Comment analysez-vous le choix de la junte de passer au stade de la répression ?
Farid Ghehioueche. Cette phase répressive a commencé hier matin. Certains quartiers sont bouclés et on n’aura donc peu ou pas d’informations avant quelques jours et encore. La junte a mis ses menaces à exécution. Il ne pouvait pas en être autrement pour ceux qui connaissent la Birmanie. On peut s’attendre au pire. On relève quand même que la junte a mis du temps à sortir de sa réserve, on peut penser qu’il a pu y avoir débat pour savoir comment il fallait réagir. Elle a sans doute été frappée par l’ampleur des manifestations, et la participation massive des religieux. Mais les généraux sont dans une logique de jusqu’au-boutisme et on devait malheureusement s’attendre à une réaction brutale dans la droite ligne de la répression persistante depuis mai 2003. Date à laquelle ils ont tenté d’assassiner Aung San Suu Kyi. À défaut de quoi elle a été une nouvelle fois assignée en résidence, et y est encore. Il est bien de rappeler que la junte n’a pas cessé de réprimer et de harceler les démocrates depuis des années en dépit du tapage qu’elle a orchestré sur la réconciliation nationale et la rédaction de la nouvelle constitution. Personne n’y croit.
Ce mouvement apparaît très large. Quelle relève politique peut-il produire ?
Farid Ghehioueche. Parler de relève politique c’est peut-être aller un peu vite. En revanche la situation économique et sociale est tellement insupportable que la population est entrée dans la même logique que celle de la junte : une logique du jusqu’au-boutisme. Je pense qu’en dépit de la répression le mouvement ne s’éteindra pas, au contraire. Plusieurs éléments me font dire ça. La population n’en peut plus, il y a aussi la forte inquiétude sur l’état de santé d’Aung San Suu Kyi, les manifestations ont lieu dans tout le pays touchant des villes petites et moyennes et, bien entendu, l’irruption des bonzes dans ce soulèvement relayant la colère et la population des civils est à suivre de près. Le fait que les religieux sont sortis de leur réserve alors qu’ils étaient choyés par le régime et adulés par la population qui les nourrit, qu’ils se sont même livrés à des manifestations de violence le 5 septembre, brûlant des voitures officielles, sont autant d’actes qui interpellent quant aux répercussions qu’ils peuvent avoir au sein de l’armée elle-même.
En accélérant les divergences au sein de l’armée ?
Farid Ghehioueche. Je ne pense pas à un nouveau putsch militaire mais à des désertions à la base à des désobéissances de groupe refusant de réprimer. La solde n’est pas toujours régulière et nombre de soldats n’ont pas envie d’affronter les bonzes. Par exemple, le fait que des manifestants ont pu arriver samedi devant la résidence d’Aung San Suu Kyi parce que les gardes ont levé les barrières et laissé passer le cortège de bonzes et de civils est un signe fort à mon sens. Il existe encore d’autres inconnues : je m’interroge ainsi sur la mobilisation des plus jeunes, les étudiants, les lycéens aux côtés des anciens militants ceux qui ont participé au mouvement de 1988. De même quelle va être la position des minorités ethniques extrêmement déçues par la gestion de la junte de la pseudo-réconciliation nationale. Vont-elles ou non appuyer le conflit entre la population à majorité bouddhiste et l’armée ?
Vous êtes le porte-parole d’un collectif qui dénonce les activités de Total en Birmanie. Que demandez-vous particulièrement aujourd’hui ?
Farid Ghehioueche. Total est en Birmanie depuis 1992. Sa présence devient le caillou dans la chaussure de M. Sarkozy. La compagnie a toujours fait le gros dos en affirmant ne pas soutenir la junte et se soucier des droits de l’homme. Mais il est clair que les 500 millions de dollars de rente annuelle que verse Total aux généraux sont le nerf de la guerre pour les militaires. C’est au moins cinq fois le niveau de leurs réserves et bien plus que ce que leur rapporte le commerce avec Pékin. Total est une caution pour la dictature birmane qui finance ainsi ses achats d’armes. À la place du président Sarkozy, je surenchérirais sur Bush en annonçant le gel de tous les investissements français en Birmanie. Cela irait de pair avec la convocation d’une nouvelle réunion du Conseil de sécurité.