Un grand panneau d’affichage à Jérusalem représente le président élu américain Donald Trump exhortant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à mettre fin à la guerre, le 13 janvier 2025. (Chaim Goldberg/Flash90)
Presque immédiatement après l’annonce qu’Israël et le Hamas avaient convenu d’un cessez-le-feu à Gaza, c’est un véritable consensus qui est apparu dans les médias internationaux et israéliens : ce sont les pressions et les menaces du nouveau président Donald Trump qui ont conduit le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahoou à accepter enfin un accord qui était sur la table depuis mai 2024. Cette anecdote sur Steven Witkoff, l’envoyé de Trump au Moyen-Orient, qui est arrivé à Jérusalem samedi matin et a informé Netanyahou qu’il n’avait pas l’intention d’attendre la fin du sabbat pour discuter avec lui, est en passe de rentrer dans le domaine du folklore.
« Il n’y aurait pas eu d’accord si le grand et puissant Donald Trump n’avait pas pris la main de Netanyahou, ne l’avait pas pliée derrière son dos, puis encore un peu plus, puis encore un peu plus, puis n’avait pas appuyé sa tête sur la table, puis ne lui avait pas murmuré à l’oreille que dans un instant il lui donnerait un coup de pied dans les couilles », a tweeté mercredi le journaliste de Haaretz Chaim Levinson, résumant ainsi le sentiment général. « Quel malheur que Biden n’ait pas réalisé qu’il fallait agir de la sorte depuis longtemps ».
Nous ne savons pas exactement ce qui s’est dit lors de la conversation entre Witkoff et Netanyahou. Il est possible que Trump ait effectivement menacé Netanyahou et que le premier ministre israélien ait craint la colère du président élu. Mais en y regardant de plus près, on s’aperçoit que d’autres dynamiques sont à l’œuvre. En réalité, la décision d’accepter l’accord de cessez-le-feu semble avoir moins à voir avec Trump qu’avec les changements dans la façon de considérer la guerre à l’intérieur d’Israël.
Revenons en arrière : juste après son retour de sa première visite en Israël après l’attaque du Hamas du 7 octobre, le président Biden mettait en garde Israël contre une réoccupation de Gaza. Il se disait également convaincu qu’« Israël ferait tout ce qui est en son pouvoir pour éviter de tuer des civils innocents » et que la population de Gaza aurait accès à des médicaments, à de la nourriture et à de l’eau. M. Biden a également mois en garde Israël contre la répétition des erreurs commises par les États-Unis après le 11 septembre 2001 et contre la tentation de laisser le souhait de « rendre la justice » prendre le dessus. Netanyahou a écouté tout cela, puis a fait le contraire.
Tout au long de la guerre, Israël a grossièrement ignoré les avertissements américains, même lorsqu’ils étaient accompagnés de menaces explicites de cessation des livraisons d’armes - comme avant qu’Israël n’envahisse Rafah en mai dernier, et lorsqu’il privait de nourriture le nord de la bande de Gaza ces derniers mois. Et s’il est possible que Trump fasse plus peur à Netanyahou qu’à Biden, nous devons nous poser la question suivante : si Netanyahou avait refusé d’accepter l’accord maintenant, Trump aurait-il arrêté les livraisons d’armes à Israël ou levé le veto américain sur les résolutions anti-israéliennes à l’ONU ?
L’ambassadeur des États-Unis en Israël choisi par Trump, Mike Huckabee, soutient le maximalisme territorial de l’extrême droite israélienne et ne croit pas au mot « occupation ». Est-il possible que l’administration Trump fasse quelque chose qu’aucune administration américaine n’a jamais fait auparavant ? Aussi, alors que la pression de Trump a sans aucun doute une incidence significative, nous devrions nous pencher sur ce qui se passe en Israël même.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou rencontre le président américain Donald Trump à la Maison Blanche à Washington DC, le 5 mars 2018. (Haim Zach/GPO)
Comme je l’avais prédit il y a moins de deux mois, peu avant le cessez-le-feu au Liban : « Mettre fin à la guerre dans le nord ramènera inévitablement l’attention de l’opinion publique israélienne sur la guerre à Gaza, et les doutes sur la viabilité de sa poursuite referont surface. Même si Trump donne le feu vert à la poursuite du nettoyage ethnique à Gaza, il n’est pas certain que cela suffise à convaincre la population israélienne. Qu’Israël en ait ou non l’intention, la fin de la guerre au Liban pourrait hâter la fin de la guerre à Gaza. » À mon sens, c’est exactement ce qui s’est passé.
Certains diront que l’accord est le produit de glissements dans la manière de penser du Hamas après qu’il a été laissé seul face à la machine de guerre israélienne, consécutivement à la décision du Hezbollah de cesser ses tirs et à l’effondrement du régime d’Assad en Syrie. Mais si le Hamas a un jour cru (et on peut se demander s’il l’a vraiment cru) que la menace d’une intensification des frappes du Hezbollah empêcherait Israël de faire ce qu’il voulait à Gaza, il est fort probable que l’invasion de Rafah ait prouvé le contraire. En outre, le régime Assad était hostile au Hamas, et le nouveau régime en Syrie pourrait en fait lui être plus favorable, ainsi que le donne à penser la récente visite à Damas du premier ministre du Quatar.
Il n’y a aucune raison de mettre en doute l’affirmation du ministre de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir selon laquelle les pressions politiques qu’il a exercées sur M. Netanyahou ont à plusieurs reprises fait échouer un accord au cours de l’année écoulée. L’idée selon laquelle l’accord a été conclu parce que le Hamas a abandonné toutes ses exigences en raison de l’entêtement de M. Netanyahou est « une belle histoire, mais elle n’est pas vraie. En fait, c’est exactement le contraire de la réalité », a écrit le journaliste israélien Ronen Bergman dans Ynet ; il a démontré à maintes reprises comment Netanyahou lui-même avait saboté l’accord après que les États-Unis et le Hamas l’eurent accepté il y a huit mois.
Il était presque embarrassant de voir le conseiller en communication pour la sécurité nationale des États-Unis, John Kirby, expliquer sur la chaîne israélienne Channel 12 que le Hamas n’a cédé et accepté le cessez-le-feu que parce qu’Israël a éliminé son précédent dirigeant Yahya Sinouar - quelques jours seulement après que le secrétaire d’État Antony Blinken avait déclaré dans une interview au New York Times que l’assassinat de Sinouar avait en fait rendu les négociations beaucoup plus difficiles. Washington ferait mieux de se décider pour un seul mensonge à raconter, puis de se coordonner pour le diffuser.
Une guerre de plus en plus impopulaire
En Israël, la guerre à Gaza est devenue un fardeau pour le gouvernement, l’armée et la société dans son ensemble. Dans tous les sondages récents, une nette majorité - entre 60 et 70 %, voire plus - est favorable à l’idée de mettre fin à la guerre. Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, la fin de la guerre au Liban a en fait renforcé le désir de mettre fin à la guerre à Gaza.
Il y a à cela diverses raisons. Les manifestations hebdomadaires organisées par les familles d’otages n’ont certes pas l’ampleur de celles qui ont suivi la découverte des corps de six otages assassinés par le Hamas en septembre dernier, mais le défi qu’elles représentent pour le gouvernement demeure entier. Au contraire, jamais auparavant autant d’Israélien.ne.s n’étaient descendu.e.s dans la rue en aussi grand nombre pour réclamer de manière aussi catégorique la fin d’une guerre qu’Israël était en train de livrer.
Des Israélien.ne.s manifestent pour demander la libération des otages de Gaza devant le siège du ministère de la Défense à Tel-Aviv, le 7 septembre 2024. (Erik Marmor/Flash90)
Dans un récent discours prononcé lors de l’une de ces manifestations, alors qu’une énième délégation israélienne partait pour des négociations sur le cessez-le-feu au Quatar, Einav Zangauker - un militant de premier plan dont le fils, Matan, est retenu en captivité à Gaza - avait prédit que la délégation rentrerait chargée de la revendication du Hamas d’arrêter la guerre, et que Netanyahou prétendrait que le Hamas avait durci ses positions. « Ne croyez pas à ces mensonges », avait-elle déclaré à la foule.
L’armée elle aussi montre des signes de fatigue. Bien qu’elle ait consacré d’importants efforts au nettoyage ethnique du nord de Gaza depuis le début du mois d’octobre, le Hamas est loin d’être vaincu et continue d’infliger des pertes à l’armée israélienne. Pas plus tard que la semaine dernière, quinze soldats ont été tués à Beit Hanoun, une zone que l’armée a commencé à occuper au début de l’invasion terrestre, il y a plus de quatorze mois.
La mission de sauvetage des otages, comme en ont témoigné des militaires, semble impossible. Tout ce qu’il reste à faire, c’est de détruire le nord de Gaza simplement pour la forme. Un officier de réserve, qui a servi plus de 200 jours à Gaza, m’a dit que le sentiment dominant parmi les soldats est que la guerre ne mène nulle part - non pas en raison d’une opposition morale (62 % des Israélien.ne.s sont d’accord avec l’affirmation « il n’y a pas d’innocents à Gaza », selon un récent sondage du Centre aChord), mais parce que ses objectifs restent flous.
Plus important encore, il est probable que M. Netanyahou lui-même ait commencé à reconsidérer l’idée qu’il n’a rien à gagner à mettre fin à la guerre et qu’il n’a qu’à y perdre. On aurait pu penser que sa popularité aurait fait un bond après ce que la quasi-totalité des médias israéliens a décrit comme les victoires éclatantes obtenues par Israël au Liban, en Syrie, en Iran et à Gaza. En réalité, c’est le contraire qui s’est produit. Des sondages récents montrent que la coalition de M. Netanyahou est tombée à 49 sièges sur 120, ce qui est proche du niveau qu’elle avait immédiatement après le 7 octobre, tandis que le bloc de centre-gauche pourrait former une majorité, même en l’absence des partis palestiniens encore présents à la Knesset.
Dans l’ensemble, il semble que les manifestations des familles d’otages - qui s’amplifient chaque fois que l’armée ramène un nouvel otage dans un sac mortuaire - conjuguées à l’épuisement et à la démotivation de l’armée, à l’impopularité de la guerre auprès de l’opinion publique et à la baisse de la cote de popularité de Netanyahou dans les sondages, aient amené le Premier ministre à conclure que la poursuite indéfinie de la guerre réduirait ses chances de remporter les prochaines élections - prévues dans un an et dix mois - à néant ou à un niveau très faible.
En conséquence, Netanyahou a peut-être décidé qu’il était temps de réduire ses pertes. Même si Ben Gvir et le ministre des Finances Bezalel Smotrich décident de faire tomber le gouvernement, Netanyahou a de bonnes chances de remporter des élections anticipées en présentant les scalps de Sinouar et de Nasrallah d’une main et en embrassant les otages qui reviennent de l’autre.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou prend la parole devant la Knesset à Jérusalem, le 23 décembre 2024.(Chaim Goldberg/Flash90)
L’excuse parfaite
Si tel est le cas, la pression de Trump - qu’elle soit réelle ou exagérée - constitue l’excuse parfaite pour que Netanyahou puisse expliquer à ses partisans pourquoi il est descendu de l’arbre de la « victoire totale ». Si Channel 14, le réseau de propagande de Netanyahou, parle de « discussion musclée » entre Netanyahou et Witkoff, on soupçonne que la source de l’information est le bureau du Premier ministre, et non les Américains. Netanyahou a clairement intérêt à amplifier ce récit : il pourra ainsi prétendre qu’il s’est vaillamment battu contre les « gauchistes » de l’administration Biden, mais qu’il a été impuissant face au républicain imprévisible et facilement irritable de Mar-a-Lago.
La preuve que la guerre et son arrêt sont des questions internes à Israël sera probablement apportée dans 42 jours, lorsque la première étape de l’accord arrivera à son terme et que commencera la seconde, qui est censée comporter le retrait total israélien de la bande de Gaza. Après la signature de l’accord au Quatar, Trump a déclaré qu ’ il était la preuve que son administration allait « chercher la paix et négocier des accords » au Moyen-Orient, ce qui laisse entendre qu’il compte sur ce cessez-le-feu pour mettre fin à la guerre. La formulation de l’accord, qui stipule que les négociations en vue de la deuxième phase commenceront au 16e jour de la première phase et que tant que ces négociations se poursuivront, le cessez-le-feu restera en place, va dans le même sens.
Pourtant, M. Smotrich conditionne sa décision de demeurer au sein du gouvernement à la reprise de la guerre par Israël, à la conquête de Gaza dans son intégralité et à la restriction sévère de l’aide humanitaire après la conclusion de la première phase de l’accord. Lors de la réunion du cabinet qui a approuvé l’accord vendredi, M. Netanyahou a déclaré avoir reçu l’assurance de M. Trump qu’il pourrait reprendre la guerre si les négociations précédant la deuxième phase échouaient. Cela va apparemment à l’encontre de la volonté de Trump, mais sous la pression de la droite, Netanyahou pourrait bien approuver une reprise des combats - ce qui signifie que la pression américaine, même sous l’égide du « grand et puissant » Trump, a une limite.
Ce n’est donc pas la peur de Trump qui empêchera Netanyahou de relancer la guerre, du moins pas à elle seule. La peur de la colère des familles des otages abandonnés à Gaza sera un facteur plus important. Les inquiétudes de l’armée concernant la réoccupation de la ville de Gaza, après le retour de centaines de milliers de Palestiniens au cours de la première phase de l’accord, pourraient également peser dans la balance. L’opinion publique israélienne, qui connaîtra des moments d’euphorie avec le retour des otages, n’acceptera pas facilement un retour à la guerre - sans parler des réservistes de l’armée qui se présentent déjà moins facilement au service, des coûts économiques et du désir général de retour à la normale.
Avec tout le respect dû au président élu, il se pourrait que les prochaines actions d’Einav Zangauker soient tout aussi importantes, sinon plus, que celles de Trump.
Meron Rapoport