• Pourquoi avez-vous décidé de camper rue de la Banque ?
Samira – On n’en peut plus de vivre à l’hôtel. L’hôtel, c’est pour les touristes. Ce n’est pas un logement pour des enfants, des familles, des gens qui travaillent. C’est très difficile pour les enfants, pour faire les leçons et on ne peut pas recevoir de visite. Et puis, c’est très cher. Je paie 2 387 euros par mois pour 10 m2. La douche et les toilettes sont sur le palier. Et les aides sociales ne font qu’engraisser les propriétaires des hôtels.
Fofana – Nous vivons tous dans des hôtels et dans des conditions désastreuses, tant sur le plan financier que sur le plan familial. Cela ne nous convient pas. Nous vivons dans 10 à 12 m2, les enfants font parfois leurs devoirs dans les toilettes. Personnellement, je vis avec ma femme et mes enfants dans des hôtels depuis quatre ans. Nous sommes baladés d’un hôtel à l’autre. Nous en sommes à notre douzième hôtel. Depuis le mois de février, je suis dans un hôtel dans le 93 et mes enfants sont scolarisés dans le 20e. Nous avons décidé de ne pas les changer d’école, sinon c’est la catastrophe pour eux : pour les études, mais aussi parce qu’ils se sont fait des amis. La conséquence, c’est qu’ils doivent se lever tôt et qu’ils ne dorment pas assez, et je dois les accompagner parce qu’il faut prendre le train, le bus. On est là, en France, on travaille et on est oubliés dans les hôtels. On pourrait y rester indéfiniment si on ne bouge pas. Et c’est pourquoi nous nous sommes installés rue de la Banque, pour être visible, trouver des solutions pour toutes et tous, exiger un logement.
• Quelle a été la réponse du gouvernement ?
Fofana – Dès le départ, nous avons demandé à être reçus par Mme Boutin. On a dû attendre le 26 octobre et nous avions bon espoir. On s’attendait à ce qu’elle nous propose des choses concrètes. Mais elle ne nous a rien proposé. Cela nous a fait plus mal encore. Elle n’a pas de pitié, ni pour les enfants, ni pour les mamans, ni pour celles et ceux qui travaillent. Elle nous a dit qu’il y a des Français qui dorment dans des voitures et qu’il ne faut nous plaindre. Outre le fait que beaucoup d’entre nous sont français, cette réponse, qui consiste à dire « priorité aux Français », est raciste. Nous nous sommes sentis humiliés. Encore une fois, l’hôtel, c’est économiquement désastreux. Dans l’hôtel où je suis, la chambre est facturée 120 euros par jour, je dis bien 120 euros par jour. Et on met en jeu la vie de nos enfants. Il y a déjà eu des morts dans l’incendie d’un hôtel à Paris. Personne ne veut y retourner. Ras-le-bol. On travaille, et souvent on fait le sale travail, notamment dans le nettoyage, et on nous méprise. On veut être des citoyens comme tout le monde. Mme Boutin doit prendre ses responsabilités et donner des réponses concrètes, sans discrimination. Assez de baratin. J’ai l’impression qu’elle n’est même pas compétente dans son domaine. 300 familles sont venues camper pour exiger un logement. Elle ne peut leur dire : « Retournez dans les hôtels. » Qu’elle réquisitionne, plutôt que d’enrichir les marchands de sommeil. Il faut arrêter avec ces deux France : la France pauvre, qui n’a pas de place dans la société, et la France riche, qui s’enrichit toujours plus.
• Et les interventions policières ?
Samira – J’ai vécu cinq évacuations, très violentes. Des enfants qui pleuraient et qui criaient. Des mamans aussi. La police vient à 5 heures du matin, quand il n’y a pas de journalistes et personne dans la rue pour ne pas être vus. C’est inhumain.
Fofana – Il y a eu déjà six interventions policières. Mme Boutin nous a dit qu’elle ne veut pas voir de tentes, c’est trop visible, et elle préfère envoyer la police. La première fois, il y a eu beaucoup d’interpellations et on nous a emmenés dans le 18e arrondissement. Leur volonté, c’est de nous humilier, de faire du mal. À chaque fois, les interventions sont toujours plus musclées et toujours plus irresponsables. À chaque fois qu’ils viennent, il y a des traumatismes. J’ai vu des policiers qui marchaient sur des tentes où des bébés dormaient. Des mamans et des enfants sont brutalisés. Pourtant, ils sont assis tranquillement sur le trottoir, ce qui n’empêche pas les policiers d’arracher les enfants des mains de leurs mamans, puis d’embarquer ces dernières.
• Les difficiles conditions de vie rue de la Banque, l’absence de propositions du gouvernement et les multiples interventions policières n’entament-elles pas votre détermination ?
Samira – C’est dur la vie, rue de la Banque. Il fait froid, les enfants sont malades, et il y a cette absence de réponse de Mme Boutin. Tout le monde travaille. Ce n’est pas juste qu’on n’ait pas le droit à un logement. Mais on résistera jusqu’au dernier souffle.
Fofana – Les gens sont dégoûtés et déterminés. Ils ne veulent plus retourner à l’hôtel. Ce serait suicidaire. Ils ont cru que nous allions nous décourager. Mais c’est mal nous connaître, les femmes présentes, notamment, sont extraordinaires. Malgré le froid, la brutalité des interventions policières, elles sont déterminées, convaincues de leur bon droit. Dans les jours qui viennent, on est prêt à tout. On va d’abord se donner les moyens de tenir le campement. Au passage, il faut savoir qu’il y a des familles françaises « de souche » qui nous rejoignent. La solidarité des habitants du quartier s’amplifie. Nous allons amener les journalistes dans les hôtels, pour qu’ils voient les conditions dans lesquelles nous vivons et qu’ils en parlent. Il y aura aussi la manifestation de dimanche 11 novembre, qui partira à 14 heures de la rue de la Banque. On lutte pour toutes celles et tous ceux qui sont dans la même situation que nous. Notre revendication est simple : un logement pour toutes et tous. Même si Mme Boutin mobilisait les policiers de toute la France, cela ne nous ferait ni chaud, ni froid. On ne bougera pas.