Alors qu’un processus de retrait progressif des multinationales s’est engagé depuis 4 ans, -dont Levi Strauss, Reebok, Motorola, Phillips Electronics, Pepsico, Apple, Hewlett-Packard, Heineken, Kodak, Petro-Canada, Texaco, Carrefour, Accor, Mariott, Triumph...-, Total a choisi de rester dans le pays. Le groupe exploite en effet un important gazoduc, dont les revenus s’élèvent, selon les estimations des ONG, à 450 millions de dollars . Gouvernée par une junte militaire depuis 1990, la Birmanie a très vite attiré l’attention des ONG, qui n’ont cessé, à travers la « Burma campaign » [1], de dénoncer la présence d’entreprises occidentales dans un pays qui pratique le travail forcé.
En décembre 2004 s’est créée la campagne « Total pollue la démocratie,stoppons le TOTALitarisme en Birmanie », puis une coalition d’ONG et de syndicats s’est mise en place pour relayer le mouvement international lancé en février 2005 (composée de Actions Birmanie, Agir Ici, FIDH, France Libertés, Info Birmanie, JSM, Ligue des droits de l’homme, Sud Chimie). La campagne vise un triple objectif : obtenir le retrait de Total de Birmanie, dissuader de futurs investisseurs étrangers de s’implanter dans ce pays, et ouvrir la voie à une politique étrangère française et européenne plus fermes à l’égard de la Birmanie. Elle cherche également à impliquer les citoyens par différents moyens -campagnes de lettres et participation à l’Assemblée générale des actionnaires de Total le 17 mai dernier à Paris, réunions et débats publics à travers la France, etc...
Complicité avec le régime
Pour ces ONG, la complicité de Total avec la junte militaire ne fait aucun doute. Dans le rapport qu’elles ont publié en juillet dernier, elles affirment que « Total est bien plus qu’un spectateur passif (...).Nous soutenons dans ce rapport que les activités de Total en Birmanie, notamment le projet gazier de Yadana, constituent un soutien moral et financier direct à la junte militaire. » Pire, les ONG estiment que la présence du groupe en Birmanie constitue un réel obstacle au renforcement des sanctions européennes ainsi qu’à la politique étrangère française à l’égard de la Birmanie.
Le projet et la construction du gazoduc de Yadana (dont Total est l’opérateur principal), seraient en outre directement à l’origine de graves violations des droits de l’Homme, dans la mesure où Total aurait eu recours aux « services » de l’armée, qui pratique notoirement le travail forcé. « Un télégramme non-confidentiel du Département d’État des États-Unis, obtenu par EarthRights International (ERI), une organisation siégeant en Thaïlande, révèle que Total a en fait loué, moyennant finance, les services de l’armée pour assurer la sécurité du gazoduc », affirme le rapport.
Par ailleurs, une mission parlementaire française, enquêtant sur les abus commis dans la région du gazoduc, a constaté que Total connaissaît l’existence des multiples abus de l’armée, dont le travail forcé. « Le lien entre la présence militaire, les exactions contre les populations et les travaux forcés est avéré. Total ne pouvait l’ignorer », conclut le rapport parlementaire.
Actions en justice
De toute évidence, Total ne peut pas nier que la junte militaire au pouvoir se livre quotidiennement à nombreuses violations des droits de l’Homme. Le groupe justifie le maintien de ses activités en expliquant que « ce choix ne cautionne aucun régime, il exprime la conviction profonde de Total que développement économique et progrès des Droits de l’Homme vont de pair. Ce n’est pas en aggravant les difficultés d’un pays pauvre par un embargo que l’on améliorera le sort de ses habitants », souligne-t-il sur le site internet qu’il consacre à cette question. Cependant, l’argument n’est pas jugé recevable par les ONG, qui affirment que « Total n’exerce en fait aucun contrôle sur la manière dont les revenus tirés de Yadana sont utilisés par la junte (...) Rien ne permet de penser que ces fonds serviront à l’amélioration des conditions de vie de la population. En Birmanie, environ 40 % du budget national sont consacrés à l’armée et des sommes minimes sont allouées à l’éducation et la santé », indiquent-elles. De fait, le « Rapport sur la santé dans le monde » de 2005 publié par l’Organisation mondiale de la santé indique que ce pays ne consacre que 2,2 % de son Produit intérieur brut (PIB) à la santé. Un enfant sur dix meurt avant d’atteindre l’âge de cinq ans.
Les ONG fustigent l’argument du développement et de « l’engagement constructif » avancé par Total, tout comme sa politique d’indemnisation des victimes du travail et des déplacements forcés. Ces faits font actuellement l’objet d’actions en justice contre Total, en France et en Belgique, portant sur des allégations de violations des droits de l’Homme. Par ailleurs, le groupe Unocal, opérateur du projet, a lui aussi fait l’objet de deux plaintes pour le même motif. Le groupe américain est parvenu en mars 2005 à un règlement avec les plaignants birmans, estimant que les risques liés à un procès étaient trop élevés et que la justice américaine pouvait vraissemblalemnent prononcer une condamnation.
Placée sur un terrain juridique, la présence de Total en Birmanie est désormais examinée sous l’angle du droit international et de la « soft law » constituée par les déclarations d’organisations internationales telles que les Nations-Unies et l’Organisation Internationale du Travail. Dans sa résolution du 11 avril 2005 sur la « situation des droits de l’Homme » en Birmanie, la Commission des droits de l’Homme des Nations unies se déclare gravement préoccupée par « les violations systématiques des droits de l’Homme - droits civils et politiques aussi bien qu’économiques, sociaux et culturels - dont continue à souffrir le peuple du Myanmar, en particulier la discrimination et les violations dont sont victimes les membres de minorités ethniques ou les femmes. » Par ailleurs, les récentes normes de l’ONU sur la responsabilité des entreprises en matière de droits humains contribuent à faire pression sur cette question. Non contraigantes, ces normes font cependant évoluer le corpus existant des conventions internationales et deviennent un instrument de pression supplémentaire des ONG.