Ainsi, on trouve sur le site internet du Ministère de l’Ecologie : « En France métropolitaine et dans les territoires d’outre-mer, la surface totale des aires protégées sur le territoire représente 23,5 % du territoire national et des eaux sous juridiction. »
Mais d’après l’Observatoire national de la biodiversité (OFB), dépendant de ce même ministère, le réseau d’aires protégées couvre, en 2018, 13,5 % du territoire métropolitain, et seulement 1,36 % du territoire métropolitain est sous protection forte.
On voit bien ici comment on passe d’un affichage (23,5%) à une réalité (1,36%)…
Il faut, pour comprendre tout cela, se rappeler que, concernant la France métropolitaine, la protection des espaces a précédé les lois de protection de la nature. Voici un aperçu de la situation :
- Les sites classés et inscrits. 1930. Pas de gestion. Des monuments naturels ou humains. Objectif : protéger le monument et pour les sites naturels le paysage. Pilote : Etat.
- Les parcs nationaux. 1960. Double objectif : biodiversité et tourisme. Pilote : Etat.
- Les parcs régionaux. 1975. Objectifs : biodiversité et développement économique. Pilote : collectivités locales mais label Etat.
- Les réserves naturelles. 1957. Objectif redéfinis par la loi de 1976 : préserver la biodiversité. Pilote : Etat.
Et c’est seulement ensuite que se mettent en place les lois de protection « de la nature ».
- La loi de 1976. Redéfinie le cadre de la protection des espaces et y ajoute la protection des espèces.
- La loi de 2016. Modernise la première, en encadrant la notion ERC (éviter, réduire, compenser) dans les politiques d’aménagements.
Toute cette histoire est à replacer dans le cadre d’une pensée libérale basée sur la notion de sanctuaires. On va protéger la nature en sanctuarisant des bouts d’espaces. Concrètement, si la nature est préservée sur ces espaces, c’est qu’elle ne l’est pas ailleurs. ! On fait l’impasse sur 95% de l’espace, sur les pollutions, sur l’agriculture intensive, etc. Cette pensée porte en elle l’échec constaté aujourd’hui et l’effondrement à venir de la biodiversité.
En France, suite au Grenelle de l’environnement (Sarkozy 2007) et par la pression associative, on a « modernisé » le concept avec la Trame verte et bleue. Mais on pouvait déjà faire la chronique d’un échec annoncé pour 4 raisons :
- Pas d’instrument financier
- Pas d’obligations réglementaires
- Pas d’échéancier
- Et le défaut congénital : les espaces hors de la TVB et des réservoirs de biodiversité que sont les parcs sont ceux où ne protège pas, c’est à dire l’essentiel du territoire.
Aujourd’hui, nous avons une « stratégie pour les aires protégées »…sans instrument financier, sans moyens réglementaires, sans échéancier…Bref, on continue !
Et on « noie le poisson » dans la nouvelle Stratégie 2030.
On lit ainsi dans la mesure 2 : « Renforcer le réseau d’aires protégées pour atteindre 10 % du territoire national et de nos espaces maritimes protégés par des zones sous protection forte. »
Avant, on ne parlait pas de protection forte. C’est un concept récent, qui illustre le décalage entre l’affichage et le fait de l’effondrement de la biodiversité.
Dans le document 2009/2019 (SCAP, stratégie de création des aires protégées), c’était clair, à défaut d’être satisfaisant. On considérait comme protection forte :
- Les réserves naturelles nationales et régionales
- Les cœurs de parcs nationaux
- Les réserves biologiques forestières
- Les sites sous arrêtés préfectoraux de protection de biotope
Soit, en fait, les zones sous protection réglementaire. Le reste, c’est du foncier ou des zones contractuelles.
Aujourd’hui, (pour arriver aux 10% affichés) ça devient :
« Une zone de protection forte est “une zone géographique dans laquelle les pressions engendrées par les activités humaines susceptibles de compromettre la conservation des enjeux écologiques de cet espace sont supprimées ou significativement limitées, et ce de manière pérenne, grâce à la mise en œuvre d’une protection foncière ou d’une réglementation adaptée, associée à un contrôle effectif des activités concernées. »
Les énarques sont brillants…On peut ainsi facilement arriver à 10% de protection forte tant la définition devient floue.
Et s’il fallait rajouter du ridicule, le voilà dans le même document définissant la stratégie 2030 :
« Cette définition (celle de l’UICN, Union internationale pour la conservation de la nature, NDA) est compatible avec le modèle français des aires protégées, visant à conserver la nature, mais aussi à parfois protéger la biodiversité, tout en assurant un développement durable des activités et des territoires. »
On savourera la distinction subtile entre nature et biodiversité, l’emploi surréaliste du terme « parfois » et bien sûr la limite mise à l’approche dans la fin de la phrase sur le développement !
Voici le point de situation sur la partie terrestre de la métropole.
LES RESERVES NATURELLES
350 réserves naturelles (167 nationales, 186 régionales dont 7 en Corse). 0,55% du territoire.
. RNN : 1780 km2 soit 0,32% du territoire.
. RNR : 1279 km2 soit 0,23% du territoire (celles de Corse représentent les 2/3 !).
On chasse dans ces réserves ! On gère sous pression, même si c’est le plus haut niveau de protection !
- LES CŒURS DE PARCS NATIONAUX
8 parcs terrestres métropolitains.
4195 km2, soit 0,77% du territoire.
On chasse dans les zones cœurs de certains parcs nationaux français !
Cévennes : « Le décret de 2009 confirme et conforte l’exercice de la chasse dans le cœur de Parc. »
Calanques : « Activité traditionnelle du territoire, la chasse est autorisée sur près de la moitié du cœur de Parc national. »
Parc de forêt (2019) : « Dans la réserve intégrale, la chasse aura pour objectif premier la régulation des ongulés sauvages. » C’est une photo de chasse à courre qui illustre cette partie du site internet du Parc…
Et souvent, le tourisme est roi ! Se rappeler les nombreuses luttes pour stopper des aménagements de ski au cœur des parcs nationaux.
- ARRETES PREFECTORAUX DE PROTECTION DE BIOTOPE 1980
870 sites terrestres en métropole, sur 1670 km2, soit 0,3% du territoire.
Il n’y a aucune gestion sur ces territoires et la règlementation est…locale !
Il est très difficile de trouver les chiffres !!! il faut trouver une étude 2018 CNRS/MNHN…Dans les faits, les préfets ne classent jamais sans accord des propriétaires…
Ils protègent les biotopes, pas les espèces ! Donc on peut chasser ! ou faire du tourisme incontrôlé…
Texte CNRS/MNHN : « Le contenu des APPB n’étant cadré par aucune disposition juridique, il en résulte une très grande variabilité
tant dans la forme que dans le contenu. »
« Les résultats de l’enquête montrent que les moyens attribués tant pour la gestion conservatoire ou le contrôle du respect de la réglementation des APPB sont insuffisants. »
- LES RESERVES BIOLOGIQUES FORESTIERES
200 réserves, sur 460 km2, soit 0,08% du territoire. Secteurs de forêts gérées par l’ONF. La moitié en évolution libre, soit 0,04% du territoire…
Sur les 42 000 km2 des forêts publiques, cela correspond à 1%. L’Etat ne montre pas l’exemple sur ses propres terrains. Rien n’est prévu pour arriver à 10% en protection forte…
Total : 1,7% du territoire. L’OFB affiche 1,36%
Et le reste ne permet pas de protéger réellement la biodiversité (aucun encadrement règlementaire) :
- Parcs régionaux, 56 parcs, 16% du territoire, créés et dirigés par les communes.
- Sites classés et inscrits, 6700 sites et 4% du territoire. C’est le paysage ou le monument qui est protégé, pas les espèces ou les écosystèmes. La gestion n’est pas intégrée.
- Sites des conservatoires régionaux (associatifs). 0,2% du territoire. Ils assurent une protection foncière (7%) ou contractuelle (93%), dépendent des politiques régionales pour le financement.
- ZNIEFF de type 1. (Zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique). 55 000 km2, 10% du territoire. C’est un inventaire des noyaux de biodiversité sans protection. Mais pour un aménagement demandant une autorisation, on doit en « tenir compte »…
- Natura 2000, 12% du territoire. C’est l’application des directives européennes (1979, 1992). Ces sites ne sont pas protégés. La gestion est censée maintenir la biodiversité, mais c’est une obligation de résultat formelle vue l’absence d’obligations et l’absence de fait de contrôle par L’UE.
- Sites du Conservatoire du littoral. 0,36% du territoire, mais 15% du linéaire côtier. C’est une protection uniquement foncière.
- Sites classés en Espace naturel sensible (ENS). C’est la politique des départements. 0,14% du territoire. Protection foncière ou contractuelle, sans cadre règlementaire.
- Sites Ramsar (convention internationale sur les zones humides). 38 sites en France, 8500 km2, soit 1,5% du territoire. L’affichage supérieur fréquent est dû à l’inclusion des TAAF (62% du total).
- Réserves de biosphère de l’Unesco, 11 sites, 43 000 km2, soit 8% du territoire.
On agit dans ces zones pour la biodiversité, mais toujours après le filtre des pressions locales « économiques ».
Tous ces sites s’entrecroisent ! Donc on ne peut additionner les chiffres. Il n’existe aucun suivi centralisé ni évaluation sauf que la biodiversité s’effondre !
Frédéric Malvaud
ANNEXE : LA LOI DE RECONQUETE DE LA BIODIVERSITE DE 2016, UNE LOI CONTRE NATURE
40 ans après la loi de « Protection de la Nature » du 10 juillet 1976, une nouvelle loi « de reconquête de la biodiversité » a été, après bien des allers-retours entre le Sénat et l’assemblée nationale et beaucoup d’interventions de lobbies, votée en France en août 2016.
On pourrait supposer que, même à constater des insuffisances ou des manquements, il ne peut s’agir que d’une évolution positive. En fait, il n’en est rien et, loin de constituer un progrès, cette loi marque un recul qui sera lourd de conséquences.
Retour sur la loi de 1976.
Avec ses 44 articles et ses 4 pages au Journal officiel, la loi de 1976 est une (rare !) loi qui se veut efficace. Elle a été à l’époque jugée à juste titre comme un vrai progrès par les associations de protection de la biodiversité. Mise en place par un gouvernement de droite (président Giscard d’Estaing, 1er ministre Jacques Chirac), mais votée à l’unanimité à l’assemblée nationale (moins la voix du député de droite d’Epinal, qui ne s’est jamais expliqué sur son vote ; en fait peut-être dormait-il ?), elle a institué une série de mesures novatrices : obligation des études d’impact pour les aménagements, protection juridique de certaines espèces animales sauvages, intégration des réserves naturelles et création des réserves naturelles volontaires, création du CNPN (Conseil National de Protection de la Nature), création des APB (arrêtés préfectoraux de Protection de Biotope)…
Bien sûr, tout n’a pas été simple. D’abord, parce que en France, quand une loi est votée, rien ne dit qu’elle sera appliquée ! En effet, c’est à l’exécutif qu’il revient de créer les décrets d’application, sans lesquels une loi reste lettre morte. Donc, si le gouvernement (et ses suivants) n’ont pas de volonté politique ou si la haute administration traîne les pieds pour écrire les décrets (ou souvent les deux !) rien ne se passe !
Comme le dit si bien le député de droite Charles de Courson en 2006, à propos d’un bilan de 222 lois votée depuis 1981 : « On peut voter tous les textes que l’on veut, s’il n’y a pas de volonté du côté de l’administration, cela ne sert à rien ».
Il a donc fallu comme d’habitude, chaque fois qu’une loi peut gêner des intérêts privés, beaucoup de mobilisation des associations après le vote de la loi pour arriver à la parution des principaux décrets. Il a fallu aussi passer par les différents recours juridiques contre la nouvelle loi (dont comme d’habitude ceux des fédérations de chasseurs chaque fois que se pose la problématique de préserver la biodiversité).
Et bien sûr, au passage, les décrets vont édulcorer la loi : c’est ainsi que l’étude d’impact ne deviendra obligatoire qu’en fin du processus de décision, lors de l’enquête publique, empêchant ainsi l’analyse de variantes en amont. Et c’est du reste ce point, obtenu de haute lutte par les partisans de l’économie privée, qui réduira de manière majeure l’impact…de l’étude d’impact ! Tout Notre Dame des Landes, dans la procédure juridique, tient dans ce point et conduira à l’échec des recours juridiques contre le projet.
Mais bref, malgré ses insuffisances, la loi de 1976 constitue un vrai progrès. Avant, on pouvait s’amuser à tirer au fusil sur les mésanges dans son jardin et détruire un espace sans aucune contrainte.
Vers la loi de 2016
Entre 1976 et 2016 (40 ans !), il ne s’est pas « rien passé » dans le domaine de la biodiversité. Ainsi, la loi « Bouchardeau » de 1983 relative à la « démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement » va conduire encore à de (petites) avancées dont la création de l’inventaire ZNIEFF (zones naturelles d’intérêt écologique faunistique et floristique). On ne reviendra pas sur les études d’impact et le côté très négatif de leur placement en fin de procédure ; l’inventaire ZNIEFF restera un inventaire sans contraintes. Donc, après avoir inventorié une zone majeure pour la biodiversité, on aura toujours le droit de la détruire. Cela dit, les choses avancent doucement et l’obligation dans les procédures d’aménagement de « prise en compte » des ZNIEFF conduira à des jurisprudences des tribunaux souvent favorables aux associations de protection de la nature, bien qu’un agriculteur ait toujours le droit de détruire une ZNIEFF sans aucune limite.
C’est surtout en fait dans le droit européen que les choses vont évoluer avec les directives dites « Oiseaux » de 1979 et « Habitat » de 1992, qui conduiront à la création du réseau Natura 2000 (espaces naturels dans lesquels l’état membre de l’Union européenne s’engage à ne pas impacter la biodiversité).
Réseau insuffisant dans sa définition spatiale, insuffisant dans la protection juridique (c’est le système libéral anglo-saxon qui s’applique ; l’état membre a une obligation de résultat sur la biodiversité, mais personne en fait ne sait comment évaluer le résultat !). Mais bref, des espaces se retrouvent toutefois avec de fortes contraintes environnementales et en partie protégés. On avance donc au fil des décennies, mais sans stopper la perte de biodiversité, qui s’accélère d’années en années.
On va prendre conscience ensuite en France et dans tous les pays d’Europe, sous la pression associative, que toute la logique des parcs nationaux, puis des réserves naturelles, puis de la protection des espèces, cadre structurant de la pensée de la protection de la nature depuis un siècle, est en fait basé sur une erreur conceptuelle : on ne peut pas enrayer le déclin de la biodiversité en protégeant des bouts d’espaces ou des espèces et en même temps détruire à tout va sur le reste du territoire, c’est-à-dire…99% de l’espace !
Naitra donc en France en 2007, à la suite du Grenelle de l’environnement du grand protecteur de la nature Nicolas Sarkozy, la « Trame verte et bleue » qui vise à identifier des « réservoirs de biodiversité » reliés entre eux par des « corridors écologiques », car il faut que les espèces, dans le cadre de la fonctionnalité des écosystèmes, puissent circuler.
Progrès conceptuel, quoique restant à mi-parcours en terme de pensée, mais aussi chronique d’un (nouvel) échec annoncé, cette politique (Stratégie nationale pour la biodiversité 2011-2020) piétine, faute de moyens juridiques et réglementaires, autant que de moyens financiers, c’est-à-dire faute de réelle volonté politique.
C‘est dans ce contexte qu’arrive la nouvelle loi de « reconquête de la biodiversité » de 2016.
La loi de 2016 : le cadre
Des esprits chagrins se diront qu’à la place d’une nouvelle loi, il aurait mieux valu s’interroger sur l’échec de la stratégie nationale et se demander comment créer un vrai réseau de « réservoirs de biodiversité » reliés par un vrai système de corridors, et donc mettre en place les moyens réglementaires et l’instrument financier adéquat pour atteindre l’objectif. Bien sûr cela aurait été insuffisant (je reviendrai sur ce point dans la dernière partie de ce texte), mais au moins, on aurait avancé !
L’analyse de la nouvelle loi montre à l’évidence que l’on est en plein dans ce travers, mais aussi et surtout qu’elle aggrave la situation.
La loi de 2016 : c’est quoi ?
D’abord, quelques éléments : 174 articles pour 64 pages au Journal officiel. Chantal Canz et Olivier Cizel parlent ainsi (voir biblio) d’une loi « bavarde ».
Elle est surtout en fait un catalogue de principes et de bonnes intentions, dont tout le monde sait pourtant que l’enfer en est pavé :
- Modifications de principes : la connaissance et la gestion des espaces et espèces sont considérées comme d’intérêt général, la nature est désormais reconnue comme un patrimoine, les mesures compensatoires inscrites dans la loi de 1976 sont formalisées et définies. Ce dernier point est en fait le plus important ; il repose sur la reconnaissance du préjudice écologique. Je vais longuement y revenir. Il est complété par la création des Obligations réelles environnementales (ORE). En gros, un propriétaire (public ou privé) peut mettre son bien en « servitude » pour le bénéfice de la biodiversité en échange d’une exonération de taxe foncière sur la propriété non bâtie.
- Création de nouveaux principes : principe de solidarité écologique (on doit prendre en compte dans les procédures d’aménagement les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels), principe de l’utilisation durable (la pratique des usages peut être un instrument qui contribue à la biodiversité), principe de complémentarité (entre l’environnement et l’agriculture, la sylviculture), principe de non-régression (la protection de l’environnement ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante).
La loi instaure aussi une nouvelle gouvernance de la biodiversité :
- Création de l’Agence française de la biodiversité (AFB). Elle regroupe des organismes publics comme l’ONEMA (Agences de l’eau), les parcs nationaux, l’agence des aires marines protégées, les conservatoires botaniques, le service du patrimoine du Muséum d’histoire naturelle. Mais pas l’ONCFS (Chasse), ni l’ONF (Forêt). In fine, l’ONCFS sera intégré. Cela représente aujourd’hui 1200 agents. En plus les Régions et l’AFB peuvent mettre en place des agences régionales de la biodiversité (mais ce n’est pas obligatoire). Son financement est assuré par le budget de l’Etat et surtout les redevances des agences de l’eau, soit en fait l’essentiel.
- Création du Comité national de la biodiversité, instance de consultation. 143 membres. Il regroupe…tout le monde ! Des destructeurs de la biodiversité jusqu’aux associations de protection de la nature, en passant par les représentants de l’Etat et des collectivités.
- Création de comité régionaux de la biodiversité : même chose mais à l’échelle des régions.
- Modification de la composition du CNPN (Conseil national de la Protection de la Nature). En lieu et place des membres de droit (associations de protection de la nature et « usagers ») celui-ci passe de 40 à 60 membres, experts « en tant que personne », nommés par le gouvernement.
- La loi supprime la notion d’espèces nuisibles, et la remplace par celle d’ « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts ».
Elle prévoit l’interdiction des insecticides « tueurs d’abeilles » (mais pas que d’abeilles !), les néonicotinoïdes, en 2018, avec des dérogations jusqu’en 2020 toutefois.
Elle permet toujours le chalutage en eaux profondes.
La loi de 2016 : mais qu’est-ce qui se cache derrière tout ça ?
1. Des grands principes…sans applications directes, sans contraintes réglementaires, sans instrument financier. Si ce n’était que cela, on dirait que cette loi est sympathique, mais insuffisante.
2. Une évolution du CNPN à double tranchant. Ce n’était pas un vrai conseil scientifique, puisqu’y étaient nommés des membres de droit en vertu de leur représentation (dont des associatifs). Mais la nomination par le gouvernement à son bon vouloir des experts (donc le modèle actuel des CSRPN, conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel) permet à celui-ci d’éliminer tout expert un peu trop critique et un peu trop indépendant. Paranoia ? Un exemple : j’ai été éliminé du CSRPN de Normandie en 2017 parce que j’ai refusé de donner un avis favorable à la destruction par tir de goélands, malgré ma « convocation » par les services de l’Etat pour m’ordonner de changer d’avis !
Un tel conseil d’experts ne serait défendable que si celui-ci relevait de nominations suivant un protocole précis empêchant la nomination « à la tête du client », c’est-à-dire en fait des « bons experts » bien gentillets. Ceux-ci sachant de fait que des pas de travers conduiront à leur non renouvellement au bout des 5 ans de mandat. C’est donc bien à un contrôle de l’expertise scientifique par l’Etat que nous assistons. Ce qui est particulièrement grave.
3. Une Agence de la biodiversité (AFB) sans l’ONF.
Les profits de l’exploitation des forêts ne seront pas impactés par des petits soucis de protection de la biodiversité.
Un bilan de tout cela ? Peut-on réellement protéger la biodiversité en décidant que les exploitants forestiers (dont l’office public !) ne sont pas concernés ?
Quant à l’intégration de l’ONCFS (qui gérait l’activité de chassse) celle-ci s’est faite fait au prix d’importantes concessions au lobby chasse, en particulier sur la nouvelle « marotte » des chasseurs, acceptée par le ministère : la « gestion adaptative » des espèces, où il s’agit de dire que la chasse sera fonction de l’état de conservation de chaque espèce. Evolution positive ?
Pas du tout ! Car assortie de deux éléments clés : un nouveau conseil « scientifique » pour juger de la chasse (et donc passer par-dessus les avis du Muséum ou du CNPN), conseil à la botte des chasseurs, et le fait que cette « gestion adaptative » risque de concerner, non seulement les espèces actuellement chassables, mais de remettre en cause la notion même d’espèce protégée ! Ce qui conduirait en fait à revenir sur la loi de 1976, préparant un retour en arrière considérable !
4. Une fausse évolution concernant les espèces dites nuisibles.
On a changé le nom (qui commençait à faire désordre tant les scientifiques ont démontré que la notion de nuisible était un non sens) mais on n’a rien changé au reste. Le flacon n’est plus le même mais la potion est toujours aussi imbuvable. On peut donc toujours détruire des espèces (même si elles sont protégées !) dès lors qu’elles sont « susceptibles d’occasionner des dégâts » et bien sûr, on n’a pas besoin de démontrer en quoi que ce soit la nature et l’importance des dits dégâts, ni d’évaluer les effets des mesures de régulation des mesures que l’on a mises en place. Le criminel est condamné parce qu’il pourrait tuer, nul besoin de prouver le meurtre. Cela s’appelle « renverser la charge de la preuve ». Du sophisme dans l’écriture des lois…
5. Une « fausse » interdiction des néonicotinoïdes.
Revenons sur cette histoire un peu plus complexe qu’il n’y parait. Comme le souligne Simon Charbonneau (voir biblio), la loi prévoit « l’interdiction future de certains pesticides comme les néocotinoïdes, mais il n’est pas précisé que cette interdiction (valable à partir de 2018) s’applique à de nouveaux produits tout aussi nocifs pour les insectes pollinisateurs (art.125 de la loi). »
Et, du reste, à peine la loi biodiversité a-t-elle votée que l’industriel Bayer propose le renouvellement de l’un d’eux et la mise sur le marché d’un nouveau dès 2017 ! Un communiqué de presse de plusieurs associations (dont la LPO, FNE) le 20 octobre 2017 alerte sur ce point.
Comment est-ce possible ?
Et bien tout simplement parce que le fabricant affirme que son produit (appelé aussi Sulfoxaflor) n’est pas un néonicotinoïde, que l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, établissement public sous la tutelle de plusieurs ministères) cautionne ce fabricant, et ce malgré une étude scientifique parue le 5 novembre 2017 qui dit le contraire.
En fait, les industriels ne lâcheront pas le morceau. On interdit les néonicotinoïdes ? Qu’à cela ne tienne, on fabriquera de nouveaux produits que l’on appellera autrement ! Et le poids des lobbies fera le reste.
Et ce malgré le vote (non contraignant) du 1er mars 2018 du parlement européen demandant l’interdiction de tous les produits phytosanitaires « ayant des effets négatifs scientifiquement prouvés sur la santé des abeilles ».
7. Mais tout cela n’est encore rien. Le diable (celui de l’enfer et des bonnes intentions) se cache en fait dans un petit paragraphe des 64 pages de la loi, et c’est celui sur la compensation.
En effet, la loi de 1976 créait le principe ERC, que devait respecter tout aménageur. Qu’est ce c’est ? E pour éviter, R pour réduire et C pour compenser.
En gros, on doit d’abord chercher à éviter l’aménagement, à défaut en réduire les conséquences, et enfin à compenser les conséquences que l’on n’a pas pu réduire.
Vous imaginez bien que les aménageurs ont passé leur temps à éviter d’éviter ! Le E supposait la moralité et le grand sens de l’intérêt public des aménageurs…
La réduction (le R), ça ils ont fait…du moment que ça ne coûte pas trop !
Et le C de compenser, ils n’ont jamais fait, parce que en fait personne ne sait le définir !
Alors le cœur sur la main, le législateur de 2016, tel un zorro de la protection de la biodiversité, dit : « On va s’en occuper » et inscrit dans la nouvelle loi un cadre juridique sur la compensation.
Les aménageurs vont devoir :
- Soit prendre en charge eux-mêmes des mesures de compensation du préjudice écologique dû à l’aménagement.
- Soit contractualiser avec un opérateur de compensation, qui va donc par exemple acheter des terrains « en échange » de ceux impactés.
- Soit acquérir des unités de compensation, qui seront sur un marché.
L’objectif est (dixit la loi) une « absence de perte nette de biodiversité », voire de « tendre vers un gain de biodiversité ».
Alors progrès ?
Et bien pas du tout ! Et ce pour deux raisons :
- Il est impossible d’évaluer l’impact d’un aménagement sur la biodiversité, comme cela est répété par tous les scientifiques. Et comment pourrait-on compenser…ce que l’on ne peut pas évaluer ? On va donc assister à des fausses évaluations, conduisant à des fausses compensations.
- On entre dans la marchandisation de la nature. « Je détruis, mais pas de problèmes, puisque je vais compenser, et en plus je vais faire mieux qu’avant (le fameux gain de biodiversité). » Donc, chouette, un projet d’autoroute, d’aéroport , et la biodiversité va y gagner ! La compensation, en fait, c’est la légalisation du fait que l’on n’a plus besoin d’éviter ! C’est le C contre le E ! C’est instaurer un droit à détruire, que l’on peut acheter sur un marché. Il faut lire l’analyse de Maxime Combes, économiste et membre d’ATTAC France ou l’article de Audrey Garric (Le Monde 17 février 2016).
Je vous livre un extrait de cet article :
« Toutl’enjeu réside dans la notion de compensation. Depuis la loi de 1976, l’idée est que tout maître d’ouvrage doit « éviter, réduire et compenser » les impacts de ses projets sur les milieux naturels. Or, le projet de loi sur la biodiversité insiste surtout sur la compensation, en généralisant ce qui n’était alors qu’une expérimentation : des réserves d’actifs naturels, gérées par des acteurs privés, qui fourniront des mesures compensatoires « clé en main » aux aménageurs. Concrètement, Vinci pourrait financer la restauration de terrains ailleurs en France pour imposer son projet d’aéroport.
Cette « compensation par l’offre » pose deux problèmes : elle donne un droit à détruire la nature ; elle laisse entendre qu’on peut remplacer ce qu’on a détruit à un endroit par un bout de nature supposé équivalent à un autre endroit. Or, nombre d’études scientifiques ont prouvé que la fonctionnalité des écosystèmes restaurés n’atteint jamais celle de ceux détruits, tant il est difficile de récréer des milieux constitués au fil des siècles.
Au final, comment ne pas craindre une « financiarisation de la biodiversité », comme l’a dénoncé l’ancienne ministre de l’écologie, Delphine Batho, lorsque même le vocabulaire – créer des banques de compensation, transférer des actifs naturels – est calqué sur celui de l’économie ? »
Imaginez Notre-Dame des Landes avec cette loi. Il n’y a plus de problèmes d’impacts sur la biodiversité, puisque l’on va tout compenser et que ce sera encore mieux après ! Cet aspect est évidemment le cœur de la nouvelle loi, et en fait sa justification. Tout le reste c’est de l’habillage.
Alors que faire ?
1. D’abord, comprendre que les associations de protection de la nature veuillent prendre ce qu’il y a à gagner dans les mesures de compensation. En gros, c’est toujours un plus ! Elles font leur travail en essayant de limiter les dégâts.
Mais les interpeller sur :
- Le fait qu’elles ne doivent pas être elles-mêmes « opérateurs de compensation », c’est-à-dire jouer sur un marché financier qui pourraient leur faire gagner de l’argent, mais en cautionnant de fait les destructions de la biodiversité.
- Le fait qu’elles doivent dénoncer le principe de compensation et affirmer qu’un aménagement impacte la biodiversité, que cela n’est ni évaluable ni compensable et que par conséquence, on ne peut que chercher à éviter (donc s’interroger sur la réalité de l’intérêt public) et si l’aménagement correspond vraiment à une nécessité chercher à en réduire les impacts. Les soi-disant mesures de compensation ne sont en fait que des mesures de réduction.
L’alternative est une véritable politique de protection de la nature, qui devra inclure :
. la protection de toutes les espèces à statut de conservation défavorable (par exemples les 2/3 des espèces d’oiseaux chassés en France), une réforme de la chasse, l’obligation de démontrer l’impact d’une espèce sur l’économie ou la biodiversité avant d’envisager des mesures de régulation.
. un recensement de tous les territoires ayant vocation à devenir des réservoirs de biodiversité et leur protection forte par déclaration d’utilité publique (DUP). Il faut atteindre rapidement 10% du territoire français en protection forte.
. une obligation des études d’impact avec prise en compte des alternatives (économiques et spatiales) en amont des projets d’aménagement, ce qui donnera corps à la notion d’Evitement.
. la suppression du principe de mesures compensatoires et le renforcement réglementaire des mesures de réduction des impacts, avec la possibilité pour les pouvoirs publics de refuser tout projet si les mesures de réduction sont considérées comme insuffisantes.
. le renforcement des possibilités pour les associations agrées de protection de la nature de contester en justice si les mesures de réduction sont jugées insuffisantes.
. la mise en place d’un partenariat avec les associations, avec financement de leurs projets (connaissance scientifique, éducation des citoyens, gestion des espaces protégées).
. la création d’une véritable expertise scientifique (au niveau national et régional) indépendante de l’Etat et des lobbies.
. un ministère avec des moyens financiers de fonctionnement et d’actions.
. l’obligation pour les Régions d’investir pour la biodiversité (autour de 20 millions d’Euros annuels par région).
. la mise en place d’indicateurs pour juger de l’état de la biodiversité suite à ces politiques et la mise en place d’échéanciers précis.
Frédéric Malvaud