YANGDOK (PYONGAN DU SUD) ENVOYÉ SPÉCIAL
Armés de pelles et de pioches, ils sont plusieurs milliers, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, courbés en deux sous des drapeaux rouges, à reconstruire une digue de sept mètres de haut sur plusieurs kilomètres. Une seule pelleteuse, de marque sud-coréenne, s’active, mais l’essentiel du travail est fait à la force des bras. En ville, d’autres équipes, les pieds dans l’eau, se passent à la chaîne des grosses pierres pour renforcer les berges écroulées. Devant la gare, plusieurs centaines de « volontaires » attendent, assis au milieu de pyramides de cailloux, pour prendre la relève ou repartir vers leurs villages.
Yangdok, gros bourg rural de la province de Pyongan du Sud, est à une centaine de kilomètres à l’est de Pyongyang. Mais il faut quatre heures de route serpentant au creux des vallées pour l’atteindre. Cette région montagneuse, où lèvent le riz et le maïs, a été ravagée par les inondations de la mi-août qui ont frappé le centre et l’est de la République populaire démocratique de Corée (RPDC), faisant 600 morts et disparus et un million de victimes, dont 240 000 sans-abri. Il y a une semaine, Yangdok était encore isolé : ponts emportés, routes impraticables.
Ces intempéries sont les plus fortes depuis un demi-siècle. Même Pyongyang a été inondée. A Yonggwang (province d’Hamgyong du Sud) sur la cote est, à 300 km de la capitale, le pont ployé en son milieu est fermé aux poids lourds. Celui sur lequel passe la voie ferrée, datant de la colonisation japonaise (1910-1945), a été emporté. Avec des pieux, des dizaines d’hommes essayent de dégager les piliers de ciment renversés.
Cette mobilisation - 25 000 personnes à Yangdok - est habituelle dans ce pays appauvri et mis au ban de la communauté internationale. Mais, cette fois, l’effort collectif se double d’une bonne volonté inattendue du régime à distribuer l’assistance humanitaire. Dans les lieux sinistrés visités, on voit les bâches blanc et bleu de la Croix-Rouge, des abris de fortune et des sacs de céréales du Programme alimentaire mondial (PAM). Sur les routes, on croise des convois de camions, sans immatriculation, de la Croix-Rouge sud-coréenne.
Alors que, dans le passé, des différends sur l’accès aux populations avaient envenimé les relations entre les autorités et les organisations internationales, celles-ci sont surprises de l’esprit d’ouverture qui prévaut aujourd’hui. « Elles nous donnent, pour l’instant, un accès sans précédent aux populations », commente Jean-Pierre de Margerie, directeur régional du PAM qui est présent dans 37 des 149 districts affectés et va nourrir 200 000 personnes au cours des trois prochains mois.
L’aide alimentaire est acheminée via le système de distribution public. Vérification faite, elle parvient bien aux destinataires. « Nos demandes d’accès au terrain sont acceptées et nous pouvons interroger qui nous voulons », souligne Jeroen Uytterschaut, responsable de l’aide humanitaire de l’Union européenne (UE) en RPDC. « Les organisations internationales tiennent leurs engagements et nous leur en sommes reconnaissants », dit le chef du comité populaire de Yonggwang.
Cette collaboration, mise au compte de la « gravité de la situation » par les autorités, reflète vraisemblablement une volonté politique. Les inondations sont gérées par la Commission de défense nationale (organe suprême du régime), présidée par le dirigeant Kim Jong-il. Accueilli avec prudence par les « routiers » de l’humanitaire en RPDC, rappelant qu’une phase d’ouverture est souvent suivie d’un « tour de vis », cet assouplissement a pour toile de fond le climat de détente relative dû aux progrès des négociations sur la dénucléarisation. L’amélioration de l’accès au terrain favorise une assistance internationale additionnelle.
L’aide d’urgence de l’UE pour les inondations s’élève à 2 millions d’euros, qui s’ajoutent aux 8 millions accordés en 2007 à la RPDC. Il s’agit essentiellement de médicaments et d’équipements de traitement de l’eau. L’unité 1 du programme de soutien européen fournit trois stations de traitement de l’eau capables d’alimenter 5 000 à 10 000 personnes. L’accès à l’eau potable est un des problèmes majeurs. Les inondations ont aggravé le délabrement du système d’adduction. En raison de la pénurie d’énergie, les pompes électriques fonctionnent par intermittence et, au mieux, beaucoup de maisons ne disposent d’eau courante que quelques heures par jour. Dans les régions sinistrées, les risques de contamination sont inquiétants.
Le hameau de Wongdong, dans le canton de Bongsan (province d’Hwanghai du Nord), à une centaine de kilomètres au sud de Pyongyang, a été submergé par la crue du fleuve, passé au-dessus de la digue de dix mètres de haut qui le protégeait. « Pendant des jours, c’était comme la mer : seul le faîte des toits émergeait », rappelle un habitant. Les villageois ont fui à pied deux kilomètres plus loin, tirant les bêtes et portant les vieux à dos d’homme. Avec la décrue, ils sont revenus vivre sur les gravats de leur maison, en attendant la reconstruction du village en un autre lieu.
Une brosse à dents, des bols ébréchés alignés sur des pans de mur démolis, des meubles défoncés et une tente : c’est tout ce qui reste à cette famille. Sèche et énergique, la mère, âgée d’une quarantaine d’années, professe la foi dans le parti et le leader. Mais la « geste » socialiste est confrontée à une dure réalité. De la pompe à main rouillée qui a réchappé aux inondations sort une eau boueuse. Elle est purifiée avec des produits de la Croix-Rouge.
« Les cas de diarrhée et de typhus ont beaucoup augmenté », dit le chef du comité populaire. Le premier hôpital est à une vingtaine de kilomètres de route de fondrières. Les pochettes d’urgence des organisations internationales sont la seule protection contre les épidémies.