Le Maroc est-il en train de renouer avec des pratiques d’une autre époque, celle des années de plomb ? La suspension de journaux, les condamnations de journalistes à des peines de prison ou à de très fortes amendes, la condamnation à de lourdes peines de prison à l’endroit de militants syndicalistes et associatifs donnent à penser que le royaume alaouite n’a pas tout à fait rompu avec un certain passé. Il en est ainsi de ces syndicalistes de l’UMT (Union marocaine du travail), de l’AMDH, d’ATTAC Maroc, de l’Association des diplômés au chômage et du Syndicat des travailleurs agricoles, qui purgent des peines de deux à quatre ans de prison depuis déjà près de six mois, et que les autorités refusent de libérer.
Les faits : le 1er mai 2007, plusieurs manifestations de salariés et de chômeurs dans plusieurs villes du pays ont été violemment dispersées et de nombreuses arrestations ont été opérées. Les slogans lancés lors de ces défilés exprimaient le ras-le-bol des salariés contre la détérioration continue de la situation socio-économique au Maroc et s’inscrivaient dans le cadre d’une liberté d’expression pourtant consacrée par les lois en vigueur. Il n’en reste pas moins que, déférés en flagrant délit devant la justice, quinze d’entre eux ont écopé de peines allant de deux à trois ans de prison sous l’accusation d’« atteinte aux valeurs sacrées du royaume ». Rien de moins.
Une justice expéditive que les ONG et les avocats des prévenus n’ont pas manqué de dénoncer. Le parquet a ainsi rejeté toutes les requêtes de la défense sur l’invalidité des procès-verbaux. Quant aux condamnés, ils affirment avoir été brutalisés et dans certains cas torturés, voire menacés de viol afin qu’ils avouent un crime qu’ils n’ont pas commis.
Plus grave, à la suite de ces lourdes condamnations, des manifestations et sit-in organisés dans plusieurs villes du royaume par les ONG et la société civile marocaine pour exiger leur libération ont été durement réprimées par la police. Le 5 juin à Beni Mellal, plusieurs militants d’une ONG locale ont été arrêtés et déférés devant la justice. Mohamed Bougrine, soixante-douze ans, a écopé d’un an de prison ferme. Le 15 juin à Rabat, la manifestation organisée par l’AMDH a été violemment dispersée. Qui plus est, des peines infligées en première instance ont été durcies en appel le 24 juillet dernier, passant de trois à quatre ans de prison.
Depuis lors, en plus des actions menées localement, un comité international pour la libération des détenus au Maroc, créé à l’initiative d’ATTAC Maroc, dont font partie de nombreuses personnalités françaises et étrangères, a constitué un dossier sur ces multiples atteintes aux droits de l’homme et a lancé un appel à l’opinion publique internationale pour faire cesser la répression en cours dans le royaume (1). Ce comité « s’engage à recourir aux différentes instances des droits de la personne, notamment celles relevant de l’ONU, auxquelles sera soumis ce dossier », lit-on dans son communiqué daté du 7 octobre.
(1) Parmi les membres du comité, Mohamed Harbi (historien), Noam Chomsky (linguiste), Nicole Borvo (sénatrice PCF), Jaques Fath (PCF), Alain Krivine et Olivier Besancenot (LCR), José Bové, Gilles Perrault (écrivain), Susan George (écrivain), Jamaï Abderrahim (avocat), Cherif Magyd (chanteur), Annick Coupé.