Le 5 décembre dernier le Syndicat de la Magistrature a publié une enquête qui jette un pavé dans la mare en révélant le sexisme systémique régnant au sein de l’institution judiciaire et perpétré par des magistrat-es, ceux et celles qui rendent justice au nom du peuple français.
Cette enquête, réalisée par le biais d’un questionnaire en ligne auto-administré et adressé à l’ensemble des juges et personnels de justice a permis de récolter 927 réponses au total (dont 525 complètes).
Elle conduit à un constat édifiant qui interroge légitimement sur la capacité de l’institution à juger de manière impartiale les violences sexistes et sexuelles, respecter la loi qu’elle est censée mettre en œuvre, respecter les obligations conventionnelles (parmi lesquelles la Convention Européenne des droits de l’Homme et la Convention onusienne pour l’élimination des discriminations contre les femmes CEDAW) et surtout répondre à la puissante revendication sociétale qui ne cesse de croître : que la justice garantisse de manière effective les droits fondamentaux des femmes.
Le résultat de cette enquête n’est toutefois pas surprenant, les institutions étant des bastions conservateurs et misogynes, en dépit de la forte féminisation de ce métier. Tout comme la Médecine et les médias, la Justice est profondément structurée par la culture du viol désormais impossible à occulter.
Cette enquête inédite est toutefois un signe positif : enfin cette profession qui juge les autres ouvre un salutaire espace pour une introspection.
Ce que dit l’enquête :
• D’après les données récoltées, 9% des répondant-es se déclarent victimes, et près de 15%, témoins de violences sexistes et/ou sexuelles, les personnes concernées signalant chacune plusieurs faits.
• 82,5% des victimes sont des femmes tandis que 91,6% des auteur-ices sont des hommes.
• Dans 70% des cas, l’auteur-ice était un-e ascendant-e hiérarchique.
On relève divers exemples d’actes, comme des pratiques exhibitionnistes, ou bien des paroles : insultes à caractère sexuel, propos sexualisés, dénigrants, essentialisants, mettant la victime dans une position de sidération et réduite à son genre. De nombreux propos ou comportements homophobes/transphobes sont également mis en évidence.
Gravissime, sont rapportés des cas de harcèlement, avec représailles professionnelles en cas de « rébellion » de la victime.
Les femmes enceintes ou en âge de l’être se voient en outre discriminées et leurs capacités professionnelles remises en question.
Sans surprise, des témoignages spontanés révèlent des comportements ou paroles misogynes à l’encontre des justiciables.
Enfin, les données qualitatives font état de la banalisation des faits, du manque de sensibilisation, de la sous-dénonciation de ces violences, de carences dans la prise en charge des signalements, et de l’inertie de l’institution de façon générale.
Si la puissance de l’enquête peut être questionnée du fait du faible taux de réponse ; si la qualité du questionnaire n’ayant à notre connaissance pas été validée par des associations féministes ou sociologues peut être pointé du doigt ; si l’on peut critiquer le biais déclaratif induit par une enquête en ligne auto-administrée, ce travail pionnier pose toutefois les jalons d’une révolution dans le monde de la magistrature, du moins l’espérons-nous.
Les violentes réactions de rejet et de déni au sein de l’institution judiciaire auxquelles a donné lieu la publication de cette enquête révèlent l’ampleur de la tâche.
Passée sous les radars, cette enquête est fondamentale tant elle met en surbrillance les véritables causes de l’impunité des violences sexistes et sexuelles en France.
Alors que les projecteurs sont dirigés pleins feux sur la définition du viol que l’on accuse d’être imparfaite, cette enquête nous propose une approche plus radicale et nous invite à questionner l’objectivité et le niveau de formation des humain-es qui sont chargé-es d’interpréter ces textes.
La responsabilité de la magistrature dans l’inacceptable bilan de 1,7% (le chiffre noir du taux de répression des viols en France) nous semble être une piste à privilégier.
A cet égard, 7 recours contre les défaillances lourdes de toute la chaîne pénale à réprimer les viols (et particulièrement le travail des magistrats) en France sont actuellement pendants devant la Cour EDH. Les 7 arrêts sont imminents.
Les engagements internationaux de la France lui imposent de garantir aux femmes une protection juridique effective contre tout acte de discrimination et de violence. La prise en compte de la problématique femmes-hommes par l’appareil judiciaire est déterminante et l’Etat doit garantir que la magistrature soit débarrassée des préjugés et stéréotypes sexistes et a fortiori de violences.
L’enquête mériterait par conséquent d’être complétée par un travail de plus grande envergure menée par des professionnel-les et militant-es, afin d’obtenir des chiffres significatifs coupant court à toute forme de déni - ultime protection d’un milieu imprégné par la culture patriarcale.
Nous demandons au Garde des sceaux et au Conseil Supérieur de la Magistrature :
• D’initier une enquête d’envergure visant à quantifier le niveau de sexisme dans la Justice ;
• De protéger les victimes : des cellules d’écoute devraient être créées pour assurer la sécurité des femmes et libérer la parole, avec des référent-es dédié-es, des procédures internes de signalement anonyme, et des sanctions exemplaires pour les auteur-ices de VSS de tout ordre ;
• D’améliorer la formation pour assurer une justice impartiale et objective en complétant le programme de formation initiale et continue à l’ENM sur les VSS qui est manifestement insuffisant, d’intégrer, conformément au droit international, une approche sociologique et scientifique des violences masculines, et de rendre obligatoire cette formation d’un an à tous les magistrats ayant des fonctions pénales ou comme juge aux affaires familiales (JAF).
Tolérance zéro ! Il en va de la confiance des femmes dans le respect de la loi et dans l’institution judiciaire
Premières signataires :
Organisations
Lucie CHARLES, membre du Bureau des EFFRONTEES !
Marie-Noelle BAS, présidente des CHIENNES DE GARDE
Michèle VITRAC-POUZOULET, présidente d’Elu.e.s contre les Violences Faites aux Femmes (ECFV)
Mornia LABSSI, co-présidente de Coudes à Coudes
Emmanuelle PIET, présidente du Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV)
Murielle SALMONA, présidente de l’Association Mémoire Traumatique
Céline PIQUES, Osez le Féminisme !
Hamidi HAMIA, secrétaire générale de l’UNEF, syndicat étudiant
Youlie YAMAMOTO, porte-parole d’Attac
Julie FERRUA, co-déléguée générale de l’Union syndicale Solidaire
Murielle GUILBERT, co-déléguée générale de l’Union syndicale Solidaire
Claire QUIDET, présidente du Mouvement du Nid
Personnalités :
Hélène BIDARD, élue PCF de la Ville de Paris
Céline THIEBAULT MARTINEZ, députée du Parti Socialiste
Eva SAS, députée EELV
Raphaëlle REMY-LELEU, Conseillère de Paris. Les Ecologistes
Quentin DEKIMPE, avocat
Lorraine QUESTIAUX, avocate
Camille MARTINI, avocate
Seydi BA, avocat
Eva DARLAN, comédienne
Colette CAPDEVIELLE, députée PS
Marietta KARAMANLI, députée PS
Hervé SOLIGNAC, députée PS
Roger VICOT, député PS
Paul CHRISTOPHLE, député PS
Marie-Josée ALLEMAND, députée PS
Giovanni WILLIAM député, PS
Katia BOURDIN, conseillère Régionale aquitaine
Shirley WIRDEN, responsable droit des femmes PCF