BANGKOK CORRESPONDANT
Trente ans après la dégradation de leurs relations qui les avait conduits à une guerre frontalière meurtrière, la Chine et le Vietnam construisent, chacun de son côté, une liaison routière moderne destinée aux échanges entre deux parties enclavées de leur territoire respectif. L’autoroute, côté vietnamien, fait l’objet du plus important prêt jamais consenti pour un projet d’infrastructure unique par la Banque asiatique de développement (BAD), d’un montant de 1,1 milliard de dollars. Ce prêt a été finalisé le 14 décembre. Le représentant de la BAD au Vietnam, Ayumi Konishi, y a vu la preuve qu’« en une génération, (les deux pays) cueillant les fruits de la paix et de la coopération, sont passés des chars et des troupes au commerce et au tourisme ».
Mais moins d’une semaine auparavant, l’actualité était venue tempérer cet optimisme. Des manifestations se tenaient à Hanoï et à Ho Chi Minh-Ville, rassemblant des Vietnamiens se présentant comme des « patriotes », qui dénonçaient une décision des autorités chinoises de s’adjuger formellement une large portion de la mer de Chine orientale autour d’archipels à la souveraineté depuis longtemps contestée entre les deux pays. Pékin a fait entrer dans les textes, en novembre, une décision du gouvernement faisant des Paracel (au nord de la mer), de Macclesfield Bank (proche des premières), et des Spratley (au sud), une « cité » chinoise unique à l’échelon administratif du district (sous-division d’une province).
Ces trois archipels, d’un total de plus de deux cent cinquante îles désertes et épisodiquement recouvertes par les flots, sont l’objet des ambitions variables des puissances riveraines qui, outre la Chine populaire, en revendiquent tout ou partie pour les hydrocarbures et ressources métallurgiques que recèlent les eaux alentour : Taïwan, le Vietnam, la Malaisie, les Philippines, l’Indonésie et Bruneï.
Ces contentieux sont gelés depuis que la Chine et les membres de l’Association des nations du Sud-Est asiatique (Asean) se sont engagés, en 2002, à régler les litiges pacifiquement. En créant la municipalité de Sansha (« Trois sables », abréviation des noms chinois de Sisha, Zhongsha et Nansha), la Chine a relancé la polémique alors qu’elle multiplie les amabilités sur sa frontière terrestre avec le Vietnam.
Ce contraste illustre les tensions créées par l’émergence de la puissance chinoise, dopée par la croissance économique, pour sa périphérie, alors même que la volonté de coopération existe de part et d’autre. Dans le cas de la route de 250 km entreprise entre Hanoï et Lao Cai, à la frontière chinoise, et qui doit être reliée au réseau chinois, le bénéfice pour les deux parties est patent. Elle permet un accès à la Chine pour une région du Nord-Ouest vietnamien laissée à l’écart de l’essor économique récent du pays, centré autour des grandes villes et des côtes. En sens inverse, elle fournit à la région chinoise de Kunming, le chef-lieu du Yunnan, une voie directe vers les ports vietnamiens de Haïphong et Cai Lan, plus proches que ceux de la côte chinoise.
Les perspectives d’exploitation de l’axe à péage, qui sera ouvert en 2012, permettent d’envisager le remboursement du prêt sur dix ans, avec un trafic plus que quintuplé d’ici à 2022 par rapport aux 3 millions de véhicules par an actuels. Le projet, qui porte le nom de Grande route asiatique n° 14, fait partie d’un ensemble de liaisons modernes dans un programme auquel 27 pays du continent ont souscrit, représentant 140 000 km de quasi-autoroutes.
Le gouvernement vietnamien a d’ailleurs fait preuve de modération après la décision chinoise à propos des îles de mer de Chine méridionale. Son ministère des affaires étrangères a, certes, « rejeté fermement la création de la municipalité de Sansha incluant deux archipels vietnamiens », mais les autorités ont demandé, le 20 décembre, à la population de ne plus manifester contre la Chine. Fait significatif, toutefois, même la diaspora non communiste vietnamienne s’est émue : des Vietnamiens ayant fui le régime de Hanoï et depuis longtemps naturalisé américains ont manifesté à Manchester (Californie) en brûlant des drapeaux chinois. Et sur Internet, Hanoï est accusé de « se coucher devant Pékin ».