Dans un an, le 8 août 2008, débuteront les prochains Jeux Olympiques d’été. Ils se dérouleront dans la capitale de la République populaire de Chine, à Pékin, Shanghai, et dans d’autres villes chinoises, notamment Hong Kong pour les courses hippiques et Qingdao pour les sports aquatiques. Il a longtemps été dit que les Jeux Olympiques contribueraient à une plus grande ouverture de la Chine, que la tenue de ce genre d’événements avait eu un effet positif sur la démocratisation de certains systèmes politiques (la Corée du Sud en1988 surtout) et que le gouvernement chinois serait réceptif à la pression exercée sur lui par les médias étrangers. Les Jeux Olympiques vont-ils contribuer à l’ouverture de la Chine ?
En fait, la société chinoise est déjà très « ouverte » : les touristes du monde entier s’y pressent, les investisseurs rivalisent pour occuper les meilleures niches, les commerçants en tous genres viennent y faire leurs emplettes ou y proposent leurs produits et la culture populaire a déjà intégré toutes les modes en vogue dans le monde entier. Le problème n’est donc pas là ! En effet, l’ouverture de la Chine reste une ouverture trompeuse. D’un côté toutes sortes de censeurs sont là pour veiller à ce que les informations qui dérangent n’entrent ni ne sortent du pays. De l’autre les personnalités perçues comme les plus « dangereuses » pour le régime sont soit emprisonnées, soit expulsées à l’étranger et interdites de séjour, soit assignées à résidence et privées du passeport qui leur permettrait de s’exprimer librement à l’étranger et de rentrer ensuite dans leur pays.
Les débats font rage autour de ces questions. Dernièrement le Comité International Olympique, en la personne de Mr Hein Verbruggen, s’est emporté contre les militants des Droits de l’homme qui veulent « politiser les jeux » (Note 1). En France, fait exceptionnel, une dizaine de grandes organisations de défense des Droits de l’homme ont réussi à mobiliser leurs efforts pour créer le Collectif Pékin, J.O. 2008 et présenter un cahier de huit revendications au gouvernement chinois (Note 2). Leur démarche n’est pas dictée par le désir de politiser les Jeux Olympiques, mais s’appuie plutôt par la certitude que cet événement, dont l’impact médiatique est colossal à l’échelle mondiale, est une occasion qu’il serait criminel de laisser passer dans une atmosphère de mollesse complaisante.
En d’autres termes, ces Jeux Olympiques offrent une chance unique à l’opinion mondiale pour faire pression sur un gouvernement dont l’ambition de devenir à tout prix la première puissance mondiale a levé toutes les inhibitions qui freinent d’ordinaire la brutalité des régimes en place. L’obsession du développement économique permet l’exploitation forcenée des classes les plus pauvres (qui représentent encore nettement plus de 50% de la population), l’expropriation brutale des paysans de leurs terres, et des petites gens de leurs demeures ancestrales en ville, la pollution de plus de 70% des grands cours d’eau, le déplacement des populations autochtones dans les régions excentrées (Tibétains, Mongols, Ouighours…), sans parler de la répression systématique qui frappe non seulement les opposants, mais même les avocats qui tentent de défendre les victimes de cette croissance infernale.
Le sport en Chine bénéficiera-t-il de l’impact des J.O. ?
Ces phénomènes sont connus et créent un malaise de plus en plus grand dans l’opinion occidentale, qui sent bien que l’esprit olympique a du mal à cohabiter avec celui de la dictature, et qui ne peut que constater que le gouvernement chinois n’a pas tenu les promesses émises en 2001 lors de l’obtention du statut de ville olympique pour Pékin. Ne s’était-il pas engagé alors à faire progresser le respect des Droits de l’homme en Chine ? Tout le monde sait que les sociétés progressent grâce au jeu (plus ou moins) équitable qui s’établit entre les pouvoirs et les citoyens, à l’aide de syndicats, de partis d’opposition, de mouvements de protestation. Cet espace indispensable à la respiration d’un pays, cette marge de manœuvre est inexistante en Chine. Parce que le pouvoir sait que sa légitimité politique ne repose que sur ses succès économiques, il continue à maintenir un contrôle intransigeant sur la presse, et à réprimer brutalement tous les mouvements de protestation. Ce cercle vicieux augmente les disparités sociales, régionales, crispe les tensions et aggrave le risque d’explosion sociale.
Pour ne parler que du domaine sportif, on peut, là aussi, constater les conséquences néfastes du type de développement dont s’est doté le pays le plus peuplé de la planète. Jamais les conséquences de l’idéologie en cours, la concentration de tous les moyens concentrés sur une petite partie des citoyens, n’ont été aussi manifestes. Depuis une dizaine d’années, la dérive nationaliste provoquée par le désir forcené de réussir à organiser les Jeux Olympiques a provoqué une concentration des moyens sur les deux villes de Pékin et de Shanghai. Quelques rares informations ont filtré sur l’état délabré du sport en Chine pour la grande majorité de ses habitants. Selon l’ancien ministre de l’agriculture, Chen Yaobang, seuls 20% des villages possèdent des équipements sportifs, si modestes soient-ils, et ils sont tous concentrés sur la côte orientale du pays. En 2004, une enquête gouvernementale avait révélé que sur les 850.000 terrains de sport du pays, seuls 8,10% se trouvaient dans des districts ou cantons ruraux. L’absence de piscines municipales pousse certaines écoles à enseigner la natation dans des rivières, ce qui a provoqué une nette augmentation des morts par noyade parmi les jeunes. Il faut noter en parallèle la multiplication des terrains de golf et des piscines privées destinées aux cadres et aux touristes étrangers…
Les petits citadins ne sont pas toujours tellement mieux lotis ! Selon les responsables de la municipalité de Guangzhou, l’une des villes les plus riches de Chine, un tiers des quartiers de cette agglomération sont dépourvus de la moindre installation ou terrain de sport. Dans l’arrondissement de Chaoyang à Pékin, seuls dix des soixante collèges de ce quartier possèdent un espace suffisamment grand pour permettre à leurs élèves d’y faire un peu de sport. La spéculation immobilière, ainsi que l’obsession mise sur les concours d’entrée dans les bonnes écoles, ont rapidement fait disparaître gymnases et terrains de foot, tout en contaminant l’esprit des directeurs d’école, qui délaissent la nécessité de construire des « esprits sains dans des corps sains ». Un rapport d’enquête publié en août 2006 sur la santé de la jeunesse en Chine signalait qu’un quart des garçons en ville étaient devenus obèses, que 85% des diplômés rencontraient des problèmes pour choisir une carrière à cause de leur état physique insuffisant et que 63,7% des lycéens qui souhaitaient entrer à l’armée étaient déclarés inaptes pour les mêmes raisons. Les quatre caractères qui décrivent la jeunesse d’aujourd’hui sont : ruan (mou), ying (raide), zhong (lourd) et yun (atteint de vertiges) ! Tout cela n’empêchera sans doute pas la Chine de remporter une belle collection de médailles d’or car ses athlètes sont sélectionnés dès leur plus jeune âge et entraînés avec une rigueur qui serait jugée inacceptable par la plupart des sportifs du monde entier.
Les J.O serviront-ils à rapprocher les peuples ?
Si, malgré tout, la tenue des Jeux Olympiques pouvait rapprocher un tant soit peu la population chinoise du reste de la planète, la situation serait moins préoccupantante. Trois points sont à souligner qui ne vont pas dans le bon sens. Tout d’abord, la presse chinoise continue à être fermement contrôlée et le double langage est la règle. Alors que le discours en direction des étrangers, sur le scandale des produits alimentaires frelatés, par exemple, se veut rassurant (« Il s’agit d’événements isolés. Tout est mis en œuvre pour assurer la sécurité des consommateurs », etc.), les responsables des médias chinois qui s’aviseraient de dénoncer un incident quelconque ont été promptement rappelés à l’ordre : seul le Ministère concerné est autorisé à délivrer la permission de traiter ces problèmes. Au même moment, les quotidiens regorgent d’éditoriaux rappelant les périodes idéologiques les plus dures sur la « justesse de la pensée de Deng Xiaoping » ou la « suprématie du socialisme »… Que comprendront les étrangers de passage à Pékin en 2008 de ce qui se passe réellement dans le pays, s’ils n’ont pas les clés de ce double discours ? De plus, les sportifs et journalistes qui se promèneront à Shanghai et à Pékin ne verront que l’aspect le plus clinquant du pays, une superbe vitrine de la Chine. Là encore, comment croire que le décalage entre ces grandes villes et le reste du pays puisse être auusi grand ? Eblouis par la beauté des installations flambant neuf, les spectateurs des J.O. ne comprendront plus rien au message que quelques réalisateurs chinois tentent patiemment de faire passer ! Dans Still Life de Jia Zhangke ou dans L’Orphelin d’Anyang de Wang Chao, les dégâts provoqués par le développement économique tel qu’il a été conçu par l’équipe dirigeante sont présentés avec une éloquence bouleversante, qui nous transporte à des années lumière des splendeurs artificielles de la capitale… Comment imaginer enfin que les liens entre les peuples sortiront renforcés alors que l’interprétation de l’histoire, totalement monopolisée par le pouvoir, ne cesse de diaboliser le rôle historique des étrangers en Chine, et d’évoquer la théorie du complot des pays occidentaux et des ambitions territoriales du Japon, l’Inde, de la Corée, voire même du Vietnam, afin d’élever « le niveau de vigilance de la nation ». Ce type de nationalisme, soigneusement entretenu par l’obsession de devenir une grande puissance, suscitera plus facilement la xénophobie que l’esprit sportif et le fair play.
Pourtant la population chinoise tente péniblement de secouer le joug de la pensée unique imposée par le parti et, dans certaines régions de Chine, comme tout récemment au Nord-Est, on voit apparaître des pancartes sur lesquelles est écrit : « Nous voulons les Droits de l’homme ! Pas les Jeux Olympiques ! » Ces quelques dizaines de millions d’anciens ouvriers de la région la plus industrialisée de Chine dans les années 1960 ont déjà tiré les leçons de leur propre histoire : loin d’améliorer leur sort, la mondialisation et la croissance rapide du pays ont balayé tout ce qui composait leur quotidien et les ont laissés dans le plus grand dénuement.
C’est maintenant la grande majorité de la population qui commence à remettre en cause un système créateur d’inégalités croissantes, de corruption, de problèmes environnementaux. Avec l’augmentation des frais de santé et d’éducation, le modèle de développement économique mis en place par Deng Xiaoping à partir de 1980 est contesté. Ainsi, la seule croissance économique ne constitue plus une base suffisante pour que le régime y assoie sa légitimité. Il a donc de plus en plus de besoin de souffler sur les braises du sentiment nationaliste pour canaliser le mécontentement et pour contrer l’émergence d’un comportement où règne le “chacun pour soi”, qui masque mal une crise morale généralisée.
Hélas, non seulement les J.O. n’y changeront sans doute rien, ils risquent d’encourager les autorités chinoises à poursuivre dans la voie du développement à très court terme.
Cai Chongguo et Marie Holzman (Présidente de Solidarité Chine)
Notes
[1.] Président du Comité de Coordination de CIO, dans un discours prononcé le 5 juillet au Guatemala.
[2.] Le Collectif comprend l’Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), Agir pour les droits de l’Homme (ADH), Amnesty International (AI-France), le Comité de soutien au peuple tibétain (CSPT), Ensemble contre la peine de mort (ECPM), la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH), la Ligue des droits de l’Homme (LDH), Reporters sans frontières (RSF) et Solidarité Chine.
1. Libérer les personnes emprisonnées depuis les manifestations de Tian’anmen (1989) et tous les prisonniers d’opinion.
2. Mettre fin au contrôle de l’information sur Internet
3. Suspendre les exécutions sur tout le territoire chinois en vue d’aboutir à l’abolition de la peine de mort
4 Supprimer la détention administrative
5. Mettre un terme à la pratique systématique de la torture
6. Permettre la constitution de syndicats libres et indépendants
7. Supprimer l’article 306 du Code pénal, qui permet la répression des avocats
8. Mettre fin aux expulsions forcées des citoyens de leur logement ou de leurs terres.