Depuis le 7 janvier au matin, Los Angeles (Californie) est assiégée par les flammes. 180 000 personnes ont été évacuées, des milliers d’habitations ont été englouties par le feu et au moins vingt-cinq personnes ont trouvé la mort. La facture de ces incendies monstres se chiffre déjà en centaines de milliards de dollars.
Cette terrible tragédie s’explique principalement par une sécheresse hors norme en Californie du Sud, qui, combinée à des rafales chaudes et à un étalement urbain multipliant les interfaces entre activités humaines et forêts, a transformé la deuxième ville des États-Unis en fournaise.
Selon une étude parue en 2023 dans Nature, le réchauffement planétaire a augmenté d’environ 25 % le risque de mégafeu en Californie. Dans l’ouest des États-Unis, sous les effets des dérèglements climatiques, le nombre d’incendies a ainsi doublé entre 1984 et 2015.
Toutefois, si le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) martèle depuis plus de trente ans que les mégafeux seront de plus en plus « intenses » et « fréquents » à mesure que nos émissions augmentent, les multinationales fossiles continuent étonnamment d’être invisibilisées dans le débat public inhérent aux évènements climatiques extrêmes. En nous inondant en continu de pétrole, de gaz et de charbon – dont la combustion est à l’origine de près de 90 % des émissions mondiales de CO2 –, les géants énergétiques sont en effet les premiers responsables du chaos climatique.
Une voiture et une maison brûlent à Eaton, dans le comté de Los Angeles (Californie), le 8 janvier 2025. © Photo Josh Edelson / AFP
p>Pis, ces entreprises continuent d’engranger des profits record en sabotant délibérément le climat. Les trois principales majors états-uniennes que sont Chevron, ExxonMobil et ConocoPhillips ont cumulé plus de 68 milliards de dollars de bénéfices en 2023. Ce trio climaticide persiste aveuglément dans l’expansionnisme fossile, alors que les scientifiques et les Nations unies estiment que, pour maintenir le réchauffement sous la barre de + 1,5 °C, les productions mondiales de pétrole et de gaz doivent diminuer respectivement de 4 et 3 % par an d’ici à 2030.
Compagnie privée la plus émettrice du globe depuis 1965, Chevron a enregistré un bénéfice de 21,4 milliards de dollars en 2023. Lors de l’annonce de ces résultats en février 2024, Mike Wirth, à la tête du groupe, s’est vanté d’avoir « redistribué plus de cash aux actionnaires et produit plus de pétrole et de gaz qu’au cours de n’importe quelle année de l’histoire de l’entreprise ».Les plans environnementaux de Chevron ne font aucune référence à l’arrêt de la prospection de nouveaux gisements fossiles et le groupe a obtenu en 2023 de nouveaux blocs d’exploration pétrogazière dans le golfe du Mexique.
Deuxième entreprise privée la plus polluante du monde, ExxonMobil a pour sa part engrangé 36 milliards de dollars de profit en 2023. La firme prévoit d’augmenter sa production de 3,7 millions de barils équivalent pétrole par jour à environ 4,2 millions en 2027. Et l’an dernier, ExxonMobil
Enfin, ConocoPhillips – 11 milliards de dollars de bénéfices en 2023 – a reçu en mars 2023 l’aval de l’administration Biden pour lancer en Alaska le mégaprojet pétrolier Willow. Ce dernier pourrait à lui seul annuler toutes les émissions de gaz à effet de serre que pourraient économiser d’ici à 2030 les nouveaux projets d’énergie renouvelable engagés par cette même administration Biden.
La victoire des criminels climatiques
Ces trois majors américaines, comme l’ensemble de l’industrie fossile mondiale, avancent toutes le même argument face à la surchauffe planétaire : elles ne feraient que répondre à la demande. C’est oublier que les groupes pétrogaziers ont toujours cherché à orienter la demande énergétique future vers les énergies fossiles, en retardant, entre autres, les politiques publiques qui pourraient l’assécher.
Les géants américains du pétrole ExxonMobil et Chevron s’infiltrent par ailleurs chaque année au cœur des Conférences des parties (COP) sur le climat afin de maintenir le business as usual et de désamorcer toute velléité d’inscrire la sortie planifiée des énergies fossiles dans les déclarations finales de ces sommets diplomatiques.
Enfin, des travaux de recherche ont démontré en 2018 que les majors pétrogazières américaines ont été alertées dès 1965, via la principale organisation professionnelle de l’industrie pétrolière (l’American Petroleum Institute), que leurs activités industrielles réchauffaient le climat. En 1977, ExxonMobil modélisait même avec précision l’emballement futur du climat dû à la combustion d’énergies fossiles.
En réaction, l’État de Californie a, en septembre 2023, lancé une action en justice contre cinq compagnies pétrolières – dont Chevron, ExxonMobil et ConocoPhillips – pour « s’être livrées à une campagne de duperie longue de plusieurs décennies et avoir créé des préjudices liés au changement climatique à l’échelle de l’État ».
Le gouverneur démocrate de Californie, Gavin Newsom, avait déclaré alors : « Depuis plus de cinquante ans, Big Oil nous ment […]. Les contribuables californiens ne devraient pas avoir à payer la facture de milliards de dollars de dommages – incendies de forêt anéantissant des communautés entières, fumées toxiques encombrant notre air, vagues de chaleur mortelles, sécheresses record asséchant nos puits. »
L’investiture de Donald Trump le 20 janvier prochain marque ainsi une victoire éclatante de l’industrie fossile, qui pourra continuer d’accumuler des profits record tout en attisant en toute impunité le brasier planétaire. Alors que les États-Unis n’ont baissé que de 0,2 % leurs émissions de gaz à effet de serre entre 2023 et 2024, le pays, premier producteur mondial de pétrole et deuxième État le plus émetteur du globe, sera dirigé pendant quatre ans par un climatodénialiste dont le programme repose entre autres sur l’augmentation de la production d’énergies fossiles.
Les représentants de l’industrie du pétrole et du gaz ont déjà rédigé des projets de décrets prêts à être signés par Donald Trump, notamment pour relancer l’octroi de nouveaux permis d’exploitation du gaz, jusque-là mis en pause, et forer dans les terres et dans les eaux fédérales. Quant aux rodomontades impérialistes du futur président états-unien à propos du Groenland et du Canada, elles cachent mal l’avidité trumpienne et de ses amis fossiles pour les ressources en hydrocarbures de ces territoires.
Des analystes ont estimé l’an dernier que l’application du programme de Donald Trump pourrait entraîner d’ici à 2030 une augmentation des émissions américaines de 4 milliards de tonnes équivalent CO2, soit les émissions annuelles combinées de l’Union européenne et du Japon. Une bombe climatique à retardement qui nous rappelle que les mégafeux qui ravagent Los Angeles ne sont pas une catastrophe naturelle, mais bien une catastrophe politique.
Mickaël Correia