Que pensez-vous de l’appel de Nicolas Sarkozy qui demande à Total de ne plus investir en Birmanie ?
C’est un appel bienvenu, mais qui arrive bien tard pour être crédible, histoire de se donner bonne conscience à bon marché. Il ressemble à un aveu. Total est complice des violations des droits de l’homme commises dans ce pays depuis le 9 juillet 1992, date de sa décision d’investir dans le pipeline de Yadana. A l’époque, le Slorc [parti unique au pouvoir, ndlr] refuse le résultat des élections, les militants de la NLD [Ligue nationale pour la démocratie] sont harcelés et/ou contraints à l’exil, et Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix en 1991, assignée à résidence. L’appel ne doit pas dédouaner la France de ses responsabilités. Elle est - jusqu’à présent - le pays qui a le plus freiné le renforcement de sanctions européennes à l’égard de la junte. Sanctions pour l’instant encore cosmétiques, inefficaces, parce qu’elles épargnent les secteurs stratégiques : pétrole, gaz ou bois de teck.
Le boycott est-il efficace contre les dictatures ?
Cela appelle une appréciation au cas par cas. Dans l’exemple de la Birmanie, qui n’est pas une économie de marché où l’on pourrait investir en marge de l’Etat, il n’est pas possible à des investisseurs étrangers de travailler dans ces secteurs stratégiques sans en passer par l’Etat, en l’occurrence la Myanmar Investment Commission, dont la majorité des membres sont militaires. Ils doivent aussi opérer par la création d’une joint-venture avec une entreprise d’Etat telle que la Moge (Myanmar Oil and Gas Enterprise), qui a 15 % de la filiale de Total, la Total Myanmar Exploration and Production. Cela équivaut à une collaboration directe avec le régime et contribue au financement de la répression. La preuve : bien que le deal soit secret, les estimations les plus basses évoquent 200 millions de dollars [141 millions d’euros] par an de royalties payées par Total…
Boycotter, n’est-ce pas punir la population ?
Non, car elle ne voit pas la couleur de l’argent. Les revenus de 75 % de la population birmane proviennent de l’agriculture. Et l’Etat prédateur dépense 45 à 50 % de son budget dans les dépenses militaires, contre moins de 3 % réservées à la santé et l’éducation ! L’immense majorité des citoyens ordinaires de Birmanie n’est pas affectée par les rares sanctions qui ont été imposées à ce jour. Elle l’est en revanche quand Total, pour la construction du gazoduc, a entraîné le déplacement de villages et a aggravé le recours au travail forcé et les violations des droits de l’homme dans la zone de Yadana.