Comme prévu, l’Assemblée nationale n’a pas apporté sa confiance à François Bayrou, qui gouvernait pourtant depuis neuf mois. En ne recueillant que 194 voix contre 364, le revers essuyé par le premier ministre est net.
Sa défaite ne fait que confirmer une équation inchangée depuis la dissolution de l’été 2024 : aucune des forces politiques qui se sont affrontées dans les urnes n’ayant la clé pour gouverner seule, Emmanuel Macron en profite pour réserver le pouvoir à son propre camp. Et comme ce camp est minoritaire, il en résulte une situation de blocage inédite sous la Ve République.
La juriste Carolina Cerda-Guzman, qui propose un chemin démocratique pour élaborer une nouvelle Constitution, analyse pour Mediapart la chute de l’actuel gouvernement. À défaut d’un mouvement citoyen qui émergerait « pour défendre un changement global et cohérent des règles du jeu », elle estime qu’une nouvelle dissolution serait une des moins mauvaises solutions.
Emmanuel Macron au palais de l’Élysée le 3 septembre 2025 et l’hémicycle de l’Assemblée nationale le 8 septembre 2025. © Photomontage Mediapart avec Ludovic Marin et Bertrand Guay / AFP
Mediapart : Jusque dans sa majorité, peu ont compris le hara-kiri de François Bayrou. En tant que juriste, quelle logique décelez-vous derrière ce vote de confiance qu’il a convoqué, et donc perdu ?
Carolina Carda-Guzman : Le vote de confiance est un instrument qui figure dans la Constitution. Mais comme lors de la dissolution décidée par Emmanuel Macron il y a un an, nous sommes face à l’utilisation pervertie d’un mécanisme existant. Initialement, un vote de confiance a pour fonction de donner au chef du gouvernement un droit d’agir, une légitimité pour initier une action publique grâce au soutien des législateurs.
Là, l’intention affichée était différente. Ce vote a été utilisé par François Bayrou comme un étrange outil de dialogue avec ses oppositions, faute d’avoir échangé avec elles cet été. Il a été transformé en élément de marchandage pour forcer la main des députés afin qu’ils votent son budget. Autrement dit, le premier ministre a demandé un vote lui conférant une autorité pour l’action, alors même qu’il agit depuis près d’un an sans avoir jamais demandé le droit d’agir. Ça n’a aucun sens.
En quoi un épisode qui pourrait être banal dans d’autres démocraties – un premier ministre n’a pas réussi à obtenir la confiance d’une majorité parlementaire – est-il le signe d’une crise de régime ?
Ce n’est pas une dissolution, une motion de censure votée ou une confiance non accordée qui font une crise de régime à elles seules. Si ces mécanismes existent, c’est pour être utilisés, et le fait qu’ils soient actionnés peut se révéler sain dans un État démocratique.
La Ve République ne ressemble plus à ce qu’elle est censée être.
Ce qui m’amène au diagnostic d’une crise de régime, ce n’est donc pas tant le résultat particulier de chacun de ces mécanismes que l’absence de rationalité dans leur usage, et le fait qu’ils créent une situation très éloignée de la raison d’être initiale de la Ve République. Rappelons que celle-ci a été fondée sur la promesse d’une stabilité gouvernementale et d’une capacité de l’exécutif à fixer un cap.
Au contraire, l’usage illisible des outils constitutionnels depuis le second mandat d’Emmanuel Macron a rendu impossible l’élaboration de politiques publiques engageantes sur la durée, de manière réellement délibérative. Depuis un an, les gouvernants se demandent surtout comment ils parviendront à faire voter un budget. La Ve République ne ressemble plus à ce qu’elle est censée être.
Il y a un débat sur la source ultime du problème. Certains penchent plutôt pour le caractère défectueux de notre Constitution. D’autres pour l’incapacité des acteurs politiques à composer avec une nouvelle réalité : l’absence, probablement durable, d’une majorité absolue à disposition d’un seul camp politique. Qu’en pensez-vous ?
Selon moi, le problème vient, en dernière instance, de notre texte fondamental. C’est d’abord le fruit d’un constat empirique. La France a une très riche histoire constitutionnelle : seize Constitutions ont été adoptées depuis 1791. Cela s’explique par le fait que dans notre pays, changer le cadre institutionnel apparaît comme un passage nécessaire pour faire évoluer les comportements politiques. Tant que ce cadre reste inchangé, c’est plus difficile.
Ce n’est pas une garantie de réussite : la IVe République a échoué à perdurer alors même qu’on avait pris soin de ne pas reprendre les lois constitutionnelles de la IIIe République à la Libération. Mais le texte de la Ve République, qui a incontestablement pesé sur les manières de gouverner et de légiférer des responsables politiques, a été typiquement rédigé avec cette conviction que de nouvelles règles étaient incontournables pour générer de nouveaux comportements.
Au-delà de ce que nous apprend l’expérience historique, je suis fondamentalement convaincue que la manière de composer entre forces politiques dépend du cadre constitutionnel existant. Ce dont on s’aperçoit aujourd’hui, c’est que la « salle des machines » de la Ve République, c’est-à-dire les articles qui régissent la répartition des pouvoirs, est pleine de contradictions potentielles. Elles ont longtemps été masquées, mais dès lors qu’une majorité absolue est inatteignable avec les forces politiques d’aujourd’hui, ces contradictions éclatent au grand jour.
Comment sortir de l’impasse ? Chacun a sa solution : de nouvelles élections, un nouveau mode de scrutin, la démission du président de la République, un nouveau tour de piste d’un gouvernement minoritaire…
Mon hypothèse privilégiée serait qu’un mouvement citoyen émerge pour défendre un changement global et cohérent des règles du jeu, c’est-à-dire un changement constitutionnel. Ce qu’il serait nécessaire de modifier, c’est en effet la manière dont la volonté populaire peut déterminer l’élaboration des politiques publiques, de façon bien plus satisfaisante qu’aujourd’hui.
Qu’il s’agisse du vote d’une loi ou des nominations au Conseil constitutionnel, il faudrait contraindre les décideurs à négocier et à laisser les citoyennes et citoyens participer à la discussion de manière réelle – et pas au bon vouloir des gouvernants. Le mode de scrutin proportionnel ne changera pas par magie le comportement des députés. Mais si, par exemple, on instaure des règles permettant une initiative citoyenne des lois, ça changera forcément leur manière de légiférer.
Je trouverais problématique qu’une VIe République dépende de la sélection et de la volonté d’un homme providentiel.
J’ai bien conscience, cependant, qu’un mouvement citoyen de ce type ne se décrète pas. Si on voulait lui faciliter le chemin avec les instrument actuels de la Ve République, je serais plutôt favorable à une nouvelle dissolution. Elle aurait peut-être le potentiel de faire émerger cet enjeu d’un changement des règles du jeu. Je ne suis pas persuadée qu’on ait autant de chances de provoquer ce débat avec une démission du président de la République, comme le réclame La France insoumise.
Cela renvoie à un débat technique mais crucial pour celles et ceux qui espèrent tourner la page de la Ve République. Vous considérez qu’un processus constituant doit être impulsé « dans les règles de l’art », à travers l’accord des deux chambres parlementaires. Mais n’est-ce pas utopique, et n’est-ce pas tentant de laisser la porte ouverte à un référendum lancé par un président élu, même si ce n’est guère dans les clous constitutionnels ?
Je comprends que la tentation existe. Face au conservatisme du Sénat actuel, si ce n’est celui de l’Assemblée, on m’oppose une forme de realpolitik pour faire advenir le changement, quitte à assumer une dose d’autoritarisme.
Mais je continue à trouver problématique le scénario selon lequel une VIe République dépendrait de la sélection et de la volonté d’un homme providentiel. Le côté ascendant et individuel d’une élection présidentielle n’est pas, à mon sens, propice à l’émergence d’un mouvement citoyen collectif poussant à un nouveau régime politique plus inclusif. Je crains qu’un changement constitutionnel ne perde d’emblée en attraction et en soutien populaires s’il n’est porté que par un camp ou pire, par une seule personne.
Cela perpétuerait une vision de l’échange politique reposant sur la confrontation, là où la solution est nécessairement collective et pluraliste. Cela peut paraître naïf mais j’espère encore que les partis seront poussés à s’accorder sur les règles d’un changement constituant, en raison des blocages auxquels ils font face et d’une pression populaire en ce sens.
Fabien Escalona
Europe Solidaire Sans Frontières


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