« L’heure est grave ! », dit le tract unitaire de Haute-Loire (unions départementales CGT, FO, FSU, Solidaires), qui poursuit : « Pour défendre toutes les retraites, public, privé, tous en grève », le 18 octobre. Suivent les exigences unifiantes : retour aux 37,5 ans pour tous, calcul sur les dix meilleures années dans le privé, défense des régimes spéciaux, retraite à 60 ans. De telles plateformes, ou des variantes, couvrent aujourd’hui plusieurs dizaines de départements. Le 18 octobre a donc pris la dimension d’un début de mouvement global, alors qu’il n’était, au départ, qu’une journée « professionnelle ». Parfois, ce sont presque les mêmes formules de tract qui sont reprises, d’un département à l’autre, comme si les responsables les faisaient circuler, sans consigne confédérale. Dans la CGT, cela ressemble à un moment déjà vécu : le débat sur le traité constitutionnel... Avec, cette fois, une question syndicale et politique, « grave » : comment gagner contre un pouvoir qui prétend que rien ne l’arrêtera ? Claude Guéant, le numéro 2 officieux du pouvoir, assène : « Il n’y aura pas de recul possible » (Le Monde du 14 octobre). Quant à l’agitateur Fillon, il se spécialise dans le toujours moins : moins d’État, moins de personnel, moins de service...
Quelle est la force réelle du pouvoir ? Un sondage BVA-Les Échos montrerait que la « grève par procuration », qui faisait la légitimité des luttes depuis 1995, disparaîtrait le 18 octobre (grève jugée « injustifiée » à 53 %). D’autres indicateurs (CSA) montrent que la confiance dans le chef de l’État chute de dix points. Au-delà des chiffres, le volontarisme sarkozyen reste soutenu par les catégories populaires, mais Fillon perd douze points chez les ouvriers, quand il annonce la « rigueur ». Autrement dit, le libéralisme ancienne méthode ne passe toujours pas, mais la cohérence du système sarkozyen fait encore écran. Elle ne pourra s’effriter que par une voie interprofessionnelle, solidaire, unissant privé, public, précaires, dans le pays tout entier, vers un début de cohérence alternative. La journée du 18 octobre, par sa massivité, et donc son poids politique, démontre que c’est possible, après la manifestation du 13 octobre qui, pour la première fois à grande échelle, dénonçait les conditions inhumaines de travail, mais aussi les franchises médicales, deux thèmes liés.
C’est possible, mais à quelles conditions ? Sarkozy et Fillon veulent une revanche politique contre les salariés, qui ont fait trébucher le libéralisme à plusieurs reprises. Le projet de Xavier Bertrand est limpide : c’est un décret en phase terminale, la négociation est bidon, sauf à préparer une trahison. Les confédérations syndicales ne peuvent en aucun cas empêcher quoi que ce soit sur les retraites de tous, lors du rendez-vous de 2008, si elles laissent les cheminots, les électriciens et la RATP perdre leurs acquis à la fin 2007. Le donnant donnant de François Chérèque (CFDT), le 15 mai 2003, acceptant la contre-réforme Fillon (40 annuités pour tous, baisse des pensions) contre le droit de partir plus tôt pour les carrières longues, est déjà méprisé par Fillon lui-même, qui prétend que la loi de 2003 a déjà écrit celle de 2008. Il n’y a pas de donnant donnant possible sur le dos des régimes « spéciaux ».
La CGT a rendu public un mémorandum démontant les mensonges du projet de Xavier Bertrand. Il se termine par deux propositions, dont la portée peut être unifiante : généraliser à tout le salariat la réparation de la pénibilité au travail par des bonifications de départs anticipés, en fonction des durées d’exposition aux risques, et retourner à l’indexation des pensions sur le salaire d’activité (derniers salaires dans la fonction publique, dix meilleures années dans le privé). Mais il manque seulement un « détail » : retraite complète garantie après 37,5 annuités et refus de toute décote ! L’argument - contre les 37,5 annuités - de l’entrée tardive dans la vie active ne peut être retenu (même si le constat est réel) : plus on commence à travailler tard, moins l’augmentation des annuités requises est acceptable !
C’est donc aujourd’hui que la plateforme interprofessionnelle de 2008 doit se défendre. La bataille des retraites commence maintenant, comme en 2003 la confrontation a été précédée par l’attaque des retraites EDF-GDF dès décembre 2002. C’est ce qu’ont compris toutes les intersyndicales locales, qui ont fait du 18 octobre la première journée de résistance au sarkozysme. Six fédérations syndicales cheminotes sur huit (SUD-Rail n’a pas été convié !) ont appelé à se revoir le 22 octobre « pour appeler de nouveau à la mobilisation, y compris pour engager un mouvement de grève reconductible » (lire ci-dessous). Si cet appel n’est pas qu’une diversion (alors que la reconduction était fortement envisagée le 19), il doit être accompagné d’un engagement confédéral pour une mobilisation interprofessionnelle au même moment, y compris contre la casse du contrat de travail, contre la fusion ANPE-Unedic, pour les droits des chômeurs.
L’heure est à reprendre l’initiative, pour mettre un coup d’arrêt à la déferlante des contre-réformes.
Dominique Mezzi
SNCF : une grève historique
Tout l’indique. La mobilisation des cheminots, le 18 octobre, sera historique. Pourtant, la direction de la SNCF a cherché par tous les moyens à minimiser l’ampleur de ce mouvement, au risque de piéger les usagers. Cette politique du pire n’a qu’une fonction de disqualification du mouvement social auprès des autres salariés.
Sur le terrain, la question de l’utilité et de la légitimité de la grève ne se pose plus, et ce, parmi tous les salariés. Que faire de ce mouvement ? Montrer sa force et se compter, ou engager une épreuve de force pour gagner ? Deux stratégies s’affrontent à la SNCF. D’un côté, cinq fédérations syndicales (CGT, CFDT, CFTC, CGC, Unsa) pour une grève carrée limitée à 24 heures. Les explications sont diverses. La CGT, première organisation à la SNCF, explique qu’il faut un mouvement interprofessionnel, avant de se lancer dans un mouvement reconductible. Mais, en même temps, elle insiste sur le risque d’une coupure entre les roulants et les sédentaires, les roulants étant présentés comme plus motivés. De l’autre côté, SUD-Rail, FO et la Fgaac ont chacune déposé un préavis reconductible en assemblée générale, par période de 24 heures.
Tous les cheminots sont conscients que 24 heures de grève ne permettront pas de gagner. Il s’agit donc de confronter les deux mouvements qui ont porté sur la question de la protection sociale : celui de 1995 et celui de 2003. La grève de 1995 a été un succès parce que sa reconduction a permis la montée en puissance de la mobilisation, sa construction et surtout de devenir populaire. Les débats engagés avec les autres salariés, les occupations des gares, les manifestations deux à trois fois par semaine ont contribué à élargir le soutien à la grève. Cela n’a été possible que parce que les secteurs en grève étaient déterminés. Les grèves de 2003 ont été un échec, parce que les journées d’action interrompues par des semaines de reprise du travail ont été de plus en plus faibles, sans perspectives, hormis la deuxième étape de la mobilisation promise par Thibault, en juin 2003, dont nous n’avons jamais vu la couleur.
Plusieurs sections de la CGT ont appelé à la reconduction du mouvement, le 19 octobre. Cela représente 26 établissements. Il est sûr que les assemblées générales du 18 et celles du 19 seront décisives. Il est certain que la poursuite de la grève aura lieu dans plusieurs sites. Les débats feront rage au sein des organisations qui auront fait le choix de stopper l’action, après une grève historique par le nombre de grévistes. Qui ne tente pas d’agir se condamne à accepter son sort. Si le 19 octobre ne prend pas, il sera encore possible, mais plus difficile, de rechercher l’unité syndicale autour de la relance d’une action, sans tarder et de longue durée. Il faut que la perspective d’interfédérale (SUD-Rail a été exclu de la précédente), le 22 octobre, soit l’occasion de lancer un appel à une grève reconductible. Malheureusement, il semble que la CGT ait déjà fait le choix d’attendre la journée d’action de la fonction publique à la mi-novembre.
L’action dans la durée est à l’ordre du jour. Pour cela, le mot d’ordre de 1995, « tous ensemble », est plus que jamais d’actualité. Les militants de la LCR impulsent, là où ils sont, le débat pour que le mouvement ne s’arrête pas au 18 octobre. Pour profiter de l’ampleur inégalée de la grève, afin de faire reculer le gouvernement.
Patrick Pérégé
RATP : « La suite se jouera dans les AG »
À la RATP, tous les syndicats, sauf la CFE-CGC, ont appelé à la grève le 18 octobre. Le point sur la situation et les suites possibles, avec Catherine, conductrice du RER A.
Quelles sont les particularités du régime spécial de retraite RATP ?
Catherine - En 2003, Fillon avait préféré laisser les régimes spéciaux de côté, par crainte d’un mouvement comparable à celui de 1995. Aussi, la durée de cotisation est de 37,5 ans pour tous les agents de la RATP, sans décote. Mais ceux qui font les métiers les plus pénibles, avec des horaires décalés, bénéficient de « bonifications » : un an de cotisation supplémentaire pour cinq années effectuées (le « cinquième »). Ils peuvent partir à 50 ans, après 25 ans de cotisations. Mais les horaires décalés, cela veut dire, des horaires qui changent tout le temps, partir au travail en pleine nuit - les conducteurs font, en plus du transport des voyageurs, du transport de matériel pour les travaux -, travailler les week-ends, les jours fériés, avec une partie des congés seulement pendant les vacances scolaires... S’ajoute à cela le fait de travailler la plupart du temps sous terre, et la tension que demande la sécurité des voyageurs. En fait, cette pénibilité, que le gouvernement conteste pour supprimer les régimes spéciaux, va encore s’aggraver à la RATP puisque, dans le cadre du contrat avec le Stif, on veut nous imposer 2 % de productivité supplémentaire par an pendant les cinq prochaines années. Sarkozy parle de « rétablir l’équité », mais c’est en 1993 qu’a pris fin l’égalité, avec le décret Balladur, qui a fait passer la durée de cotisation du privé de 37,5 ans à 40 ans. C’est évident que, s’il attaque les régimes spéciaux aujourd’hui, après avoir porté en 2003 la durée de cotisation pour les fonctionnaires de 37,5 ans à 40 ans, c’est pour allonger les durées de cotisation de tous les salariés, diminuer les pensions et ouvrir la voie aux retraites par capitalisation.
Quelles ont été les réactions après les annonces du gouvernement ?
Catherine - Tout le monde se rend bien compte de la supercherie, personne n’est dupe des arguments sur « l’égalité », même si le gouvernement essaie de désamorcer le mécontentement. Il porte progressivement la durée de cotisation de 37,5 ans à 40 ans d’ici à 2012, mais il maintient les bonifications, le cinquième, pour tous les agents recrutés avant le 31 décembre 2008.
Une suite à la journée du 18 octobre est-elle déjà prévue ?
Catherine - Le 18, la grève sera sûrement totale. La direction peut essayer d’utiliser la maîtrise, mais c’est impossible de faire rouler les trains avec si peu de monde, à moins de prendre de très graves risques de sécurité. Et puis surtout, les agents de maîtrise sont eux aussi touchés par la réforme. Pour la suite, c’est un gros point d’interrogation. Pour un mouvement dur, il faudrait que tout le monde ait le même objectif. Mais si tous les syndicats appellent à la grève le 18, tous ne rejettent pas la réforme en bloc. La CFDT est d’accord pour négocier, elle n’exige pas le retrait du plan. La suite se jouera dans les assemblées générales.
Propos recueillis par Galia Trépère
EDF-GDF : Coup de tension
La journée du 18 octobre était un rendez-vous décisif dans l’histoire sociale d’EDF-GDF. C’est toujours autour des luttes pour la défense de leurs acquis statutaires que se sont rassemblés le plus massivement les salariés.
Cette fois encore, la mobilisation vient d’en bas, large, unitaire, souvent majoritaire. Ce climat, ces dernières semaines, a permis de faire aboutir, malgré l’inertie des états-majors, l’émergence d’un front intersyndical que l’on n’avait pas vu depuis plusieurs années. C’est un point d’appui réel qui, partout, se traduit par une vraie dynamique d’action. Les débats ont d’abord concerné les plans du gouvernement et les conséquences de la réforme. Chacun veut savoir le plus précisément ce dont il retourne. À EDF, c’est le président Gadonneix qui, le 11 octobre, en rajoute une couche en annonçant, dans une lettre au personnel, l’ouverture prochaine de négociations sur la création d’un régime de retraite complémentaire par capitalisation. L’offensive est effectivement de grande ampleur, et directement relayée par la direction même de l’entreprise.
Dans le même temps, les formes d’action et la stratégie de la lutte étaient au centre des préoccupations. Beaucoup sont conscients que la réussite de la journée du 18, une grève large et massive qu’il est nécessaire d’assurer, n’est pas le plus dur à réaliser. Pour gagner, face à Sarkozy, la partie sera plus difficile. Déjà, l’intervention dans la grève sur les outils de travail et les installations sont au cœur des débats. Une grève très majoritaire est une bonne base de légitimité pour procéder à des baisses de charge ou à des coupures sur les réseaux.
Dans les centrales, les grévistes demandent de s’organiser pour connaître la situation réelle du réseau, et ainsi pouvoir poursuivre les baisses de production indépendamment des consignes fournies par les directions. On sait bien que, pour peser véritablement, il faudra être fort sur ce terrain. Il faut une grève qui se voit avec des actions qui portent.
Le premier pari à relever est bien celui de créer les conditions de la poursuite de l’action après le 18 octobre. À défaut de stratégie claire du côté des directions syndicales, les plus combatifs attendent et observent ce qui pourrait être le déclencheur d’un mouvement reconductible. Évidemment, les regards se tournent vers les cheminots qui, en 1995, avaient servi de locomotive. Déjà, dans certains secteurs, des initiatives ont été décidées pour l’après-18 mais, à défaut de centralisation de l’information, le sentiment qui domine est encore celui de l’isolement. Il est aussi nécessaire de faire plus de clarté sur les objectifs de la grève : peser sur des négociations qui apparaissent à tous comme virtuelles, ou afficher sans ambiguïté l’ambition de gagner le retrait pur et simple des décrets cadres. Indéniablement, le refus massif de la réforme et les capacités d’action exprimés le 18 ouvrent de nouvelles perspectives. Ce sont pourtant les initiatives des jours prochains qui décideront de l’issue de ce bras de fer que le gouvernement vient d’engager avec les salariés.
Jean-Pierre Dino
CONTRAT DE TRAVAIL : Privé, public, tous ensemble
Alors que le gouvernement s’attaque aux salariés du public, avec la réforme de l’État et celle des régimes spéciaux, le Medef cherche à associer les syndicats à la remise en cause des droits des salariés du privé.
Vendredi 12 octobre, s’est tenue, comme chaque semaine depuis la mi-septembre, une nouvelle réunion de « négociations » entre le patronat et les directions syndicales, sur la « modernisation du marché du travail ». Mais le contenu de la rencontre a été éclipsé par l’affaire Gautier-Sauvagnac. Le représentant du Medef en charge de la concertation, dirigeant par ailleurs de l’UIMM, le patronat de la métallurgie, aurait retiré sur le compte de sa fédération, en liquide et sans justification officielle, des sommes estimées de 15 à 20 millions d’euros. La présidente du Medef, Laurence Parisot, l’a démis de sa fonction à la tête de la délégation patronale, d’autant que l’essentiel, à ses yeux, est fait, le patronat ayant fait connaître ses souhaits, qui représentent une attaque en règle contre les droits des salariés, sans que les syndicats quittent cette concertation dont le résultat était prévu d’avance. La « négociation » va continuer, avec l’échéance de la fin de l’année, une date fixée par le gouvernement.
Il s’agirait d’en finir avec les « rigidités » du marché du travail, qui empêcheraient les patrons d’embaucher... Outre la mise en place d’un « contrat de projet », sous lequel serait embauché un salarié pour une mission bien précise, le Medef veut allonger les périodes d’essai et aménager le contrat à durée indéterminée, en introduisant en particulier une « séparabilité d’un commun accord » - l’expression est de Parisot, reprise telle quelle par Sarkozy - et en permettant aux patrons d’échapper aux contraintes juridiques des procédures de licenciement actuelles. La CFDT a d’ores et déjà jugé qu’il s’agissait d’une « base sérieuse ». Et tous, à l’exception de la CGT, trouvent quelques vertus aux dispositifs imaginés, tout en mettant l’accent sur les compensations qu’il s’agirait d’obtenir du patronat, une « transférabilité » des droits sociaux. Le tout faisant penser au contrat de transition professionnelle (CTP), que le gouvernement expérimente déjà dans quelques régions.
À la dernière réunion, le patronat a proposé que l’indemnisation des chômeurs soit financée, en majeure partie, par l’impôt, et seulement une partie, « complémentaire », par les cotisations sociales. L’ensemble du dispositif conduit à l’individualisation des relations entre les patrons et les salariés, et au fait que le patronat se décharge de toute responsabilité quant au sort des travailleurs qu’il a pu embaucher à un moment ou à un autre. Un recul de plusieurs dizaines d’années, au cours desquelles les luttes ouvrières ont permis d’imposer des garanties collectives.
C’est peu dire qu’il n’y a rien à négocier là-dedans et qu’il s’agit, au contraire, de mettre en lumière à quel point patronat et gouvernement mènent une offensive globale, qui ne pourra être stoppée que par un mouvement d’ensemble.
Galia Trépère
Vite dit
L’AVEU (1). Sarkozy se rêve en homme de fer, à la manière de Thatcher dans la Grande-Bretagne des années 1980. Dans sa dernière livraison, Le Canard enchaîné rend compte d’une de ses diatribes : « Si les syndicats veulent l’épreuve de force, je suis prêt. Deux mois sans train, eh bien ! ce sera deux mois sans train. Ou plutôt, deux mois sans les cheminots. Moi, j’imposerai le service minimum, avec l’armée s’il le faut. » C’est bien pour cela qu’il faut se préparer à l’épreuve de force...
L’AVEU (2). Si vous voulez une confirmation de la réalité du projet du gouvernement et du patronat, lisez le pote de Sarko, Denis Kessler, dans le texte. S’exprimant dans les colonnes de Challenges, l’ancien numéro deux du Medef met les points sur les « i » : « La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance. » Vous avez dit « régression » ?