Sous la censure, les informations ne nous parviennent de Birmanie que de façon fragmentaire. Il est donc difficile de savoir ce qui se passe dans le pays, notamment en dehors de Rangoun. Ce qui est certain cependant, c’est que depuis deux jours, la répression du mouvement démocratique devient meurtrière. L’armée a tiré sur les manifestants, faisant au moins une quinzaine de morts et de nombreux blessés. Les arrestations se comptent déjà par centaines, si ce n’est par milliers. L’ombre de 1988 —quand 3.000 personnes sont tombées victimes des militaires—, plane sur le pays. L’urgence est à la solidarité [1].
Nicolas Sarkozy a proclamé urbi et orbi son soutien au peuple birman. Il a reçu à l’Elysée le Dr. Sein Win, Premier Ministre du gouvernement birman en exil. Pourtant, bien des mouvements de solidarité dans le monde considèrent que l’Etat français a fait pression pour modérer les sanctions, à l’encontre de la junte ; des sanctions décidées depuis longtemps par l’Union européenne.
Ainsi, pour Khin Maung Win, « le mouvement birman d’opposition pense que la position de l’Union européenne sur la Birmanie a été adoucie par la France, qui a des investissements massifs en Birmanie, et par l’Allemagne qui était le second plus important donneur dans le pays jusqu’à 1988 ». [2].
Depuis 1992, le principal investisseur français en Birmanie est évidemment Total dont le poids économique équivaut à quelque 7% du budget estimé de l’Etat : il exploite le champ gazier de Yadana, avec aussi la construction d’un gazoduc dans le sud du pays [3]. Depuis 15 ans, cette multinationale prédatrice collabore étroitement avec la dictature militaire sans que cela gêne en rien notre ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchener : à New York, il vient de réaffirmer que le pétrolier tricolore doit rester dans le pays. Il est vrai que ledit Kouchner avait en 2003 (il était alors un ancien ministre d’un gouvernement socialiste) chanté les louanges de Total et de ses activités birmanes dans un rapport commandité et grassement payé par l’entreprise sur laquelle le French doctor était censé enquêter — en toute indépendance bien entendu. Un scandale qui avait soulevé un tollé dans la presse et parmi les associations humanitaires [4].
Dans la conférence de presse qui a suivi son entrevue avec le Dr. Sein Win, Nicolas Sarkozy s’est permis de mettre le pétrolier français en cause, jugeant que « les sociétés privées, Total par exemple » devraient faire « preuve de la plus grande retenue » en évitant d’effectuer de « nouveaux » investissement dans ce pays. Derrière sa fermeté apparente, une telle déclaration n’engage cependant pas à grand chose. Notre multinationale a en effet immédiatement fait savoir qu’elle n’envisageait de toute façon pas de procéder à de nouveaux investissements en Birmanie. Elle se contente bien du statu quo.
La seule façon de manifester en France un soutien effectif au mouvement démocratique birman est précisément de rompre le statu quo. La France est le pays occidental le plus engagé auprès de la junte. Aucune conférence de presse, aucun discours de tribune ne peut le faire oublier. Il n’était pas tolérable hier, et il n’est pas plus tolérable aujourd’hui que Total collabore avec la dictature militaire.
Comment prôner en France un durcissement des sanctions économiques contre la junte en s’attaquant à des secteurs clefs et lucratifs (gaz, pétrole, bois rare, pierres précieuses et minerais), si l’on accepte que Total poursuive ses activités ? Comment s’opposer à tout nouvel investissement sans poser le problème des implantations existantes ? Comment dénoncer les activités économiques de la Chine sans parler de celles des firmes françaises ?
En la matière, il est politiquement et moralement indéfendable de s’en tenir au statu quo. Total doit quitter la Birmanie. Maintenant.