C’est déjà la troisième fois que le Bloc de gauche réunissait, les 10 et 11 mai 2002, sa Convention nationale son organe suprême. Environ 500 délégués y ont débattu du parcours et de l’avenir du Bloc, de la politique européenne pour la prochaine période et de la nécessité de convergences des oppositions face au gouvernement de la droite.
La définition du Bloc en tant que force de la gauche socialiste moderne, pariant sur la rupture avec la civilisation capitaliste dans son ensemble, a été un des moments forts du débat avec lequel le mouvement marquait sa quatrième année d’existence. En assumant la perspective d’un socialisme sans dogmes, en tant que processus de libération et d’apprentissage de la démocratie politique, sociale, économique et culturelle, le Bloc a intégré cette dimension émancipatrice et a rejeté toute tentative de confusion avec les sociaux-démocrates devenus gestionnaires du néolibéralisme ou avec les nostalgiques des régimes de l’Est ou de l’aberration nord-coréenne.
Dans une conjoncture ébranlée par la guerre de l’Empire et par l’accentuation de la crise économique, la IIIe Convention du Bloc pouvait difficilement ne pas mettre ces deux sujets au centre de son ordre du jour. La récente réaffirmation de la disponibilité du gouvernement portugais pour envoyer un contingent policier afin de soutenir l’occupation de l’Irak a servi d’exemple pour condamner, une fois de plus, l’attitude servile de Durão Barroso [1] envers Washington, justifiée au nom de la « nécessité » de ne pas « rater le train de la reconstruction » que certaines entreprises de construction portugaises regardent avec envie.
Mais le néolibéralisme et la mondialisation armée, appuyés par la doctrine de la « guerre infinie » dont les auteurs exercent des hautes fonctions dans l’administration Bush, ont vu naître une opposition forte, combative et pour la première fois capable de leur opposer une riposte mondiale. Ce mouvement pour une autre mondialisation qui a montré sa force le 15 février 2003 et qui contribue à démasquer les prétendues raisons « humanitaires » et « démocratiques » invoquées pour détruire l’Irak et redessiner la carte du Moyen-Orient joue aux yeux du Bloc un rôle central dans la définition d’un nouvel internationalisme solidaire et est un facteur très puissant de la mutation de la gauche. Au Portugal ce mouvement en est encore à son début, avec le premier Forum social réalisé en juin [2].
Pour la convergence de l’opposition dans la lutte contre la droite
Sur le plan intérieur, la politique du gouvernement PSD-PP aux affaires depuis plus d’un an s’est caractérisée par l’obsession du déficit du budget de l’État et la réalisation du Plan de stabilité. Outre les habituelles manœuvres comptables en vue d’occulter une partie du déficit, cette orthodoxie monétariste a déjà conduit à une hausse de la TVA, au gel des salaires des fonctionnaires et à la réduction des dépenses sociales et des investissements publics. En répondant à la crise avec plus de crise le gouvernement a enterré les perspectives de la croissance économique, provoqué une baisse des recettes fiscales malgré la hausse des impôts et a réussi à ce que le chômage atteigne un niveau inégalé au cours des précédentes décennies. Il ne s’est pourtant pas arrêté là : profitant de la majorité parlementaire dont il dispose, il s’est lancé dans la réduction des droits des travailleurs au travers d’une contre-réforme de la législation du travail qui tend à identifier les relations salariales à la « loi de la jungle », il a accéléré la privatisation de la santé malgré les résultats désastreux des expériences réalisées dans quelques hôpitaux et a poursuivi la destruction du système de sécurité sociale pour satisfaire les appétits des assureurs.
La Convention du Bloc a lancé un défi aux autres partis de l’opposition le PS et le PCP pour aboutir à une convergence des luttes sociales qui opposent une modernisation démocratique à la modernisation conservatrice que le gouvernement a préparée. Cette plate-forme de convergence se fonde sur trois axes : une stratégie pour le plein emploi, qui prenne appui sur les acquis de la grève général de décembre 2002 contre le projet du Code du Travail et s’oriente vers la création d’emplois qualifiés ; l’élargissement des services publics, à travers la propriété publique ou sociale des biens essentiels tels l’énergie et l’eau, les transports et le secteur financier qui définissent les normes de qualité et les prix ; et, finalement, une stratégie pour l’Europe qui affronte le néolibéralisme.
« Européisme de gauche »
Le projet de la déclaration européenne [3] fut au centre des débats de la Convention du Bloc. Bien qu’une Convention européenne dotée de pouvoirs constituants était à l’œuvre depuis un certain temps, les deux principaux partis portugais le PS et le PSD ont toujours occulté ce débat devant la société. Personne ne parvient à distinguer leurs propositions, qui ne sont jamais claires afin, prétendent-ils, de « ne pas nuire à la négociation en cours ». De cette manière le processus nécessaire visant à doter l’Europe d’une Charte constitutionnelle reste confiné dans les cabinets d’eurocrates et se déroule totalement dans le dos des populations qu’il prive du choix démocratique.
En s’affirmant « européiste de gauche », le Bloc rejette clairement une quelconque approche nationaliste du débat en cours. Il défend une Europe qui soit indépendante face à l’hégémonie nord-américaine, tout en s’opposant à une nouvelle course aux armements ou à une armée européenne qui serait le vecteur de l’affrontement inter-impérialiste. La déclaration approuvée propose une Europe démocratique sans « directoires » renforcés et respectueuse du principe de l’égalité entre les États. Elle se prononce ainsi en faveur d’une double souveraineté et d’une double citoyenneté : nationale, avec le renforcement des pouvoirs des parlements étatiques qui inclue le droit de veto exceptionnel dans les questions d’intérêts essentiels ; et européenne, en élargissant les pouvoirs du Parlement européen son pouvoir budgétaire, celui de voter la guerre ou la paix, celui de former ou de démettre un « gouvernement européen » responsable devant ce Parlement élu.
La notion d’« européisme de gauche », qui servira de référence au Bloc dans le débat sur la Constitution et dans la campagne électorale européenne de 2004, implique six combats stratégiques visant à réorienter les politiques actuelles : la lutte pour les droits civils des nations sans État, leur garantissant le droit à l’autodétermination ; la lutte pour le développement régional articulée avec l’élargissement de l’Union européenne, avec l’objectif d’une convergence réelle ; la lutte pour les services publics pan-européens dont l’accès serait ainsi garanti à l’ensemble des citoyens ; la lutte pour la libre circulation afin de mettre fin à la précarisation du statut des immigrés et de leur garantir l’égalité des droits ; la lutte pour la citoyenneté complète et sans discrimination des femmes, en particulier au niveau des droits sexuels et reproductifs et de l’accès à la représentation publique ; et, finalement, le combat pour l’expression de la citoyenneté organisée dans les processus de décision à travers la stimulation de la dimension participative de la démocratie.
En annonçant dès maintenant qu’il appellera à voter « Non » à l’actuel projet de Constitution européenne dans un éventuel référendum, le Bloc souligne que la refonte de l’Union européenne doit passer par la participation démocratique des citoyens. L’actuel processus ne passe nullement par là. Rappelons, que lorsque les partis de l’Internationale socialiste dominaient la structure de l’Union durant près d’une décennie, ils ont abandonné le combat face au modèle autoritaire et n’ont même pas tenté d’entreprendre une telle rupture nécessaire. Aujourd’hui ils sont prisonniers de ce passé. Quand au PCP, il se satisfait dans une posture défensive et immobiliste en ce qui concerne l’Europe, ce qui limite beaucoup son intervention, à l’exception des débats concernant les subventions. En défendant le principe d’une Charte constitutionnelle qui, à l’opposé de celle qu’on nous annonce pour 2004, se fonde sur les droits sociaux les plus avancés reconnus dans les différentes Constitutions nationales européennes, la Convention du Bloc a formulé une contribution au débat allant au-delà de tout ce qui a pu être produit jusqu’à aujourd’hui par la gauche portugaise dans ce domaine, permettant ainsi d’ouvrir une discussion sérieuse et dénuée de préjugés.
Démocratie interne
Si les thèses politiques et la déclaration européenne ont été au centre de la Convention du Bloc, un autre débat, concernant la modification des statuts, a dominé la première partie de la rencontre. Des propositions concernant une modification du mode de désignation de la Direction nationale [4] sont en effet apparues : des délégués proposaient que cette dernière cesse d’être élue par la Convention, mais soit désignée sur la base de différents types de légitimité (municipale, de district, régionale ou de groupes de travail) déléguant leurs propres représentants. Cette proposition a été rejetée par une large majorité des 500 délégués présents. Cependant ceux qui l’avaient formulée ont présenté une liste en vue de l’élection de la direction, obtenant 12 % des voix et élisant ainsi 10 représentants au sein de la nouvelle direction nationale issue de cette Convention. C’est la première fois que deux listes concurrentes étaient proposées aux suffrages de l’instance suprême du Bloc, bien qu’elles ne représentaient pas des plates-formes politiques alternatives, car les propositions concernant le fonctionnement ne recoupaient pas les débats sur les textes d’orientation politique débattus par ailleurs, qui constituent la ligne politique du mouvement pour les prochaines années.
Le fait qu’au sein du Bloc, au contraire des pratiques de tous les autres partis portugais, le choix de la direction nationale non seulement n’obéit pas aux « quotas du secrétaire général » (il n’y a d’ailleurs pas de secrétaire général) et que n’importe quel adhérent puisse présenter sa candidature à la seule condition d’avoir l’appui d’au moins 30 délégués, que l’élection de la direction soit réalisée par un vote secret et que le résultat soit déterminé par un système proportionnel simple, avait étonné quelques observateurs extérieurs. C’est la preuve de l’ouverture et de la transparence des mécanismes de la démocratie interne du Bloc. Maintenant il reste seulement à prouver que cette procédure démocratique se traduira également dans le renforcement du mouvement et de sa dynamique de débat et d’action, soutenue par cette pluralité intérieure.