Il y a, bien sûr, le cas de l’écrivain algéro-français Boualem Sansal, largement médiatisé depuis son arrestation et son placement en détention en Algérie le 16 novembre 2024, malgré son âge avancé et un état de santé qui se détériore, selon ses proches. Et puis il y a tous les autres : plus de deux cents détenus d’opinion (une majorité d’hommes et quelques femmes) dont il n’est presque jamais question, souvent arrêtés et enfermés de façon arbitraire, qui croupissent en prison dans l’attente d’une potentielle grâce présidentielle – la dernière date de novembre 2024 et avait concerné une dizaine d’entre eux.
Difficile de trouver aujourd’hui, en Algérie, les témoins de la répression ambiante. Celles et ceux qui autrefois documentaient les atteintes aux droits humains et les arrestations arbitraires, et qui tentaient d’alerter le reste du monde sur les dérives d’un pouvoir de plus en plus autoritaire, ont été réduits au silence. La Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) a été dissoute en 2023, comme de nombreuses autres ONG spécialisées dans les droits humains, poussant leurs dirigeant·es sur les routes de l’exil, en France ou en Belgique.
Au premier plan, une manifestation pour la libération des détenus d’opinion à Alger, le 4 octobre 2019. En fond, le recensement sur la page Facebook « Détenus d’opinion » © Photomontage Armel Baudet / Mediapart avec AFP et Détenus d’opinion
C’est le cas d’Aissa Rahmoune et de Saïd Salhi, mais aussi d’Amira Bouraoui, qui s’est opposée au quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika avec le mouvement Barakat. « J’ai un temps espéré que la présidence d’Abdelmadjid Tebboune puisse faire office de transition, même si j’étais contre la manière dont il avait été élu. Par la suite, il y a eu comme un élan de vengeance contre les militants qui s’étaient mobilisés », avait-elle déclaré.
De petites associations socioculturelles, comme Bel Horizon ou l’association Santé Sidi El-Houari (Mediapart a raconté, en 2019, comment la structure préservait le patrimoine local à Oran et formait des jeunes en décrochage scolaire à différents métiers manuels), ont disparu dans le silence, voyant leurs locaux mis sous scellés du jour au lendemain, soupçonnées d’ingérence étrangère au prétexte qu’elles recevaient des fonds de l’Union européenne.
Il devient « difficile de documenter ce qu’il se passe là-bas », explique Monia Ben Jemia, présidente de l’ONG EuroMed Droits, qui tente malgré tout de garder un œil sur la répression en Algérie. « On a encore des contacts, on continue de travailler sur cette zone. Mais tout est verrouillé : la presse, le monde associatif, l’opposition. » Selon les estimations de Human Rights Watch (HRW), « au moins plusieurs dizaines de personnes sont détenues pour leurs opinions ou leur activisme » en Algérie.
Record d’arrestations en 2024
Mais l’ONG précise qu’il est « de plus en plus difficile de documenter les cas de façon exhaustive étant donné la sévère répression dans le pays ». « Cela a conduit à l’anéantissement de l’espace civique, des organisations de défense des droits humains et de la presse », regrette Bassam Khawaja, directeur adjoint pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient de HRW. La dernière liste de détenu·es d’opinion, dressée par le défenseur des droits humains Zakaria Hannache en décembre 2024, comporte 217 noms. Elle est non exhaustive.
« J’ai documenté 46 arrestations, 28 gardes à vue, 28 mandats de dépôt depuis le début de l’année 2025, écrit-il sur sa page Facebook le 21 février, indiquant une hausse du nombre de détenus depuis. J’ai également documenté 243 prisonniers d’opinion actuellement en prison, [dont] je vais partager la liste des noms prochainement. » La liste actualisée sera diffusée dans les prochaines semaines.
Depuis 2019, d’abord auprès du réseau de lutte contre la répression et pour la libération des détenus d’opinion (depuis mis à l’arrêt), puis de sa propre initiative, Zakaria Hannache égrène les arrestations, photo et nom des personnes concernées à l’appui, pour annoncer les arrestations, mandats de dépôt ou condamnations. Pour certains, la famille ne souhaite pas qu’ils soient mentionnés dans la liste, ce que dit respecter Zakaria Hannache.
En réalité, dit-il, « c’est donc bien plus que 243 ». « Il y a eu un nombre d’arrestations et de placements en détention record en 2024 », déplore le militant. Selon lui, le hashtag #ManichRadi (« je ne suis pas satisfait ») aurait conduit à une « escalade » des arrestations. « Lorsque j’ai connaissance d’une arrestation, je vérifie qu’il ne s’agit pas d’une affaire de droit commun, et que la personne a bien été interpellée pour “délit d’opinion”, précise-t-il. Cela prend beaucoup de temps. »
En décembre, le média Le Matin d’Algérie a fait le choix de publier la liste, la traduisant de l’arabe au français. Depuis, des personnes ont été libérées, parce qu’elles ont purgé leur peine ou bénéficié d’une grâce présidentielle. Nous publions également cette liste, bien qu’elle doive encore être mise à jour par son auteur.
Sur Facebook, la page « Détenus d’opinion » tente de tenir le même recensement, au jour le jour, en publiant noms et photos ; de même que le militant du Hirak Kacem Saïd, lui-même placé sous mandat de dépôt en 2021, accusé entre autres d’« appartenance à une organisation terroriste », « atteinte à l’unité nationale » et « atteinte au moral de l’armée ». Ce sont là les dernières voix qui trouvent encore le courage et la force d’affronter le régime en place.
Le recensement sur la page « Détenus d’opinion ». © Captures d’écran / Page Facebook « Détenus d’opinion »
Selon Zakaria Hannache, 187 détenu·es sur 243 sont ainsi poursuivi·es sur la base de l’article 87 bis du Code pénal, relatif au terrorisme, ce qui a pour effet de rallonger la période de détention et d’aboutir à des condamnations « beaucoup plus lourdes ». Dans un pays comme l’Algérie, où le terrorisme a traumatisé des générations entières, la symbolique de cette accusation pèse lourd sur les accusés : « Le pouvoir joue là-dessus. Beaucoup parmi les détenus d’opinion dénoncent leur enfermement mais surtout le lien fait avec le terrorisme. »
« Je réitère mon appel au gouvernement algérien pour qu’il modifie l’article 87 bis du Code pénal afin que la définition du terrorisme et des infractions qui y sont liées soit accessible, formulée avec précision, non discriminatoire et non rétroactive, conformément aux normes internationales », a déclaré Mary Lawlor, la rapporteuse spéciale des Nations unies pour les défenseurs des droits humains, à l’occasion de la publication de son rapport, le 5 mars, faisant suite à une visite officielle en Algérie en 2023.
Il faut libérer tous ceux qui sont injustement emprisonnés, Sansal mais aussi tous les autres Algériens qui ne bénéficient d’aucun soutien ou visibilité.
Elle y pointe de « graves difficultés » pour les défenseurs et défenseuses des droits humains, comme l’arrestation de militant·es qui se rendaient à Tizi Ouzou, en Kabylie, pour la rencontrer. Et distingue quatre principales violations « utilisées pour empêcher les défenseurs des droits humains d’exercer leur travail » : un harcèlement judiciaire constant, la dissolution des principales organisations de défense des droits humains, des restrictions à la liberté de mouvement, ainsi que des pratiques d’intimidation et de surveillance ayant de graves répercussions sur la santé mentale des militant·es et de leurs familles.
Monia Ben Jemia, qui a participé ce mois-ci à un séminaire sur l’Algérie lors du 58e Conseil des droits de l’homme à Genève, explique qu’« aucun progrès » n’a été observé depuis la visite de Mary Lawlor, avec toujours « autant d’arrestations arbitraires, d’interdictions de quitter le territoire ou de torture en prison ». « Le projet de loi à venir sur les associations va accentuer le contrôle de l’État en maintenant le régime de l’autorisation préalable, et ce, alors qu’ils ont déjà fermé pas mal de structures, comme la radio associative Radio M. »
En février, Ihsane El Kadi, journaliste et fondateur de Radio M, déjà emprisonné en 2022 puis relâché en novembre 2024 à la faveur d’une grâce présidentielle, a de nouveau été inquiété, arrêté et interrogé par les services de la sécurité intérieure puis relâché le jour même.
Un mois plus tôt, le journaliste Abdelwakil Blam était lui aussi arrêté et interrogé… avant de disparaître. Le collectif de sauvegarde de la LADDH, qui tente de garder active l’association malgré sa dissolution, a alors exprimé « toute son inquiétude sur le sort du journaliste, dont la famille est sans nouvelles “depuis le 29 décembre 2024” », et demandé « aux autorités concernées de faire toute la lumière » sur cette affaire.
S’agissant de Boualem Sansal, Bassam Khawaja (HRW) estime que son cas « illustre bien la répression qui sévit en Algérie, contre ceux qui critiquent les autorités ou expriment des opinions qui leur déplaisent ». Il réitère son appel aux autorités algériennes : « Il faut libérer tous ceux qui sont injustement emprisonnés, Sansal mais aussi tous les autres Algériens qui ne bénéficient d’aucun soutien ou visibilité. »
Anais Taieb
La liste non exhaustive des détenu·es d’opinion en Algérie
p>Farid Aabaoub
Liamine Abada
Samir Abbas
Mohamed Abdellah
Tahar Achiche Mohand
Lahlou Aït Abbas
Cherif Aït Ali
Idir Aït Hakim
Hafid Aït Ouareth
Amar Aït Yahia
Mourad Aït Zidi
Lounas Akkad
Madjid Akkad
Madjid Amaouche
Kamel Amar
Youcef Amara
Abdelkader Amichi
Fouzia Amrane
Meziane Arab
Messaoud Attaf
Nassim Attaf
Ghassima Azaleddine
Bachir Azouz
Yahyaoui Azouz
Ayoub Azzaoui
Karim Baaziz
Djabar Bachiri
Mohamed Baghdad
Bachir Baghdadi Belhadj
Mohamed Bahous Zekrar
Kamel Bahri
Samir Bali
Rafik Belaali
Fares Belabbes
Ziyad Belhachani
Ali Belhout
Djamel Bellil
Youghourta Belkacem
Mohamed Belkhir
Marouane Belmakhfi
Fateh Belmokdad
Mohamed Ben Aïssi
Arab Ben Ali
Rachid Ben Amar
Abdelkader Ben Amara
Houari Ben Brahem
Saïd Ben Dris
Ali Ben Hadjar
Ghilas Ben Kourou
Halima Ben Mohamed
Houari Ben Tata
Kassili Ben Yahya
Yougourthen Benadjaoud
Abdefattah Benhadj
Aïssi Benhiri
Djamila Bentouis
Hamchaoui Benyamina
Chamseddine Berhala
Arezki Bessalah
Hocine Beyadha
Abdelwakil Blam
Djallil Bouamari
Salem Bouazza
Youssef Bouazza
Malek Boubiki
Abdellah Boubouachria
Youssef Boubras
Zahir Bouchaala
Khadir Bouchlaghem
Noureddine Boudaoud
Abdelhakim Boudaoui
Kadrou Boudchicha
Fatima Boudouda
Mohamed Boudraa
Youssef Boudras
Ilyes Bouhada
Abderakib Boukhari
Amine Boukhari
Younes Bounadi
Farid Bouroumani
Tarek Boutamar
Adda Boutheldja
Djamel Bouzrib
Mohamed Chahid
Tahar Charfa
Yacine Charfi
Amine Chellali
Abdelghani Chenaguer
Khaled Chouiter
Mohamed Daadi
Ilyes Dabah
Mokhtar Dali
Hamzi Damoulou
Kamari Darama
Mokhtar Dari
Soheib Debaghi
Mohamed Derbal
Mouloud Djaballah
Liamine Djahout
Walid Djahout
Azzedine Djamal
Kheireddine Djaou
Samir Djaralfia
Djamel Djeddar
Hassane Djeffal
Mohamed Djelout
Hachemi Djidjeli
Moussi El Boura
Fateh Farez
Toufik Fartas
Nadir Ferhaten
Mohamed Ferihi
Hicham Ferkoul
Karim Fethi
Rachid Ghabi
Othmane Ghabloudj
Mourad Gharnaout
Ali Ghediri
Abdelkrim Ghezlani
Badreddine Guerfa
Abderaouf Haddad
Mohamed Haddam
Mahfoud Hamdani
Toufik Hamdani
Chaalal Hamiche
Sofiane Hamidate
Zineddine Hamidi
Walid Hamitouche
Farez Hamou Izem
Djaafar Hamzi
Hassam Hassad
Arezki Hidja
Ibrahim Hidouche
Mehdi Idiri
Makhlouf Ilmama
Mounir Kaabache
Abderrahmane Kabi
Mohamed Kacem
Tahar Kacem
Malek Kachi
Bachir Kaddour
Ahmed Kaïdi
Fateh Kasdi
Allal Kediri
Badreddine Kermat
Kamel Kertach
Bilal Khamadj
Samir Khanouche
Redouane Kharkhour
Slimane Kharmouss
Salah Khelifat
Abdelhak Khemadj
Marzouk Khenchali
Abdelhay Khodja
Amar Khouni
Moustapha Kira
Samir Kouriche
Ibrahim Laalami
Othmane Laarbi
Bahmed Laasakar
Toufik Labsisi
Abbas Lahlou
Massinissa Lakhal
Djamel Lalilache
Tahar Larbi
Islam Latrache
Samir Lounisi
Azzeddine Maachi
Hafidh Mabrouk
Mohamed Mabrouk
Akli Mahni
Massi Makatti
Zahir Maklati
Arezki Makhloufi
Youghourtha Mala
Belaïd Mamouni
Oussama Meddassi
Yacine Mekirache
Nabil Mellah
Ilyes Mesbah
Issam Messaadia
Mira Mokhnach
Abdeslam Mokhnache
Leila Moudoubi
Fethi Mourad Boukhari
Boualem Mouslim
Karim Mouzaia
Kouaad Ouabdi
Rachid Oud Brahim
Samir Oughlis
Amar Oulmi
Mohamed Ouriached
Ahmed Oussiidane
Abderaouf Rabhi
Moustapha Radjouh
Kassila Ramdhani
Yasser Rouibah
Rachid Saadaoui
Amine Sales Nadjib
Mabrouk Sadi
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