Il est l’aîné de quatre garçons. Son père était artisan, établi près de Louviers. Sa mère, originaire de la région parisienne, avait échappé de peu à la rafle du Vel d’hiv, contrairement à bon nombre de membres de sa famille. Elle avait été cachée et élevée par une famille catholique et ce n’est qu’assez tard que les enfants ont connu leur origine juive.
En classe de sixième, Thierry fut mis en pension dans une institution privée rouennaise. Cela ne lui allait pas du tout, et à 15 ans il entra en apprentissage chez un menuisier et obtint son CAP en 1977. Il vit une jeunesse de loubard, pilier de bar bagarreur et un brin voyou ; il gardera de cette époque des amitiés et un goût pour la marge. En 1984, il entre comme manœuvre au parc à bois de la SICA, la grosse usine de pâte à papier de la région où les salaires sont plus élevés qu’ailleurs du fait des contraintes (travail en équipes, un week-end de libre toutes les cinq semaines) et du poids de la CGT, à laquelle il adhère aussitôt. Il se marie en 1982 et ils ont une fille l’année suivant.
Très bricoleur, il consacre l’essentiel de son temps libre à divers travaux de mécanique et à aménager la maison qu’ils ont fait construire.
Ce n’est qu’en 1986 qu’il se présente pour la première fois aux élections professionnelles. Il découvrira peu à peu à quel point l’équipe dirigeante du syndicat est engluée dans la collaboration avec la direction qui ferme les yeux sur les magouilles de tous ordres. Il avait pris sa carte au PCF, mais il se trouve qu’un militant de la LCR, Pierre Vandevoorde, est secrétaire de l’association de quartier dont sa mère est la présidente. Il n’a pas mis longtemps à « changer de parti communiste ». Après un patient travail de préparation, lors d’un congrès du syndicat, les « pourris » furent mis sur la touche. Ce n’était pas fini pour autant, car ils ont bénéficié de la solidarité bien mal placée de leurs camarades à tous les niveaux, en même temps que la direction déclencha une offensive maccarthiste (« Philippot c’est Ben Laden ! ») dès qu’elle a su qui était derrière le tract mensuel de la LCR. Sans le soutien constant d’une organisation petite, mais solide, il aurait été impossible à quiconque de traverser cette épreuve.
Thierry devint secrétaire CGT du comité d’entreprise et du CHSCT. Le changement se manifesta par une succession de confrontations avec la direction dans lesquelles la nouvelle ligne démontra son efficacité et se trouva constamment confortée par un soutien massif aux élections professionnelles. C’est dans ces conditions qu’il devint membre de la commission exécutive de l’Union Départementale CGT. Il deviendra aussi président de la section industrie, puis du tribunal des prud’hommes de Louviers. Il est de fait permanent, ce qui aurait pu lui nuire (car il échappe aux contraintes du travail par quarts), mais son investissement au service des intérêts collectifs et individuels des travailleurs et de leurs familles lui assure un respect quasiment unanime. Il a à cœur de mettre sa connaissance du droit du travail au service de la mobilisation, tant dans sa propre entreprise (récupération de dix jours de congés pour les factionnaires) que dans d’autres (mise au jour des abus de précarité pratiqués dans nombre d’entreprises du secteur, qui a permis l’embauche en CDI de centaines de salarié.e.s), ce qui est particulièrement précieux quand le rapport de forces est défavorable. Avec son expérience, il fut l’une des pièces maîtresses du comité « entreprises » du NPA Seine-Eure.
Partout en Europe, des unités de production disparaissaient, et année après année, il fallut se battre contre les plans de réduction d’emplois. En octobre 2012, après des mois de chômage technique, le groupe finlandais propriétaire annonce de la fermeture. Piquets de grève, campement géant, actions « coup de poing » aux ronds-points où des bobines de papier sont dévidées… et bientôt relance illégale de la production un samedi : 2500 visiteurs. C’est le début d’un combat acharné dans l’unité. La CGT a su convaincre la CFE-CGC ; le NPA, en lien étroit avec la mairie PCF, a mis toutes ses forces dans le lancement d’un « Comité pour le maintien et l’extension de l’emploi chez M-real » soutenu par le PS, EELV et aussi des maires de droite.
Il y avait trois axes de lutte : recherche d’un repreneur pour forcer M-real à vendre au lieu de fermer, mobilisation pour « interdire les licenciements chez M-real comme ailleurs », par la réquisition de l’entreprise si nécessaire, et, à toutes fins utiles, négociation pied à pied pour obtenir les meilleures conditions de départ possibles. Non seulement le PSE fut d’un très haut niveau, mais la lutte imposa la réouverture de ce bijou industriel, mais avec réembauche d’une partie seulement des salarié.e.s. Curieusement, le repreneur refusa énergiquement de reprendre Thierry…
Aujourd’hui, s‘il ne rechigne pas à donner des coups de main, même s‘il s‘est mis en retrait de l’activité militante.
Pierre Vandevoorde
Sources : Pierre Vandevoorde « M-Real : de la lutte au redémarrage du site » dans « Tout est à nous » avril 12013 (alors revue du NPA)
https://npa-lanticapitaliste.org/opinions/entreprises/m-real-de-la-lutte-au-redemarrage-du-site