Il ne s’agit pas de neutralité de principe ou de positionnement antiguerre courageux. C’est du théâtre politique conçu pour exploiter les griefs intérieurs tandis que les fabricants d’armes slovaques récoltent des profits sans précédent du besoin désespéré d’armes et de munitions de l’Ukraine. Comprendre ce paradoxe est crucial pour quiconque cherche à soutenir la résistance de l’Ukraine contre l’impérialisme russe — non pas pour louer le « pragmatisme » de Fico, mais pour exposer le vide de sa prétendue position antiguerre et pour affronter les frustrations légitimes qu’exploite sa rhétorique.
La rhétorique : jouer sur le sentiment pro-russe
Le positionnement anti-Ukraine de Fico n’est pas accidentel — il est soigneusement calibré pour exploiter les frustrations et les craintes réelles de la population slovaque. La désinformation russe a trouvé un terrain fertile ici, avec seulement 40 % des Slovaques qui blâment désormais la Russie pour l’invasion, contre 51 % un an plus tôt. Cependant, il ne s’agit pas vraiment de sentiments panslavistes historiques. La désinformation et les campagnes de propagande russes ne constituent qu’une partie de l’histoire. Comme dans d’autres pays d’Europe centrale, le déclin du soutien à l’Ukraine reflète surtout un ressentiment tout à fait compréhensible envers les institutions occidentales.
Comprendre les racines du sentiment anti-occidental
L’année dernière, l’institut DEKK [1] a publié un rapport sur la méfiance envers le « système » en Slovaquie. La conclusion des auteurs mérite une attention particulière : « L’anti-système slovaque n’est pas pro-russe — il est anti-occidental. Il rejette le récit occidental et « systémique », et atteint donc logiquement des alternatives. Et celles-ci sont maintenant, entre autres, également (pro)russes par hasard. Mais le Slovaque moyen ne veut pas plus de Russie dans sa vie — il veut moins d’Occident. Et moins d’Occident, selon sa compréhension, signifie un système économique moins cruel et plus égalitaire, des droits plus forts pour la majorité, une prise de décision politique plus compréhensible, une interaction moins compliquée et bureaucratisée avec l’État, et un mode de vie plus communautaire et solidaire. » [2]
Ces griefs reflètent des préjudices réels. Les politiques néolibérales occidentales ont nui aux moyens de subsistance et aux communautés des travailleurs slovaques. L’adhésion du pays à l’OTAN en 2004 s’est faite sans référendum, privant les citoyens d’une contribution démocratique sur une question de sécurité fondamentale. L’adhésion à l’UE a apporté des avantages mais a également imposé des mesures d’austérité et une restructuration économique qui ont concentré la richesse tout en laissant de nombreuses communautés derrière. La crise financière de 2008 et la crise subséquente de la zone euro ont durement frappé la Slovaquie, les gens ordinaires supportant les coûts d’un système dans lequel ils avaient eu peu de voix.
Pour la gauche internationaliste, cela présente un défi critique : comment reconnaissons-nous ces griefs légitimes sans tomber dans des positions pro-russes qui remplaceraient simplement un impérialisme par un autre ? La réponse n’est pas de choisir entre Washington et Moscou, mais de construire la solidarité avec ceux qui résistent à l’oppression de toutes parts — y compris les Ukrainiens qui se battent pour leur souveraineté et les Slovaques qui luttent pour la justice économique.
Les chiffres racontent une histoire
Les données d’opinion publique révèlent avec quel succès Fico a instrumentalisé ces sentiments. Quelque 69 % des Slovaques estiment que la fourniture d’équipement militaire « provoque la Russie et rapproche la Slovaquie de la guerre », tandis que Fico et ses acolytes gèrent une expansion sans précédent de l’industrie d’armement privée du pays. Le soutien à l’adhésion de l’Ukraine à l’UE et à l’OTAN s’élève à seulement 30 % — le plus bas de la région. Plus de 40 % estiment que leurs valeurs et leur identité sont menacées par les réfugiés ukrainiens, 44 % pensant que les réfugiés aggravent la situation du pays — le niveau de ressentiment le plus élevé parmi les nations de l’UE.
Fico a habilement exploité ces attitudes. Sa déclaration de septembre 2025 selon laquelle « l’objectif principal de notre politique étrangère n’est pas la défaite de la Russie mais la fin la plus rapide possible de la guerre » fait délibérément écho aux éléments de langage du Kremlin sur « les Slaves qui s’entretuent ». Ses visites à Moscou — faisant de lui seulement le troisième dirigeant de l’UE à rencontrer Poutine depuis l’invasion — fournissent à la Russie une légitimité diplomatique cruciale tout en permettant à Fico de se présenter comme un acteur indépendant défiant Bruxelles.
La politique en matière de réfugiés représente un chantage particulièrement cynique. Les menaces de Fico en janvier 2025 de couper l’aide humanitaire à 136 000 réfugiés ukrainiens à cause des différends sur le transit du gaz restent non mises en œuvre, mais elles créent une peur réelle et une pression diplomatique. Il s’agit d’êtres humains utilisés comme monnaie d’échange dans des négociations énergétiques.
La réalité : une économie de guerre florissante
La performance « non-alignée » de Fico s’effondre sous l’examen : tandis que Fico bloque l’aide militaire d’État, la Slovaquie est devenue sous son gouvernement l’un des centres improbables de fabrication d’armes en Europe. Les chiffres sont stupéfiants : les exportations d’armes de la Slovaquie ont explosé pour atteindre 1,15 milliard d’euros en 2023 — une multiplication par dix par rapport aux 100 millions d’euros de 2021, représentant 1,1 % du PIB et rivalisant avec le pourcentage d’exportation des États-Unis.
Profits privés, posture publique
Les grandes entreprises slovaques continuent de produire des systèmes d’armes cruciaux pour l’Ukraine. Konštrukta Defence fabrique les obusiers Zuzana 2. MSM Group et ZVS Holding produisent des centaines de milliers d’obus d’artillerie de 155 mm par an — précisément les munitions dont l’Ukraine a désespérément besoin pour se défendre contre la supériorité de l’artillerie russe. La capacité de production slovaque a régulièrement augmenté tout au long du mandat de Fico, la production de 2024 étant estimée à 150 000 obus, et celle de 2025 encore plus élevée.
Le gouvernement de Fico encourage activement ces exportations privées tout en bloquant l’aide d’État à l’Ukraine. Comme le ministre de la Défense Robert Kaliňák l’a cyniquement reconnu : « Nous avons dit avant et après les élections que nous ne restreindrions pas les entreprises de défense parce que nous avons besoin de croissance économique. » C’est du capitalisme pur et simple — profiter de la souffrance de l’Ukraine tout en prétendant s’opposer à la « propagande guerrière ». L’ancien ministre de la Défense Jaroslav Naď [3] a même lancé sa propre entreprise vendant des munitions à l’Ukraine après avoir quitté ses fonctions, soulignant comment la prétendue division entre la coalition « antiguerre » de Fico et l’opposition « pro-Ukraine » se dissout lorsque des profits sont en jeu.
Le consensus militaro-industriel
Tandis que les partis d’opposition conservateurs et libéraux accusent Fico et ses acolytes de corruption, ils ne s’opposent pas à la croissance massive de l’industrie d’armement elle-même. Ils sont également d’accord avec Fico pour dire que la Slovaquie devrait être indemnisée pour la fin de son rôle lucratif de pays de transit pour le gaz russe acheminé via l’Ukraine. Le complexe militaro-industriel transcende les prétendues différences politiques — ce qui varie, c’est simplement l’emballage rhétorique.
La scène politique slovaque ne se divise pas entre « démocrates pro-Ukraine » et « autoritaires pro-russes ». Les fabricants d’armes gagnent quelle que soit la coalition au pouvoir.
Financement par des tiers et contraintes de l’UE
Les arrangements de financement par des tiers révèlent la sophistication du rôle de la Slovaquie en tant qu’« allié circonstanciel », comme l’appellent certains analystes. Le Danemark, l’Allemagne et la Norvège ont financé 92 millions d’euros pour 16 obusiers Zuzana 2 produits par des entreprises slovaques pour l’Ukraine — le plus gros contrat étranger de l’histoire de l’industrie d’armement slovaque. La Slovaquie a également obtenu 15 chars Leopard 2 de l’Allemagne en échange de la fourniture de 30 véhicules d’infanterie BMP-1 à l’Ukraine. Ces arrangements permettent à la Slovaquie de maintenir la production d’armes sans engagement budgétaire direct.
Les cadres institutionnels de l’UE et de l’OTAN limitent la marge de manœuvre de Fico. La Slovaquie reste obligée de participer au programme d’aide à l’Ukraine de 50 milliards d’euros de l’UE et contribue au programme d’assistance globale de l’OTAN. Le pays accueille plus de 1 200 soldats de l’OTAN et maintient des dépenses de défense de 2,3 % du PIB — bien au-dessus des exigences de l’OTAN. Les exigences d’unanimité de l’UE sur les sanctions ont forcé la Slovaquie à lever son veto sur le 18e paquet de sanctions en juillet 2025 après des semaines de résistance.
La Slovaquie participe au programme d’approvisionnement conjoint en munitions de l’Agence européenne de défense d’une valeur de 2 milliards d’euros dans l’ensemble des États membres, intégrant les entreprises slovaques dans des chaînes d’approvisionnement de défense européennes plus larges. Le pays a reçu 66,5 millions d’euros de financement de l’UE pour l’intégration des réfugiés ukrainiens et continue d’exporter de l’électricité vers l’Ukraine.
Ces cadres contraignants expliquent pourquoi la rhétorique de Fico sur le « pacifisme » et le « non-alignement » reste une performance creuse. Il a évoqué vaguement des idées de quitter l’OTAN et l’UE mais n’a jamais proposé de retrait concret. Son « pacifisme » signifie vendre des armes à l’Ukraine tout en respectant les sanctions de l’UE contre la Russie — guère la neutralité de principe qu’il prétend.
En octobre 2025, après près de deux ans de refus d’aide d’État, Fico a finalement annoncé que la Slovaquie transférerait cinq machines de déminage Božena et du matériel médical — présenté comme une aide « humanitaire » plutôt que militaire. Cette reprise soigneusement chorégraphiée de l’aide militaire axée sur le déminage permet à Fico de prétendre qu’il adoucit sa position tout en évitant un véritable changement de politique.
Opinion publique : terrain contesté
Le sentiment pro-russe en Slovaquie est-il inévitable ou réversible ? Les données suggèrent un terrain complexe et contesté. Le soutien à l’OTAN a en fait rebondi à environ 70 % début 2024 après être tombé à 58 % en 2023 — le déclin s’est produit avant le retour de Fico, et le soutien s’est quelque peu rétabli sous son gouvernement. Bien que de nombreux Slovaques soient mécontents de l’OTAN (que le pays a rejoint sans référendum), personne n’a encore proposé de stratégie non-alignée ou neutre crédible pour le pays de 5,5 millions d’habitants frontalier de l’Ukraine.
La question des réfugiés montre une érosion plus claire des sympathies pour l’Ukraine, avec des attitudes négatives passant de 52 % en septembre 2022 à 44 % estimant que les réfugiés aggravent la situation du pays en mars 2023. L’approbation parlementaire de décembre 2024 concernant les réductions d’assistance reflète et renforce ces attitudes. Pourtant, plus de 136 000 réfugiés ukrainiens restent en Slovaquie, et des citoyens slovaques privés ont indépendamment collecté 5 millions d’euros pour des munitions ukrainiennes, suggérant que le soutien de la société civile transcende la rhétorique gouvernementale.
Manifestations de masse et résistance démocratique
Les manifestations de masse de janvier à mars 2025 — parmi les plus importantes de l’histoire moderne de la Slovaquie — démontrent une résistance significative au basculement russe de Fico. Plus de 100 000 personnes ont manifesté dans 30 villes, rejetant les visites de Fico à Moscou et son positionnement pro-russe. Le message de soutien du président ukrainien Volodymyr Zelensky (« Bratislava n’est pas Moscou. La Slovaquie, c’est l’Europe ») a résonné auprès des manifestants qui voient leur avenir dans l’intégration européenne, et non dans l’influence russe. Les partis d’opposition sont en tête dans les sondages récents, suggérant que la stratégie de Fico pourrait avoir des limites électorales.
Cependant, ces manifestations attirent principalement des partisans de partis d’opposition conservateurs et libéraux. La gauche reste largement absente de ces mobilisations, créant un vide dangereux. Sans alternative progressiste qui aborde à la fois les griefs économiques légitimes et la menace de l’impérialisme russe, le débat devient piégé entre « atlantisme » néolibéral et « souverainisme » nationaliste — aucun ne servant les intérêts des travailleurs.
La désinformation russe reste la variable cruciale. Moscou a investi avec succès dans des « influenceurs » locaux, les médias sociaux et les partis d’extrême droite. Les récits clés présentent la Russie comme victime et protectrice des valeurs traditionnelles tout en présentant les critiques comme des « russophobes ». La pénétration de ces récits depuis 2014 a été remarquablement efficace, exploitant le vide idéologique créé par la faiblesse de la gauche.
Comparaison entre Fico et Orbán : pragmatisme contre idéologie
L’analyse occidentale regroupe souvent Fico avec Viktor Orbán de Hongrie. Les deux s’opposent à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et maintiennent des liens énergétiques russes, mais la comparaison obscurcit des différences importantes. Fico semble pragmatiquement motivé par la politique intérieure plutôt qu’idéologiquement engagé envers la Russie. Contrairement au soutien constant d’Orbán à Moscou, Fico a condamné l’invasion russe initialement et soutient l’adhésion de l’Ukraine à l’UE malgré sa rhétorique.
La rencontre de septembre 2025 à Oujhorod entre Fico et Zelensky — où ils se sont mis d’accord sur une coopération bilatérale et Fico a confirmé que la Slovaquie « resterait aux côtés de l’Ukraine dans les efforts de paix » — suggère que Fico a pris ses distances par rapport à un alignement complet avec Orbán. Les experts en politique étrangère décrivent Fico comme un « maximaliste rhétorique, modéré politique » qui fournit suffisamment d’actions concrètes anti-Ukraine pour satisfaire sa base tout en évitant l’isolement complet de l’UE.
Orbán a construit un projet idéologique autour de la « démocratie illibérale » et de l’alignement explicite sur la Russie. Le projet de Fico est plus opportuniste — exploitant le sentiment anti-occidental pour des avantages électoraux tout en maintenant les liens institutionnels et les relations économiques qui profitent au capital slovaque. Cela rend Fico peut-être plus cynique qu’Orbán, mais aussi potentiellement plus contraint par les intérêts matériels et les dynamiques de coalition.
La performance de Fico lui permet d’exploiter les deux côtés : revendiquant des références antiguerre au niveau national tout en maintenant les exportations d’armes et les avantages de l’adhésion à l’UE/OTAN. C’est le pire des deux mondes — fournissant une couverture diplomatique à la Russie par sa rhétorique tandis que les oligarques locaux profitent des besoins militaires de l’Ukraine.
Recul démocratique et dérive autoritaire
Tandis que les cadres institutionnels limitent les dommages politiques de Fico sur l’Ukraine, ses préjudices réels à la démocratie slovaque ne doivent pas être minimisés. Ses deux visites à Moscou ont fourni à Poutine des victoires de propagande et une légitimité diplomatique, même si les usines slovaques continuaient de produire des obus pour les forces ukrainiennes.
La réponse de Fico aux manifestations de masse révèle des tendances autoritaires qui devraient alarmer quiconque est attaché aux valeurs démocratiques. Citant un rapport de renseignement secret, il a allégué sans preuve que les organisateurs de l’opposition coordonnaient avec des entités étrangères pour organiser un « coup d’État », prévoyant d’occuper les bâtiments gouvernementaux et de provoquer des affrontements avec la police. Les critiques ont noté que le service de renseignement est dirigé par le fils d’un proche associé du parti de Fico qui fait face à des accusations d’utilisation abusive de la police à des fins politiques.
Le gouvernement a pris des mesures pour exercer un plus grand contrôle sur les médias, a aboli le Bureau du procureur spécial chargé de la corruption et a proposé des amendements constitutionnels pour affirmer la primauté du droit national sur le droit de l’UE, tout en limitant les droits LGBTQ+ et l’accès des enfants à l’éducation sexuelle. Ce recul démocratique suit le schéma de la Hongrie d’Orbán, menaçant la position de la Slovaquie en tant que démocratie libérale fonctionnelle.
La déclaration de Fico selon laquelle l’Ukraine n’est « pas souveraine » parce qu’elle est « sous l’influence et le contrôle total des États-Unis » répète la propagande du Kremlin tout en délégitimant l’agence de l’Ukraine. Sa caractérisation de la guerre comme simplement « des Slaves qui s’entretuent » efface l’impérialisme russe et la résistance ukrainienne. Ces choix rhétoriques ont des conséquences réelles, empoisonnant le discours public et fournissant une couverture à l’apathie envers la lutte de l’Ukraine.
Ces contraintes dépendent d’une pression institutionnelle continue et de la stabilité de la coalition — toutes deux actuellement sous pression. Le partenaire de coalition de Fico, le Parti national slovaque (SNS) d’extrême droite, a retiré son soutien en janvier 2025, créant une crise gouvernementale qui n’a été résolue que par des remaniements ministériels en mars. Le gouvernement s’accroche à une mince majorité, vulnérable aux défections.
Militarisation : la réalité tue
Les discussions sur la « militarisation » en Slovaquie révèlent des contradictions révélatrices. Tandis que 67 % du public ne veulent pas de troupes américaines spécifiquement sur le sol slovaque, et 45 % s’opposent aux troupes de l’OTAN en général, le pays continue d’accueillir plus de 1 200 soldats de l’OTAN et maintient des dépenses de défense bien au-dessus des exigences de l’alliance. La Slovaquie participe à des exercices militaires de l’OTAN sans opposition intérieure significative.
La réalité est que l’industrie de la défense de la Slovaquie représente une opportunité économique importante. La multiplication par dix des exportations d’armes sous Fico démontre comment la rhétorique « pacifiste » coexiste avec la militarisation lorsque des profits sont en jeu. Les entreprises slovaques sont pleinement intégrées dans les chaînes d’approvisionnement de l’OTAN, produisant des munitions compatibles dans tous les systèmes de l’alliance et approvisionnant les États baltes, la Pologne et même les États-Unis.
Conclusion : les contradictions et la voie à suivre
La Slovaquie de Robert Fico expose l’intersection cynique du populisme de droite, de la rhétorique nationaliste et du profit capitaliste. Son gouvernement exploite un sentiment anti-occidental légitime — enraciné dans de réels griefs économiques et des déficits démocratiques — pour maintenir le pouvoir, tout en permettant simultanément des profits sans précédent de l’industrie d’armement. Ce n’est pas une aberration ; c’est un schéma de plus en plus courant chez les populistes de droite européens qui instrumentalisent la rhétorique anti-establishment tout en servant les intérêts de l’élite.
La contradiction fondamentale est claire : Fico prétend s’opposer à la « propagande guerrière » et à l’impérialisme occidental tandis que son gouvernement préside à une multiplication par dix des exportations d’armes. Il menace les réfugiés ukrainiens tandis que les entreprises slovaques produisent les obus dont l’Ukraine a désespérément besoin. Il visite Moscou à des fins de propagande tout en respectant les sanctions de l’UE et en maintenant les engagements de l’OTAN. Cette ambiguïté calculée ne sert les intérêts de personne sauf ses propres perspectives électorales et les bilans des fabricants d’armes slovaques.
Pour la gauche internationale, le paradoxe slovaque offre des leçons cruciales. Premièrement, nous ne pouvons pas céder l’opposition aux institutions occidentales à l’extrême droite. Les griefs qu’exploite Fico — concernant les politiques néolibérales, la prise de décision antidémocratique de l’UE, les interventions et stratégies de l’OTAN — sont réels et justifiés. Lorsque les progressistes ne parviennent pas à articuler une alternative qui aborde ces préoccupations, les nationalistes de droite comblent le vide avec une rhétorique qui semble anti-establishment mais sert finalement le capital.
Deuxièmement, nous devons rejeter les faux binaires. Le choix n’est pas entre un soutien inconditionnel à l’expansion de l’OTAN et l’accommodement de l’impérialisme russe. Un véritable anti-impérialisme exige de s’opposer aux deux — soutenir l’autodétermination ukrainienne contre l’agression russe et contester le complexe militaro-industriel qui profite du conflit. L’incapacité de l’opposition conservatrice et libérale à remettre en question la croissance de l’industrie d’armement, même en attaquant la corruption de Fico, montre comment la politique dominante n’offre aucune échappatoire à la militarisation.
Troisièmement, le complexe militaro-industriel fonctionne quelles que soient les divisions partisanes. Que la coalition de Fico ou l’opposition libérale gouverne, les fabricants d’armes slovaques profitent des besoins de l’Ukraine. L’industrie d’armement ne se soucie pas de la rhétorique politique ; elle se soucie des contrats et des profits. Contester cela nécessite d’aller au-delà des élections entre factions d’élite concurrentes vers la construction de mouvements capables de contester le pouvoir du capital lui-même.
Enfin, aborder les griefs économiques légitimes sans tomber dans le nationalisme nécessite d’articuler une vision positive de l’internationalisme. Les Slovaques et les Ukrainiens partagent des intérêts communs avec tous ceux des zones frontalières des blocs économiques de l’UE et russe. Construire cette solidarité — plutôt que la concurrence pour les ressources ou l’identité — est l’alternative progressiste à la manipulation cynique de Fico.
L’ambiguïté calculée de Fico se poursuivra probablement tant qu’elle servira sa survie politique et satisfera les impératifs de profit du capital slovaque. S’y opposer nécessite plus que de défendre les institutions occidentales existantes ; cela nécessite de construire une politique de gauche capable de répondre aux besoins réels des gens tout en maintenant une solidarité de principe avec ceux qui résistent à l’impérialisme sous toutes ses formes. Le paradoxe slovaque révèle non seulement l’hypocrisie de Fico, mais l’épuisement d’un cadre politique qui n’offre que des formes concurrentes de subordination. La tâche à venir est de construire de véritables alternatives.
Adam Novak
Europe Solidaire Sans Frontières


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