OSLO ENVOYÉ SPÉCIAL
La rue est calme et cossue, très norvégienne. Au fond d’une cour, un monte-charge grimpe au troisième étage et donne directement sur une tout autre ambiance dans les locaux de DVB, Democratic Voice of Burma. Cette radio dissidente émet depuis quinze ans à partir de la capitale norvégienne en direction de la Birmanie. C’est à quelques centaines de mètres d’ici qu’un an avant sa création, en 1991, les jurés norvégiens avaient attribué le prix Nobel de la paix à Aung San Suu Kyi, principale figure de l’opposition, dont la photo orne toutes les salles de la radio.
Moe Aye, le rédacteur en chef, est assailli de coups de téléphone tandis que les équipes de télévision se succèdent. Sur les murs, des affichettes interpellent : « Ne rapportez jamais les rumeurs. » Moe Aye présente ses excuses : aujourd’hui, il n’a pas le temps de tout vérifier dans l’instant, il s’avoue incapable de confirmer le nombre de morts, mais ses correspondants sur place en font état de plusieurs. On parle de quatre moines. Il fait défiler des photos à peine reçues sur son écran d’ordinateur, un moine le crâne ensanglanté, une vidéo où des civils encadrent un défilé de moines. Des images que l’on reverra un peu plus tard sur CNN, diffusée en continu sur une télévision murale.
Dans le studio voisin, Aye Aye Mon présente le journal. DVB diffuse de 9 h 30 à 16 h 30, heure d’Oslo, tous les jours. A l’étage du dessus, on produit une heure de télévision hebdomadaire. La présentatrice diffuse l’interview d’un moine anonyme qui appelle les Birmans à rejoindre le mouvement. « Nous n’abandonnerons jamais. Nous ne pardonnerons jamais le régime », dit-il.
La radio est en contact permanent avec une cinquantaine de reporters professionnels ou volontaires officiant secrètement dans le pays, parfois au sein de journaux officiels. Ils filment avec de petites caméras vidéo, avec leur téléphone mobile parfois, puis vont transférer et diffuser leur matériel depuis des cafés Internet de Rangoun. « L’armée ne peut pas tout contrôler, explique Moe Aye. Et puis la Birmanie est un pays très corrompu, heureusement pour nous. » D’autres correspondants se trouvent dans les pays voisins, Thaïlande et Inde. L’équipe compte 150 personnes.
L’HEURE DES RAFLES
Le rédacteur en chef épluche ses messages, courriels, fenêtres de « chat ». Il relance : « Du nouveau sur la pagode de Sule ? » Comme la plupart des autres employés de la radio, il a gagné ses galons de dissident lors des manifestations étudiantes de 1988, qui s’étaient soldées par 3 000 morts. Moe Aye a ensuite passé sept années en prison avant de rejoindre la Thaïlande puis la Norvège. Il lit, soulagé, un message d’un reporter : « Maintenant je suis en sécurité, appelle-moi sur ce numéro. »
De l’autre côté de la salle, sous un grand poster d’Aung San Suu Kyi, Htet Aung Kyaw, un reporter, est pendu au téléphone. Lui aussi est un enfant des manifestations de 1988 exfiltré par la Thaïlande. Il sourit en montrant son rédacteur en chef : « Il était prisonnier politique. Moi, je me suis retrouvé à faire dix ans de guérilla dans la jungle. Et nous voilà tous les deux ici. »
Les 1,4 million d’euros de budget qu’annonce le comptable, payés par la Suède, la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas, les Etats-Unis et l’Irlande, paraissent bien maigres. Les salaires attendent parfois. Moe Aye sourit. Pas longtemps. Il aurait déjà dû, à cette heure, avoir reçu des images de l’un de ses reporters. « Son silence m’inquiète. Je vais attendre », soupire-t-il. Il se dit que, bientôt, il sera 1 heure du matin à Rangoun, et que les gens, là-bas, doivent aussi attendre dans l’angoisse : c’est l’heure à laquelle l’armée procède à ses rafles.