Démonstration policière à Luanda le 29 juillet. Photo de AMPE ROGÉRIO/Lusa.
Le journaliste hongrois Joseph Pulitzer affirmait : « Avec le temps, une presse cynique, mercenaire, démagogique et corrompue façonnera un public aussi vil qu’elle-même ». La presse d’État angolaise en est sans aucun doute un exemple. J’adapte les mots de Pulitzer : un gouvernement terroriste, insensible et corrompu formera un peuple à son image et à sa semblance.
Les pillages de magasins et d’entrepôts de produits alimentaires et de première nécessité qui ont eu lieu la semaine dernière à Luanda, en particulier dans la périphérie, ont suscité des déclarations virulentes de la part des responsables de la police, du ministre de l’Intérieur et, enfin, du président de la République.
La grève décrétée par les associations de candongueiros (conducteurs de transport collectif de passagers et de marchandises, également appelés taxistes) pour les 28, 29 et 30 juillet a déclenché des troubles qui se sont étendus à d’autres provinces (Huambo, Huíla, Bengo, Icolo et Bengo, Malanje et Benguela) et a été marquée par l’assassinat d’une trentaine de personnes. Des personnes affamées et désarmées, parmi lesquelles une femme, Ana Mabuila, avec son fils à ses côtés qui fuyait les tirs de la police, ont été abattues dans le dos, alors qu’elles trébuchaient en poussant leur enfant pour le mettre hors de portée des balles. Son fils, âgé de 13 ans, ne l’a pas abandonnée et a ainsi vu sa mère mourir, expirer, suffoquer dans son propre sang, rendant son dernier souffle tout en crachant du sang. Elle n’avait rien dans les mains, ni nourriture ni autre chose. Elle n’avait rien d’autre que ses mains à mettre en avant pour sauver son fils. Du terrorisme d’État.
João Lourenço, avec un charisme caractéristique qui rivalise avec celui d’un hippopotame, a défendu l’action criminelle de la police. En tant que chef de l’exécutif et commandant en chef des forces armées angolaises, il est responsable du ministère de l’Intérieur, qui chapeaute la police nationale. Constitutionnellement et matériellement, le ministre de l’Intérieur n’est qu’un simple assistant du président de la République, sans autonomie, et il obéit donc aux ordres directs du détenteur de tous les pouvoirs en Angola.
Le président rentrait de Lisbonne lorsque la grève et les émeutes ont commencé. Il est arrivé dans la capitale en fin de matinée le lundi 28, alors que la ruée des désespéré.e.s sur les magasins était déjà lancée. Il est resté serein et a maintenu son programme, qui consistait à tenir la session de juillet du Conseil des ministres, le 30, à l’ordre du jour duquel un nouveau point imprévu a été ajouté. Les « actes de vandalisme et les émeutes qui ont semé un climat d’insécurité généralisée » ont fait l’objet d’un communiqué spécial sur les réseaux sociaux de la présidence, qui indique que « plusieurs affrontements avec les autorités [...] ont fait 22 morts, 197 blessés et 1 214 arrestations ».
À l’issue de la réunion, il a envoyé une dépêche au roi Mohammed VI du Maroc pour le féliciter à l’occasion de son 26e anniversaire de règne. Le lendemain, il a reçu les ambassadeurs de Namibie et des Pays-Bas, qui se sont rendus au palais de la Colline pour prendre congé de lui à la fin de leur mission diplomatique. Il a également procédé au traditionnel jeu des chaises musicales en révoquant et nommant deux ambassadeurs angolais : celui du Ghana a été envoyé en Afrique du Sud et celui d’Afrique du Sud a été envoyé au Ghana. Et comme une femme et mère avait été assassinée par sa police, il était opportun de féliciter les femmes à l’occasion de la Journée de la femme africaine.
Cependant, le 1er août, il s’est souvenu que « le pays avait vécu des moments d’angoisse en raison des émeutes » et qu’il convenait donc de faire une déclaration, de préférence en direct, en en lisant le texte. Avec sa « tête qui ne dit rien », expression familière pour désigner le cynisme, l’insouciance, l’hypocrisie de ceux qui, devant faire preuve d’empathie, assumer leurs responsabilités et rendre des comptes, optent pour l’indifférence. Une indifférence criminelle, qui légitime toutes les atrocités.
S’il ne s’agissait que d’une apparence d’indifférence, ce serait peut-être moins grave. Lourenço ne mâche pas ses mots pour désigner les coupables, comme le veut la tradition du parti. Il a parlé de destruction du patrimoine, d’agression et de pillage comme de délits passibles de sanctions. Il a raison ! Dans le quatrième paragraphe et les suivants, il s’est délecté à féliciter et à remercier les « forces de l’ordre », qui « ont agi dans le cadre de leurs obligations », tuant des dizaines de personnes sans défense, complètement désarmées, pour avoir volé de la nourriture pour se nourrir et nourrir leurs familles. Il a qualifié les victimes de « citoyens irresponsables » et, recourant au bon vieux procédé consistant à insinuer l’existence d’une main invisible derrière les pillages, il les a accusées d’avoir été « manipulées par des organisations antipatriotiques nationales et étrangères à travers les réseaux sociaux ».
L’expression d’un quelconque chagrin pour les morts n’apparaît qu’au cinquième paragraphe, qui commence par une nouvelle condamnation « vigoureuse » de « ces actes criminels ». Ce chagrin est clairement dépourvu de tout signe de contrition, d’où la suite du discours, précédée d’éloges à destination des assassins.
Et il a conclu son discours par une nouvelle évocation du spectre de la manipulation : « Quiconque a orchestré et mené cette action [sic] criminelle a été vaincu et nous a aidés tous, l’exécutif et la société, à prendre des mesures préventives et à trouver de meilleures façons de réagir en cas de récidive, afin de minimiser les dommages causés aux personnes et aux biens », voilà ce qu’a lu Lourenço.
Dans le passé, le président avait déjà accusé les victimes d’avoir été assassinées par les forces de sécurité. En 2021, 44 ans s’étaient écoulés depuis le 27 mai 1977, lorsque Lourenço décida de briser le tabou sur l’holocauste angolais. Devant les familles et les survivant.e ;s des victimes du 27 mai, endeuillés à jamais, João Lourenço a répété le discours officiel du parti unique : « Un groupe de citoyens organisés a mené une tentative infructueuse [sic] de coup d’État, tuant des personnalités de haut rang du pouvoir en place ».
Il a alors reconnu que « dans le but de rétablir l’ordre constitutionnel, la réaction des autorités de l’époque a été disproportionnée et poussée à l’extrême, avec l’exécution sommaire d’un nombre indéterminé de citoyens angolais, dont beaucoup étaient innocents ». Il insistait sur les « autorités de l’époque », dont António Agostinho Neto était le chef, lui-même faisant partie de ces « autorités de l’époque » en tant que commissaire politique de la IIe région politico-militaire à Cabinda.
Si, en 2021, il a reconnu que la réponse des « autorités de l’époque a été disproportionnée et poussée à l’extrême », alors qu’il s’agissait, selon la version officielle, d’une tentative de coup d’État, comment peut-il autoriser, féliciter et remercier la police avec sa « tête qui ne dit rien » pour avoir exécuté en plein jour, en 2025, des femmes et des jeunes désarmés et désespérés parce qu’ils volaient de la nourriture ou d’autres biens de première nécessité ? Ont-ils tenté un coup d’État ?
Si en 2021, il a déclaré que « la réponse d’un État à des situations difficiles et extrêmement tendues doit être, dans la mesure du possible, réfléchie et mesurée, en raison des responsabilités importantes qui incombent à l’État dans la défense de la Constitution, de la loi et de la vie humaine », en 2025, la réponse d’un État peut-elle être différente ? Ou n’était-il pas possible d’éviter les morts parce que les personnes assassinées étaient armées de cartons de pâtes, de poulet et de sacs de riz ? La femme assassinée n’avait même pas une boîte de sardines dans les mains.
L’incohérence est telle qu’après avoir pointé du doigt les victimes du 27 mai, il a déclaré : « Ce n’est pas le moment de nous pointer du doigt les uns les autres pour trouver les coupables ; il importe que chacun assume ses responsabilités dans la mesure qui lui incombe » Il n’a pas assumé ses responsabilités, au contraire, il a placé les assassins et les victimes dans la même Commission de réconciliation à la mémoire des victimes des conflits (CIVICOP), dirigée par les premiers, ce qui les a contraints à la quitter par la suite.
Une réaction politique sans aucune conscience politique
Les émeutes de juillet ont été une réaction motivée par la dégradation sociale et économique constante et accélérée en Angola, associée à la dégradation politique continue. Le pillage des magasins et des entrepôts pour se procurer de la nourriture est sans doute le signe indéniable que le peuple n’a plus aucun espoir. Aucun dirigeant n’aurait besoin d’autres indicateurs pour conclure qu’il a complètement échoué. C’est peut-être l’ultime symptome..
Personne ne vole de la nourriture pour le plaisir, pour s’amuser ou pour passer le temps. Et personne ne manipule la faim.
Cependant, le manque de conscience politique dans la réaction est apparu clairement, en dépit des efforts considérables du président et de son gouvernement pour lier cet acte à un complot orchestré par « des organisations antipatriotiques nationales et étrangères via les réseaux sociaux ».
Une réponse politiquement consciente se serait attaquée aux installations indispensables au maintien de la dictature. Malgré les escarmouches, les banques et les ports, les écoles d’élite et les aéroports, les hypermarchés et les quartiers résidentiels privés, les restaurants de luxe ou les concessions automobiles haut de gamme, Unitel ou Zap n’ont pas été attaqués. Le luxueux avion présidentiel à bord duquel voyageait João Lourenço a atterri sans encombre à l’aéroport 4 de Fevereiro de Luanda.
La sérénité du président – à ne pas confondre avec un affichage de sérénité – reflète une profonde tranquillité, car les émeutes n’ont même pas inquiété le régime dictatorial installé et consolidé depuis 50 ans.
Le désespoir causé par la faim a poussé les gens à se précipiter vers les rayonnages les plus proches, vers ces commerces construits grâce aux économies familiales, dont beaucoup appartiennent à des immigrés qui contribuent réellement à la création d’emplois, mais dont les impôts qu’ils paient ne sont pas répercutés sur les équipements sociaux. Ils sont constamment rackettés par les agents du fisc qui passent régulièrement dans leurs établissements pour exiger la tristement célèbre « gasosa » sous la menace de fermeture et de révocation de leurs permis de séjour. Une fois de plus, des victimes !
La désespérance du peuple angolais est visible sur le visage et dans les paroles de tout citoyen ou citoyenne. Mais le plus grave est de constater que même le président n’a pas lui non plus le moindre espoir en l’avenir de l’Angola. Il suffit de lire ou d’écouter ses discours, de suivre ses interminables voyages à travers le monde sans aucun bénéfice réel pour le pays. Même Sérgio Piçarra, dans ses caricatures, ne parvient pas à couvrir le cul de l’avenir que l’espoir porte sur son dos, car aucun tissu ne peut masquer le désespoir généralisé. Et c’est ainsi que nous sommes officiellement entrés dans l’ère du vandalisme comme remède contre le vandalisme.
Sedrick de Carvalho
Europe Solidaire Sans Frontières


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