Implacablement, l’amiante poursuit son macabre travail. Deux nouveaux cas de maladie liée à la contamination par cette fibre viennent d’être annoncés à Genève, au Collège du Foron à Thônex. Avec une nouveauté peu rassurante : le bâtiment dans lequel les deux personnes ont été exposées à l’amiante n’a pas été floqué et, normalement, la forme sous laquelle la roche fibreuse a été utilisée était réputée plus stable. Si deux employés du personnel administratif et technique ont néanmoins pu être touchés, cela pourrait signifier, comme un adjoint scientifique du Service de la toxicologie industrielle le reconnaissait dans Le Temps du 20.11.07, qu’« une faible exposition à long terme est peut-être beaucoup plus dangereuse que l’on croit ».
Pendant ce temps, de l’autre côté du Gothard, la justice italienne — et indirectement les victimes de l’amiante et leurs proches — a gagné une première manche contre les tueurs à l’amiante. L’ex-Caisse nationale d’assurance, aujourd’hui germanisée en Suva, vient de se voir ordonner par le Département fédéral de justice et police de remettre aux autorités judiciaires italiennes les dossiers de 196 anciens travailleurs italiens d’Eternit en Suisse. Pour des raisons bassement financières, la Suva s’y était toujours refusée. Massimo Usel, président du Comité d’aide et d’orientation aux victimes de l’amiante (Caova) explique en effet à propos de cette assurance que « les maladies liées à l’amiante représentent sa principale dépense. Elle a donc tenté de la limiter. Le traitement d’une tumeur coûte entre 350’000 francs et 400’000 francs. L’indemnité à la famille d’un mort de l’amiante a été fixée à un peu plus de 80’000 francs. Une mort lui coûte donc moins que le traitement d’un malade. Cela explique pourquoi la Suva traîne les pieds » (Le Courrier, 19.1.07). Pour le plus grand profit des producteurs de l’amiante en Suisse, la famille Schmidheiny, dont l’un des frères, Stephan, ancien dirigeant d’Eternit, est la 221e fortune mondiale, selon le magazine Forbes. Il se donne aujourd’hui des airs écolos, comme président d’honneur du Conseil mondial des entreprises pour le développement durable. Voici en quels termes le CAOVA a accueilli la décision des autorités helvétiques :
Eternit et la Suva ne pourront pas empêcher la justice italienne d’ouvrir le procès des responsables des milliers de morts de l’amiante.
Sous des prétextes fallacieux, la Suva (Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accident) voulait refuser de transmettre les dossiers des victimes d’Eternit en Suisse, réclamés par la Justice italienne dès 2001. Le DFJP (Département fédéral de justice et police) vient de la contraindre à respecter ses obligations. Pour celles et ceux qui réclament que justice soit rendue aux victimes d’Eternit, ce succès a un goût amer. Par son refus de collaborer, la Suva a pu retarder le procès des responsables pour atteinte à la santé de centaines de salariés des usines Eternit en Suisse, de Payerne et Niederurnen.
Ce sont d’ailleurs ces mêmes procédés dilatoires qu’a utilisés la Suva pour contester l’indemnisation aux fumeurs, morts de l’amiante, jusqu’à ce que le Tribunal fédéral ne la rappelle à la raison. En effet, le 24 août 2007, il a cassé le jugement du Tribunal cantonal des assurances du canton de Vaud et admis que l’amiante a pu causer le cancer pulmonaire dont est mort G. L., employé d’Eternit à Payerne, et tant d’autres.
Eternit et la Suva tentent ainsi depuis cinq ans de bloquer le travail de la justice italienne, première institution judiciaire au monde à avoir ouvert l’enquête pénale sans attendre d’être saisie par les victimes et leurs proches.
Récemment, Monsieur Stephan Schmidheiny a tenté d’échapper aux questions des juges et des médias en voulant acheter les plaignants italiens pour quelques millions. Ces tentatives de « blanchiment » des responsabilités sont indécentes : la justice n’est pas à vendre. En lien avec les associations de victimes italiennes, le Comité de défense des victimes de l’amiante en Suisse (CAOVA) qui a apporté son témoignage à Turin n’admet pas que le milliardaire Schmidheiny fasse des offres financières aux associations de victimes pour ne plus avoir de plaintes en Italie.
Le CAOVA et l’ensemble des réseaux de soutien aux victimes de l’amiante dans le monde sont dans l’attente du procès pénal qui, à Turin, doit juger enfin les responsables des maladies mortelles de milliers de travailleurs d’Eternit en Italie et en Suisse. Plus le temps passe, moins il y aura de plaignants en vie, plus les prescriptions leur interdiront de demander réparation et plus l’amnésie sociale les en découragera.
Le procès de Turin doit avoir lieu sans plus tarder, un procès de la colère, celle des 3000 plaignants italiens, en écho à la mobilisation des centaines de milliers de victimes qui, de par le monde, réclament justice.
Le procès de Turin doit révéler au grand jour l’ampleur et la gravité du scandale d’Eternit. Voilà plus d’un demi-siècle que tout en sachant que l’amiante provoquait des cancers mortels, Eternit en a poursuivi, propagé et accru l’usage. Il aura fallu des centaines de milliers de morts pour que son utilisation soit enfin bannie en Europe et ce n’est que maintenant que les responsables de cette hécatombe sont poursuivis par la justice, laissant perdurer le commerce d’amiante sur les autres continents où les victimes commencent à apparaître et se mobiliser.
Outre l’amiante, des milliers d’autres toxiques sont introduits sur les lieux de travail, ou dans la consommation, et tuent. Pour prévenir la dissimulation et la délocalisation de ces risques mortels, le mouvement social de lutte contre l’amiante se mobilise pour la création d’un Tribunal pénal international du travail.
La vie de très nombreux travailleurs exposés à l’amiante par Eternit dans le monde est en sursis. Eternit –marque universellement présente sur tous les continents– continue à soutenir l’usage de l’amiante hors des frontières de l’Europe. Cela constitue un crime de non-assistance à personne en danger que ce Tribunal devra aussi juger.
Le CAOVA, 6 novembre 2007