Considérez ces deux univers parallèles. L’un d’eux est Gaza, la scène de quelques-unes des pires atrocités commises au XXIe siècle, là où le carnage génocidaire d’Israël offre un nouveau rappel de la capacité de notre espèce à la dépravation. Selon des recherches d’Oxfam, plus de femmes et d’enfants ont été tués par l’armée israélienne au cours de l’année dernière que « pendant la durée équivalente de n’importe quel autre conflit des deux dernières décennies ».
Cela est d’autant plus perturbant est les chiffres disponibles sont prudents : les 11355 enfants et les 6297 femmes
Il y a maintenant une nouvelle révélation sur la tentative délibérée d’Israël d’affamer la population de Gaza. La semaine dernière, le media d’investigation américain ProPublica a rapporté que l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAid) – un service gouvernemental – avait fourni une évaluation détaillée au Secrétaire d’État Antony Blinken, concluant qu’Israël bloquait intentionnellement les fournitures de nourriture et de médicaments à Gaza. L’agence a décrit Israël comme « tuant les travailleurs humanitaires, rasant les structures agricoles, bombardant les ambulances et les hôpitaux, bloquant les dépôts d’approvisionnement et repoussant systématiquement les camions remplis de nourriture et de médicaments ».
Dans un exemple particulièrement flagrant, de la nourriture a été stockée à moins de 50 km de la frontière à un port israélien, incluant assez de farine pour nourrir la plupart des Gazaouis pendant cinq mois ; elle a été délibérément retenue. L’Agence pour les réfugiés du Département d’État [américain] a aussi conclu qu’Israël bloquait délibérément l’aide humanitaire et a recommandé que soit mise en œuvre la législation américaine qui impose le gel des expéditions d’armes aux États bloquant une aide humanitaire soutenue par les États-Unis. Mais Blinken a rejeté ces évaluations et le gouvernement américain n’a fait qu’approuver un autre paquet d’aide militaire, d’une valeur de 8,7 milliards de dollars, [c. 8 milliards d’euros] à un État qui, selon les conclusions des ses propres services, affame délibérément la population de Gaza.
Et maintenant transportez-vous dans un autre univers : celui de l’élite politique britannique. Deux candidats à la direction des tories [le parti conservateur] ont proposé de faire de la loyauté à Israël un critère central d’identité britannique. Le favori, Robert Jenrick, déclare que l’Étoile de David devrait être exposée à chaque point d’entrée en Grande-Bretagne pour montrer que « nous soutenons Israël ». Kemi Badenoch déclare qu’elle est frappée par « le nombre de récents immigrants au Royaume-Uni qui détestent Israël », ajoutant : « Ce sentiment n’a pas sa place ici ». En attendant, après une attaque de missile balistique de l’Iran — sans aucune victime israélienne — le Premier ministre du Royaume-Uni, Keir Starmer, déclare avec passion : « Nous soutenons Israël », dans une déclaration officielle de sa résidence de Downing Street. Voici un homme qui n’a pas mobilisé la plus petite fraction de cette émotion pour les dizaines de milliers d’Arabes massacrés par Israël, de la Palestine au Liban. Quel mot y-a-t-il pour cette disparité de réponse, autre que le mot « racisme » ?
Heureusement, ce ne sont pas les univers où habite le public britannique. Deux tiers de électeurs ont maintenant une opinion défavorable d’Israël, à comparer aux 17% optant pour une opinion favorable : un record. Sept sur 10 croient qu’il est probable qu’Israël ait commis des crimes de guerre (seulement 8% sont en désaccord), et 54% pensent qu’un mandat d’arrêt devrait être émis contre Benjamin Netanyahu pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité (15% sont en désaccord).
Mais la dévotion à Israël de nos dirigeants a survécu à la fois à des atrocités innommables et à une opinion publique de plus en plus révoltée. Dans un monde rationnel, promouvoir chaleureusement une alliance avec un État engagé dans un tel carnage meurtrier vous ferait chasser de la vie publique dans l’opprobre ; ici c’est la position principale, respectable, et ceux qui la désapprouvent sont diabolisés comme de détestables extrémistes.
Qu’est-ce qu’Israël est supposé faire, exactement, pour ébranler cela ? Il a conduit le pire massacre d’enfants de notre époque, des signalements de tirs de snipers dans les têtes de nourrissons au massacre de familles terrifiées dans leurs voitures, et maintenant il est clair qu’il a affamé délibérément une population entière. Il est accusé de viols de détenus masculins et féminins, et l’ONG Save the Children [Sauvez les enfants] condamne des soldats israéliens pour des violences sexuelles contre des enfants palestiniens dans les prisons. Israël a tué au moins 885 travailleurs de santé, et laissé des femmes avoir des césariennes et des enfants subir des amputations, le tout sans anesthésiques. Ses soldats poussent des corps palestiniens depuis les toits dans des scènes qui rappellent l’État islamique. Et pendant tout ce temps, ministres, politiciens, officiers de l’armée, soldats et journalistes israéliens rivalisent de rhétorique meurtrière et génocidaire à glacer le sang.
Si un État hostile à l’Occident était coupable d’atrocités aussi obscènes, il y aurait un large consensus pour dire que c’était un des grands crimes de notre époque. Mais comme l’avocate palestinienne Diana Buttu le dit : « Le monde nous dit que rien ne peut justifier le 7 octobre et pourtant il justifie tout ce que fait Israël par le 7 octobre ». Il est facile de se focaliser sur les meneurs de claque les plus enragés des actions d’Israël, mais il y a aussi beaucoup de gens, des commentateurs aux personnalités publiques, qui sont restés silencieux ou n’ont fait que se tordre les mains hâtivement, pendant que leur pays est complice de ce bain de sang sans fin, en particulier en continuant les ventes d’armes. Les horreurs de notre passé ont toujours été rendues possibles par le silence.
Sérieusement, qu’est-ce qu’il vous faut ? Quelle atrocité Israël pourrait-il commettre pour que défendre notre alliance devienne une affaire d’opprobre public ? Existe-t-il même un seuil ? Et quelle terrible moisson l’Occident récoltera-t-il pour dire ainsi au monde sans la moindre réserve qu’il attache si peu de valeur à ces vies arabes fauchées dans l’oubli ?
Owen Jones