« Nous sommes interchangeables », disait Sarkozy lorsque son « collaborateur », Fillon, était sous le feu des critiques, pour sa sortie publique sur l’État « en faillite ». Fillon n’arrête pas de jouer les boutefeux. Mais sa chute de confiance dans l’opinion (11 points, selon la Sofres) entraîne tout l’exécutif vers le bas, et elle pourrait agréger toutes sortes de colères, aussi bien des secteurs populaires, qui découvrent la réalité des boniments présidentiels, que de la droite, inquiète à l’approche des municipales du nombre astronomique de réformes déclenchant des foyers de mécontentement partout : marins pêcheurs en colère sur le prix du fuel, magistrats en rébellion contre Rachida Dati, députés désertant les bancs de l’Assemblée quand il faut voter les franchises médicales… Sarkozy est déjà dans une zone de crise possible de sa légitimité arrogante.
Avec la grève reconductible du 14 novembre à la SNCF, la grève à EDF-GDF et la jonction probable avec la grande mobilisation qui s’annonce dans la fonction publique le 20 novembre, la question revient fréquemment : va-t-on vers une répétition de décembre 1995 ? Il y a une différence importante : Juppé et Chirac avaient fait un tournant à 180°, en octobre 1995, par rapport au discours de la campagne présidentielle. La déferlante de décembre s’était amorcée, puis amplifiée sur ce tête-à-queue. Sarkozy, comme il s’en vante, pratique la rupture qu’il avait annoncée. Le défi d’une stratégie alternative est donc d’emblée présent : il faut lui démonter sa base de cohérence et de popularité, en partie factice et reposant avant tout sur la démission d’une gauche subjuguée. Les discours des dirigeants du PS sont affligeants. Bien sûr, ils « ne sont pas contre une réforme » des régimes spéciaux, mais « dans l’équité », comme le dit Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l’Assemblée ! Ils accusent même ce gouvernement de provoquer des conflits sociaux, soutenant implicitement les « usagers pris en otage » dont des médias aux ordres s’apprêtent à défendre la cause prochainement. Avec cette gauche-là, Sarkozy peut dormir tranquille, et il le sait. Il peut même se préparer à l’affrontement, après avoir joué la main tendue. Mais l’histoire n’est pas encore écrite.
La situation nécessite une double stratégie convergente, venant du mouvement social, de sa capacité d’innovation, du syndicalisme unitaire, mais aussi des forces politiques de résistance. Face à la globalisation sarkozyenne, le syndicalisme doit montrer que les confédérations servent enfin à faire ce que leur nom indique : unir les salariés, au-delà des propagandes de division (privé-public, jeunes-seniors, travaux pénibles ou non), autour de revendications qui donnent des repères et du sens communs. Il convient donc d’assumer la portée politique générale de la lutte de grande dimension qui se prépare.
Trois questions forment déjà l’ossature d’une plateforme unitaire pour une journée nationale de reprise d’initiative politique du syndicalisme, pour arrêter de subir le calendrier du pouvoir ou de s’auto-paralyser par la concurrence. Sur les retraites, le comité de suivi du régime général vient d’annoncer péremptoirement (après Fillon) qu’en 2008, la discussion devait se conclure inéluctablement par l’augmentation à 41 du nombre d’annuités requises. Autrement dit, la bataille de 2008 a commencé (pas plus de 37,5 annuités, le taux plein à 60 ans). Sur les salaires, la provocation indécente de l’augmentation de 140 % de la rémunération de Sarkozy, mise en parallèle avec le refus d’augmenter le Smic, les salaires des fonctionnaires, et le fiasco du « gagner plus » dans le privé, met à l’ordre du jour, comme l’ont montré les salariés d’Air France, la nécessité d’un repère national autour de 300 euros pour tous, avec un Smic à 1 500 euros net.
Enfin, la négociation sur le contrat de travail doit sortir de son opacité. Le patronat a dévoilé tous ses plans : contrat de mission, licenciement à l’amiable sans recours juridique, allocations chômage détachées des cotisations des entreprises. Sur ces trois thèmes – retraites, salaires, sécurité d’emploi –, une mobilisation interprofessionnelle doit soutenir et élargir la grève reconductible des cheminots. Ce n’est pas la voie que semblent prendre les confédérations. La CFDT veut négocier non la réforme, mais son calendrier. Même la CGT explique à ses syndicats que, « pour l’heure », ce n’est pas « la coordination des revendications dans un seul rendez-vous qui est nécessaire », mais le « foisonnement » dans les branches et les entreprises. Autrement dit, éviter la confrontation et laisser les cheminots seuls. Mais gageons que, comme pour le 18 octobre, il y aura un foisonnement de structures interprofessionnelles et fédérales qui convergeront le même jour, du 14 au 20 novembre.
Les forces de résistance antilibérales et anticapitalistes ont, dans cette situation, une responsabilité écrasante. Il leur appartient de rassembler leurs forces dans la solidarité, d’amplifier le débat sur la perspective politique dont les mobilisations sont aujourd’hui privées. C’est ce à quoi la LCR entend contribuer.
Dominique Mezzi
EDF-GDF : provoquer le court-circuit social
Les salariés d’EDF et de GDF se préparent à reprendre, le 14 novembre, la grève si bien suivie le 18 octobre. Ils défendent leurs retraites mais, plus généralement, le service public.
Avec des taux de grévistes avoisinant 70 % en moyenne nationale, la grève du 18 octobre dernier ne peut pas rester sans lendemain. Ce mouvement de fond, qui a mobilisé les électriciens et gaziers, est l’un des plus puissants de ces quinze dernières années. À la distribution, où la déréglementation fait le plus de dégâts, des taux de 80 % de grévistes ont été constatés. À la production, les baisses de production ont atteint 10 000 mégawatts, obligeant EDF à acheter massivement sur le marché européen. La journée a également été émaillée de coupures ciblées sur les réseaux. La défense des acquis sociaux fondamentaux, identitaires et constitutifs du statut du personnel, est un véritable moteur pour rassembler, dans l’action, une très large majorité des salariés.
Le prochain rendez-vous est fixé au 14 novembre. La CGT et FO-Énergie ont appelé à la grève aux côtés des cheminots. Les autres fédérations syndicales annonçaient, quant à elles, attendre la fin de l’ultimatum fixé au lundi 5 novembre au soir pour appeler à la grève, « si le gouvernement ne revoit pas sa copie ». Compte tenu de l’état d’esprit des salariés, il sera très difficile aux fédérations syndicales de ne pas répondre aux attentes, d’autant que la période de préparation des élections professionnelles à EDF-GDF, fixées au 29 novembre, les invite à être prudentes et à l’écoute du climat social.
Pour autant, la stratégie d’action reste peu claire. Une succession de journées d’action ne suffira pas à faire plier Sarkozy. Le temps presse maintenant pour préparer un mouvement large et reconductible, qu’il faut opposer au gouvernement pour inverser la vapeur de la locomotive libérale.
EDF et GDF sont sous la menace d’une énième offensive. La Commission européenne a présenté un « nouveau paquet législatif », prochainement soumis au Parlement européen, franchissant un nouveau cap dans la déréglementation. Il s’agit purement et simplement d’imposer le démantèlement des opérateurs historiques, par la séparation absolue des fonctions de production et de distribution d’énergie, dites concurrentielles, d’avec les activités de transport. Leur maintien au sein d’une même entreprise ferait entrave à la libre concurrence. Il faut y ajouter la préparation – toujours en cours – de la fusion-privatisation de GDF avec Suez.
Pour les salariés, la lutte contre la privatisation et la défense du statut du personnel sont intimement liées. Beaucoup attendent des directions syndicales nettement plus de fermeté et d’ambition pour engager une action à la hauteur. Même si, à EDF-GDF, les fédérations syndicales font encore la sourde oreille, l’appel à la grève reconductible des cheminots représente d’ores et déjà un point d’appui.
Jean-Pierre Dino
ARTISTES : À 65 ans tous les p’tits rats sont gris
Le personnel de l’Opéra de Paris se mobilise pour ses droits à la retraite, dont la remise en cause se conjugue avec une menace de privatisation.
Le personnel technique de l’Opéra de Paris, après cinq jours de grève, à l’appel des syndicats SUD, FSU, FO, CGT, CGC, CFTC et CFDT, ayant entraîné l’annulation d’une dizaine de spectacles – une première depuis 10 ans –, tout comme les personnels de la Comédie française, envisagent de reprendre le mouvement, le 13 novembre.
Touchés, eux aussi, par la contre-réforme des régimes dits « spéciaux », les 1680 salariés permanents des différents sites parisiens (Opéra Garnier, Opéra Bastille, Opéra comique, le Vieux-Colombier et Studio Théâtre), les artistes (danseurs, chorégraphes) et les techniciens cotisent à une caisse de retraite autonome, mise en place depuis 1698.
Elle prend en compte les critères liés à l’exercice de leur métier. Les danseurs ne peuvent bien souvent exercer leur métier au-delà de 35 ans, tandis que les éclairagistes et les machinistes doivent installer des matériels lourds et coûteux, qui leur imposent souvent des arrêts de travail anticipés. Aujourd’hui, les personnels de l’Opéra ou de la Comédie française peuvent faire valoir leurs droits à partir de 40 ans pour les danseurs, 50 ans pour les choristes, et 55 ans pour les techniciens, qui travaillent sans horaires fixes.
La contre-réforme du régime de retraite des personnels de l’Opéra prévoit le désengagement de l’État (aujourd’hui, partie prenante de la caisse de retraite spécifique) et risque d’entraîner, non seulement l’accentuation des inégalités entre personnels artistique et technique, mais aussi le gel des embauches et donc du renouvellement générationnel et artistique de l’Opéra de Paris, l’un des plus réputés du monde.
Avec cette contre-réforme, la charge de travail reposerait désormais sur une équipe vieillissante et plus resserrée, alors même que la salle Favart, l’un des sites de l’Opéra jusqu’alors en travaux, rouvrira ses portes courant décembre et entraînera une série de nouveaux spectacles à assurer. Le désengagement de l’État entraînerait une faillite, à terme, de la caisse autonome de retraite et ouvrirait donc la porte à la privatisation partielle ou totale d’un pan entier du service public de la culture.
Suite à une rencontre avec la ministre de la Culture, Christine Albanel, qui n’a débouché sur aucune assurance concernant le régime spécifique de retraite, un nouveau préavis de grève devrait donc, de nouveau, être déposé pour le 13 novembre. Selon les termes mêmes d’un des responsables de l’Opéra de Paris, cette nouvelle grève devrait être encore plus suivie que la précédente. Un nouveau pas dans une riposte interprofessionnelle généralisée contre le gouvernement sur les retraites !
Yvan Guimbert