours auparavant, le 12 décembre, s’était tenu le premier « conseil de modernisation des politiques publiques ». Sarkozy, sans reprendre l’ensemble du discours qu’il avait fait à Nantes, le 19 septembre dernier, y a réaffirmé sa volonté de mener à terme la réforme de l’État : « Il faut cesser d’en parler, il faut la faire. » Et, même si les 97 mesures d’économie prises à l’issue de ce conseil ne sont pas très significatives, elles s’inscrivent dans l’offensive menée par le gouvernement pour en finir avec la fonction publique. Le plus gros viendra après les municipales, mais la disparition des tribunaux, contre laquelle se battent actuellement magistrats et avocats, avec le soutien d’une partie de la population des petites villes, en donne une idée, comme également la fermeture des petits hôpitaux et des maternités, la fusion des administrations des Impôts et du Trésor, ou de l’ANPE et de l’Unedic.
Des centaines d’audits, confiés à des cabinets privés la plupart du temps, étudient toutes les économies qui peuvent être faites en supprimant ce qui deviendrait des « doublons ». Dans le cadre de cette réorganisation, résultat de la « révision générale des politiques publiques », le gouvernement compte imposer une plus grande « mobilité » pour les fonctionnaires. Il présente pour l’instant celle-ci comme un « droit », mais il est déjà question « d’indemnité de départ volontaire »… L’ensemble de cette politique est, officiellement, justifiée par la lourdeur de la dette, tandis que députés et sénateurs votent, jour après jour, de nouveaux cadeaux aux patrons et aux plus riches.
La lutte pour des augmentations générales de salaires est à l’ordre du jour dans la fonction publique. Pas seulement parce que les salariés y ont connu la même perte de pouvoir d’achat que dans le privé. Pas seulement non plus parce que l’augmentation des salaires est la seule façon de compenser la hausse accélérée du coût de la vie. Il s’agit aussi de faire la lumière sur ce qui coûte cher à la collectivité, dans la politique de l’État, et de bloquer les réformes qui conduisent à la disparition aussi bien du statut de fonctionnaire que des services publics. Cela, bien entendu, ne peut se faire qu’à travers un vrai mouvement de grève, capable d’inspirer confiance, de susciter initiative et énergie, et qui s’inscrive dans la préparation d’un mouvement général de toute la population.
Galia Trépère
Atteinte au contrat de travail
La fin d’année peut être propice aux mauvais coups, qui peuvent surgir de la négociation sur le contrat de travail, la sécurisation des parcours professionnels et l’indemnisation du chômage. Les « partenaires » sociaux (confédérations, Medef, CGPME) sont étonnamment discrets sur ce qui se dit chaque vendredi, et c’est le gouvernement qui attire l’attention, en menaçant de légiférer à la hussarde au cas où les « partenaires » perdraient du temps. Cependant, depuis quinze jours, les choses se précisent. Le Medef veut obtenir l’allongement de la période d’essai à six mois pour les CDI (un an pour les cadres), une rupture « à l’amiable » du contrat de travail, sans prononcer de licenciement, certifiée par un « officier ministériel », l’accord des deux parties ayant « l’autorité de la chose jugée », excluant le recours au tribunal. Ainsi, se trouverait « sécurisé » le licenciement… pour le patron. Le Medef veut encore faire acter un CDI à « objet précis ». Il admet du bout des lèvres qu’en cas de licenciement, il puisse y avoir transférabilité de certains droits dans l’entreprise nouvelle, mais pris en charge aussi par les salariés !
Le Medef n’est pas totalement unanime derrière sa propre délégation, et il se pourrait que certains attendent un enlisement pour permettre à Sarkozy de se déchaîner. Face à cela, des « rapprochements » se font jour entre la CFTC, la CFDT, FO et, peut-être, la CGT. Les 9 et 10 janvier, un marathon de deux jours entiers de négocations est prévu. Fillon veut une loi en février.
Rouge
Le père Noël, c’est pour les riches
Les statistiques officielles sont bien obligées de l’admettre, les prix s’emballent. Les prix du pétrole ou des matières premières alimentaires, la surchauffe de l’économie mondiale, la course au profit alors que les places financières spéculent à la baisse, provoquent une spirale de la hausse. Les capitalistes, petits et grands, se bousculent pour s’approprier la part la plus grande possible de profit, et ce sont les salariés, la population, qui payent l’addition. Les gouvernements sont confrontés à un double problème : faire face au mécontentement et tenter d’entretenir la consommation, dans le cadre d’une concurrence de plus en plus vive. Et donc, faire pression à la baisse sur les salaires ! Aberration et folie d’un système où les gouvernements jouent en permanence le père Noël pour les riches, les rentiers petits et grands, pour le plus grand bonheur de l’industrie du luxe dont la publicité étale au regard des pauvres, à l’occasion des fêtes, son insolente santé.
Il faut bien, cependant, distribuer quelques miettes du festin au peuple. Sarkozy, le prétendu candidat du pouvoir d’achat, ne l’avait-il pas promis ? Ces miettes sont pires qu’une provocation, elles se voudraient un piège. Le gouvernement redistribue, certes, un peu de pouvoir d’achat, tellement peu mais, surtout, il veut battre en brèche les accords collectifs, dénoncer toute augmentation globale des salaires afin d’imposer les augmentations individualisées, au « mérite ». Des miettes pour inciter à travailler plus et accentuer la concurrence entre les salariés eux-mêmes. C’est le sens du projet de loi sur le pouvoir d’achat qui se discute à l’Assemblée nationale. C’est le sens aussi de la politique du ministre de la Fonction publique, Éric Woerth, qui prétend mettre en place « un principe individuel de garantie du pouvoir d’achat ». L’imposture du candidat du pouvoir d’achat se révèle, et le sentiment d’avoir été dupé exacerbe le mécontentement. Yoplait, Carrefour, Géant Casino, Conforama, Darty…, les grèves se multiplient dans le privé, la convergence privé-public se pose… Refuser les miettes empoisonnées et exiger son dû est une nécessité. C’est une question de dignité aussi.
Yvan Lemaitre