La retraite par capitalisation reste soumise aux mêmes contraintes démographiques que celle par répartition. Parce que ce sont toujours les actifs qui font vivre les inactifs. Au moment de la liquidation des contrats, la compagnie d’assurances ou le fonds de pension doivent trouver de nouveaux contractants pour pouvoir verser les pensions. En un mot, seul le travail ajoute de la valeur à partager, le capital est en soi stérile. Merci Marx d’avoir dégonflé la baudruche du capital fictif. Et merci Keynes d’avoir démontré que tout capital doit être « porté » et que sa liquidité pour tout le monde en même temps est impossible. L’épargne retraite et l’assurance-vie ne changent en rien cette règle : on ne finance jamais sa propre retraite car il n’y a pas de congélateur de revenus pour le futur[3].
La capitalisation est condamnée à subir les soubresauts de la finance ; des centaines de milliers d’Américains ont connu cela après la crise des subprimes de 2007. Il n’y a plus aujourd’hui aux États-Unis de système par capitalisation à prestations définies mais seulement des systèmes à cotisations définies. Ainsi, toute visibilité sur les pensions à venir est obscurcie.
Introduire la capitalisation pour « sauver » la répartition obligerait la génération des salariés actuels à payer deux fois pendant le temps de la transition entre les deux systèmes : pour assurer la retraite des anciens et pour abonder le fonds de capitalisation. Absurde et incohérent avec la volonté du patronat de diminuer les prélèvements obligatoires car les primes versées aux fonds de pension ou aux compagnies d’assurances s’ajouteraient aux cotisations.
Le rapport que vient de remettre la Cour des comptes à la demande du premier ministre ne dit pas grand-chose de la capitalisation, sauf ceci qui est loin d’être anodin : « Même s’ils sont limités, ces dispositifs [de capitalisation ou de plans d’épargne retraite] sont coûteux pour les finances publiques. En effet, les cotisations à ces régimes bénéficient de réductions de cotisations sociales et de déduction de revenu imposable, pour un coût estimé à 1,8 Md€ par an. »[4]
La capitalisation, en fin de compte, est une machine à accroître les inégalités puisque, pour capitaliser, il faut détenir du capital, et pour en détenir, il faut disposer de revenus élevés. Pire, à l’ère où le capital s’est mondialisé et où les placements financiers se font là où la main-d’œuvre est devenue très productive mais reste peu chère, la retraite par capitalisation vise à accaparer une part plus grande de la valeur ajoutée mondiale au profit de rentiers, petits et grands. Le vieux rêve du capital est de transformer les travailleurs en minuscules capitalistes. L’impérialisme a toujours consisté à s’approprier des produits primaires ou des matières premières à vil prix et aussi des revenus tirés de l’exploitation de la force de travail du monde entier. La généralisation de la retraite par capitalisation donnerait à cette dernière une nouvelle dimension. Avec une « dose », la capitalisation serait de l’impérialisme, certes en sourdine, mais tellement pernicieux.
Pour terminer, posons une question un peu iconoclaste : si le capital est aussi fécond de valeur ajoutée que le prétendent les pourfendeurs de la retraite par répartition, tout en jurant vouloir la sauver, pourquoi ne proposent-ils pas de faire tourner les machines, les robots et même l’argent plus vite, plutôt que d’allonger sans cesse la durée du travail ?
Jean-Marie Harribey
Notes