SNCF : Une grève qui fait du bien
Ni victoire, ni défaite, la grève des cheminots laisse une combativité intacte .
La SNCF a connu sa plus grande grève depuis celle de l’hiver 1995. Depuis le 18 octobre, les cheminots ont explosé par deux fois le record de taux de grévistes. C’est un encouragement précieux pour l’avenir, notamment par la présence massive des jeunes dans ce conflit. La direction de la SNCF avait pourtant largement parié sur le fait que les jeunes, embauchés après les grèves de 1995 et passés à la moulinette du management, allaient devenir les béni-oui-oui de l’entreprise. Peine perdue, tous les jeunes embauchés, qui ont connu la précarité dans leur cursus professionnel antérieur, ne veulent pas revivre la même chose à la SNCF et sont prêts à se mobiliser.
Si l’unité syndicale a été un élément précieux pour débuter le mouvement, des divergences sont rapidement apparues sur les revendications à porter. Concernant les points essentiels – maintien des 37,5 annuités, absence de décote par années manquantes, maintien de l’indexation des retraites sur les salaires et refus d’un double statut pour les nouveaux embauchés –, on sentait bien que cela coinçait au niveau des directions syndicales. Dès le début, la CFDT a annoncé la couleur, en reculant d’emblée sur les 37,5 annuités, ce qui n’a pas empêché quelques équipes syndicales de rester dans la grève jusqu’à la fin. À Force ouvrière (FO), la fédération cheminote maintenait le cap sur les revendications essentielles, mais les déclarations de son secrétaire confédéral ne pouvaient que mettre le doute sur les objectifs réels de FO. Du côté de la CGT, la volonté affichée de Bernard Thibault de trouver un accord avant même le début du conflit est apparue comme une aspiration à contourner le mouvement. La fédération cheminote apparaissait plus combative, notamment sous la forte pression de sa base, malgré un discours alambiqué, parfois volontairement incompréhensible, notamment sur les 37,5 annuités. La fédération SUD-Rail, quant à elle, a fermement maintenu les principales revendications, par ailleurs portées par les assemblées générales.
D’emblée, la lutte s’annonçait serrée, et rien ne disait que la victoire était au bout de la grève. Il est vrai qu’un certain nombre de cheminots avaient un doute sur leur capacité à faire reculer le gouvernement sur les 37,5 annuités ou la décote. Mais le manque de volonté affichée pour se battre sur les points essentiels ne pouvait donner suffisamment de confiance à la grande majorité, déjà sous pression médiatique et gouvernementale. Le rôle des syndicats est de préparer les cheminots en fonction du niveau de la lutte à mener, et non d’apparaître en retrait par rapport aux attaques.
La question que l’on peut se poser, après dix jours de grève, est simple : les cheminots ont-ils perdu ? Nous pensons que non. Non qu’ils aient gagné, bien sûr, même s’il y a eu quelques avancées à la marge (ouverture de négociations jusqu’au 18 décembre, intégration de certaines primes dans le calcul de la prime de fin d’année, ou rajout d’un échelon d’ancienneté, etc.), il n’y a pas de quoi monter sur les tables pour crier victoire. En fait, l’enjeu de cette grève était double : il s’agissait pour le gouvernement d’infliger une défaite en rase campagne à un secteur combatif de la classe ouvrière du pays. Sarkozy avait prévenu : il était prêt à envoyer l’armée et à mettre les cheminots KO debout. De cela, il n’en est rien. Il ne s’agit pas de se raconter des histoires pour se rassurer à bon compte, mais le climat à la SNCF n’est pas à l’abattement, au contraire. Pour beaucoup, la démonstration est faite que l’action collective est une force qu’il faudra de nouveau utiliser.
Nombre d’assemblées générales, en votant la reprise du travail, votaient des motions demandant des préavis de grève pour le mois de décembre, ou la tenue d’une manifestation nationale de cheminots au premier jour de l’ouverture des négociations. Déjà, une proposition d’action sous forme de rassemblements, le 4 décembre, circule. Bref, les cheminots n’ont pas dit leur dernier mot, et ils sortent renforcés de ces dix derniers jours : les négociations à venir se feront sous pression.
Le secrétariat cheminots de la LCR
RATP : Le compte n’y est pas
Les cortèges de la RATP à la manifestation parisienne du 20 novembre étaient très nombreux, combatifs, et ils comptaient énormément de jeunes. Aujourd’hui, même après la reprise du travail, complète à partir du samedi 24 novembre, nous ne sommes pas résignés.
Au lendemain de la première réunion de négociation tripartite, qui avait lieu le mercredi 21 novembre, la CFDT, l’Unsa, la CFE-CGC et la CFTC ont estimé avoir « obtenu des avancées significatives ». Seuls SUD-RATP et FO ont appelé à poursuivre le mouvement, la CGT s’en remettant aux assemblées générales sans prendre clairement position. À cela, s’est ajouté le fait que la mobilisation à d’autres secteurs de salariés ne semblait guère possible, malgré le succès de la journée du 20 novembre dans la fonction publique. Dans ces conditions, et alors que la plupart des grévistes avaient déjà perdu 700 euros minimum, s’est effectuée la reprise, progressivement jusqu’au 24. Ceux qui voulaient continuer ne se sentaient pas la force de le faire, de façon minoritaire, et surtout en risquant de se couper de leurs collègues.
Les négociations doivent durer jusqu’au 13 décembre. Elles portent, selon la direction de la RATP, sur le « dispositif d’évolution des rémunérations et carrières », la « spécificité des métiers et des parcours professionnels » et « la prise en compte d’éléments de rémunération pour le calcul de la pension ». Il est clair que le gouvernement n’entend pas lâcher sur le cadre de la réforme (les 40 ans, la décote et l’indexation des pensions sur les prix) et personne n’a d’illusion sur le fait qu’une menace de reprendre la grève, en fonction du résultat des négociations, comme l’a dit Bernard Thibault (CGT), pourrait influer sur le résultat de celles-ci.
Pour nombre de salariés de la RATP, la logique des organisations syndicales aboutit à négocier des reculs. Si les 40 annuités sont très majoritairement admises par les salariés, les questions de décote et d’indexation sont des casus belli pour l’ensemble des grévistes. Accepter des reculs sur ces deux points équivaudrait, pour tout le monde, à une véritable trahison de la grève.
Correspondants
EDF-GDF : Négocier pour aller où ?
À EDF-GDF, les fédérations syndicales n’ont pas même attendu la suspension de la grève à la SNCF et à la RATP pour entrer en négociation. Dès le lundi 19 novembre, le processus de négociation était sur les rails, avec un calendrier portant au 20 décembre la séance de conclusion. « Pour le réveillon », ironisent certains .
Le menu est copieux : rémunérations, épargne retraite, gestion des carrières des seniors, droits familiaux et conjugaux, spécificités des métiers… Le tout, bien évidemment, dans le cadre gouvernemental de la réforme des régimes spéciaux de retraite – l’allongement à 40 ans de cotisation, les décotes et les principes d’indexation. Certes, la CGT et FO, en particulier, persistent à déclarer leur opposition à la réforme. Mais leur implication dans ce cadre de négociation ne constitue-t-elle pas, de fait, son acceptation implicite ?
Le piège, tant redouté, de se retrouver enfermé, entreprise par entreprise, dans une démarche d’accompagnement pour « amortir la casse » n’est-il pas en train de se refermer ? Dans les faits, la construction du rapport de force a été écartée au profit de la négociation, sans aucune garantie sur le point de sortie. Pour beaucoup d’agents d’EDF-GDF, c’est la deuxième fois depuis 2004 qu’ils ont le sentiment que cette stratégie syndicale s’inscrit dans le recul, le renoncement, et que l’affrontement avec le gouvernement est évité à tout prix. Il y a trois ans, c’était la loi de transformation d’EDF et GDF en sociétés anonymes et l’ouverture du capital. Aujourd’hui, c’est autour d’un des aspects essentiels du statut du personnel. La même stratégie syndicale qui conduit de défaite en défaite.
Il est certain que les interrogations, les mécontentements ou la colère animent les nombreuses discussions entre salariés. Il est difficile de croire que les négociations vont, par miracle, faire reculer le gouvernement. En tout cas, chacun est bien persuadé que, si le personnel ne reprend pas la grève et que si celle-ci ne se coordonne pas mieux avec les cheminots et les traminots, rien de bon n’est à attendre.
Jean-Pierre Dino
Rien n’est réglé…
Sarkozy, avant de partir faire le VRP en Chine, est sorti d’une semaine de silence pour se réjouir : « La réforme se fait […]. Elle se fait parce que la méthode choisie a été celle de la fermeté et du dialogue. » Son sens du dialogue ne l’a pas empêché d’agresser les cheminots, accusés de prendre en otages les usagers, avec lesquels Sarkozy dit partager une prétendue « exaspération ». François Fillon, lui, en rajoute, parlant de « tournant historique ». Nous serions entrés dans une autre époque. Finie la lutte des classes, les vœux de la présidente du Medef, Laurence Parisot, seraient enfin réalisés… « Je ferai tout pour que dans le futur la culture du dialogue social dans notre pays progresse au détriment de celle du conflit », déclarait Sarkozy en rendant « hommage au sens des responsabilités dont ont su faire preuve les grandes organisations syndicales […]. C’était pas facile aussi pour eux. Et je compte que, dans l’avenir, elles sauront toujours préférer la négociation à la confrontation »…
Il est évident que, de ce point de vue, Sarkozy et Parisot ont remporté un succès. Leur politique, qui cherchait à mettre les syndicats à genoux avec leur propre consentement, en poussant jusqu’au bout la logique de leur capitulation, et en particulier celle de la direction de la CGT, est un succès. Bernard Thibault a marqué un point contre François Chérèque (CFDT) pour devenir l’interlocuteur privilégié du pouvoir, donnant un coup de poignard dans le dos des grévistes, la veille du début de la grève. Sarkozy peut dire : « Je l’avais promis, je l’ai fait ». Mais ce succès n’est pas l’échec des travailleurs et de la grève. Grâce à la lutte des cheminots et des salariés de la RATP, l’ensemble des salariés a marqué des points.
D’abord, les grévistes ont été un sérieux grain de sable dans la politique de collaboration de classe des grandes confédérations syndicales. Ils ont mis chacun au pied du mur et cela, pour la suite, est une étape que nous n’avons pas à déplorer, même si l’éclairage jette une lumière crue sur l’état des confédérations syndicales. Ensuite, la grève a contraint le gouvernement à négocier des contreparties. Ce n’est pas une victoire, certes, mais un acquis de la lutte. Elle a démontré que les salariés, eux, ne se pliaient pas à la politique des réformes, de la remise en cause des acquis des luttes passées. Elle est dans la continuité de la mobilisation contre le CPE du printemps dernier. Elle est la démonstration que ceux qui, en 2005, avaient dit « non » à la « concurrence libre et non faussée » n’ont pas capitulé devant Sarkozy et le PS, qu’aujourd’hui, par la grève et dans la rue, ils disent non à la réforme. Une nouvelle génération, qui n’avait pas connu 1995, est entrée dans la lutte. Elle en ressort avec expérience et lucidité, elle cherche une politique, une perspective, une force capable de lui donner confiance, armes politiques, solidarité… La mobilisation des étudiants va dans le même sens, atteste de la politisation croissante de la nouvelle génération.
Les mobilisations pour la défense des régimes spéciaux, contre la loi Pécresse dans les universités, pour les salaires chez les fonctionnaires et, déjà, dans de nombreuses entreprises, participent d’une lutte d’ensemble pour inverser le rapport de force. D’une certaine façon, François Fillon, dans sa vantardise de Premier ministre qui rêve de se hisser au premier plan, n’a pas entièrement tort, une page est tournée, le tournant est historique.
Deux camps se mesurent et se préparent à l’affrontement. D’un côté, le patronat et son État, les partis institutionnels, tous les ralliés à la réforme, de l’autre, le monde du travail et la jeunesse. Et là est la défaite de Sarkozy, mais aussi de Hollande, dont le parti aura bien du mal à s’en remettre. Par-delà les sondages, le bluff et les rodomontades du pouvoir, le mécontentement monte dans tout le pays. La question du pouvoir d’achat va rattraper Sarkozy, au moment où les tensions sur les places financières de la planète exacerbent la concurrence. « Des angoisses, des attentes se sont exprimées ces dernières semaines sur le pouvoir d’achat et sur l’emploi », a cru bon de remarquer l’omniprésident, pour dire qu’il y répondrait à son retour de Chine… Mais il est d’ores et déjà certain qu’il ne peut y répondre, car il n’est pas question, pour lui, d’augmenter les salaires, les retraites, les minima sociaux. Il n’en est pas question et, dès le début 2008, il deviendra clair pour l’ensemble des salariés que les réformes des retraites ne visent qu’à faire baisser les pensions de l’ensemble des salariés. Le mensonge sur l’équité, invoquée pour en finir avec les régimes spéciaux, apparaîtra à chacun comme pur cynisme…
Oui, non seulement rien n’est réglé, mais la grève pour les régimes spéciaux a été le premier moment d’une mobilisation d’ensemble. Celle-ci mûrit, se prépare. Et le parti que nous appelons à construire, tous ensemble, ce sera le parti de ceux qui disent non à la réforme, non à la destruction des acquis du monde du travail, non à la « concurrence libre et non faussée », le parti de celles et ceux qui ne craignent pas d’engager la lutte parce qu’ils n’ont rien à négocier avec le pouvoir, si ce n’est le rapport de force qu’ils auront su construire avec les travailleurs et la jeunesse.
Yvan Lemaitre