Fils d’un ouvrier métallurgiste et d’une apprêteuse, il fut employé dès sa sortie de l’école communale à l’ArsenaI de Puteaux comme dessinateur. Gagné aux thèses trotskystes, il adhéra au Parti communiste internationaliste de Pierre Frank et Raymond Molinier et devint membre de son Comité central. Appelé sous les drapeaux en septembre 1937, un rapport de police daté du 2 novembre le présentait comme « chargé plus spécialement de la propagande antimilitariste » au sein du PCI.
Fait prisonnier en 1940, il réussit à s’évader de son camp grâce à l’aide d’Auguste Caillon. Celui-ci, membre de la direction du PCI clandestin, était parti au STO dans le but d’œuvrer à l’action des travailleurs français sur place et d’établir des contacts avec les ouvriers et les militants de gauche allemands, et aussi de faire évader Camille.
Muni des papiers maquillés de Caillon, Januel parvint à se rendre à Paris. Mais quand Caillon, voulutt rentrer, il fut arrêté et emprisonné dans des conditions très dures à Berlin (il en sortit trois ans plus tard à la Libération, très affecté et avec une santé ébranlée). Camille Januel fut arrêté à son tour lors de sa tentative de passer en zone libre.
Après la Guerre, il reprit son emploi et son militantisme. En 1950, une mutation disciplinaire l’amène à Vernon (Eure), au Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamique (LRBA). C’est là que furent conçus les ancêtres de la fusée Ariane. Plus de 1000 personnes y travaillent alors. Il y a aussi une bonne centaine d’ingénieurs et techniciens allemands « amenés » de l’usine de missiles V2 de Peenemünde seulement après qu’Américains et Soviétiques eurent fait leur choix. Camille Januel était craint de cette communauté qui ne savait pas bien ce qu’il fallait attendre de ce curieux « communiste », qui de plus connaissait leur langue, ayant été marié à une Allemande. Comme l’expérience et le prestige de ces ingénieurs et techniciens étaient grands auprès de la direction militaire, dotée de peu d’expérience, fraîchement sortie de Polytechnique mais en position délicate et réservée, Camille a pu en profiter.
Bien qu’il fût connu comme militant trotskyste, il parvint, à la fois grâce à son prestige personnel et à la malversation d’un précédent secrétaire membre du PCF, à prendre la direction du syndicat CGT. Il est dessinateur, mais son activité essentielle consiste en fait à tenir des conférences sur tous les sujets imaginables devant un public fasciné qui venait de tout l’établissement pour l’écouter, au point qu’on avait l’impression que le dessin sur sa table était toujours le même » disait Roland Vacher.
Intarissable, il savait restituer leur cohérence aux événements politiques du jour. Il a formé ainsi de nombreux militants. Il était de ces militants ouvriers à qui transmettaient tout leur savoir en même temps que leur savoir-faire à leurs compagnons.
En 1952, la scission du PCI l’amène à se ranger dans la minorité dite « pabliste » (majorité internationale), plus par fidélité ancienne avec Pierre Frank que par conviction de la justesse de la ligne (entrée au PCF en cachant ses convictions pour ne pas s’isoler), qu’il n’appliquera pas.
En 53, il « gagne » Roland Vacher, technicien radio militant CFTC, qui passe ensuite à la CGT avec un certain nombre de ses collègues. Leur appartenance politique reste ignorée de tous. En 1956, avec le retour des premiers rappelés pour la guerre d’Algérie, le vote des « pouvoirs spéciaux » par le PCF, l’expédition de Suez et l’insurrection hongroise, il réussit à former une cellule du PCI comprenant six ouvriers hautement qualifiés (parmi lesquels Jack Houdet et Louis Fontaine), Roland Vacher et lui-même. Jusqu’à 63-64, cette cellule mène une action diversifiée sur la vallée de la Seine de Mantes à Rouen, par des interventions syndicales, des actions de soutien à la révolution algérienne et d’aide aux insoumis (Jeune Résistance), lacréation d’une école d’alphabétisation des travailleurs algériens….
Profitant de la démoralisation qui a suivi le coup d’Etat à froid de De Gaulle et la défaite sans combat en 58 (13 grévistes au LRBA : 5 PCF + 8 PCI - tous CGT), il fut déplacé dans un lieu retiré : un tunnel de tir où les entrées étaient rigoureusement contrôlées par des gardiens. Cela contribua à le pousser à cesser progressivement toutes ses activités. Il arrête de militer politiquement en 59-60, garde des mandats de représentant du personnel jusqu’en 63. Roland Vacher considérait qu’avant même la « mise au placard », une des raisons qui l’a amené à prendre ses distances, c’est qu’il n’était pas d’accord avec le travail de solidarité avec les Algériens : « c’est du boulot de bonnes sœurs ! », avait-il lancé un jour. Le travail anti-militariste qu’il avait pratiqué n’était en effet plus à l’ordre du jour dès lors que le mouvement ouvrier n’avait ni su, ni voulu s’appuyer sur le mouvement spontané de révolte et de blocage des trains pour empêcher le départ du contingent en Algérie, ainsi que l’analysait Louis Fontaine qui en avait été partie prenante.
Jack Houdet pour sa part a gardé à l’égard de Camille une profonde rancœur ; il n’avait pas admis qu’après les avoir amenés au militantisme, il « laisse tomber les copains » en se retirant de toute activité et en refusant contacts et visites, « au bout d’à peine 25 ans de militantisme ». Roland Vacher, qui à sa mort avait écrit dans « Rouge » avec Michel Lequenne un billet d’hommage plein de sympathie, avait gardé de lui un souvenir radieux.
Pierre Vandevoorde
Sources :
• Souvenirs de Jack Houdet, Louis Fontaine et Roland Vacher.
• La notice Maitron de Rodolphe Prager sur Auguste Caillon et de Jean-Michel Brabant sur Camille Januel.
• « Pierre Vandevoorde, « 1950 et après : Trois décennies d’activités trotskystes à Vernon (Eure) et au Laboratoire de Recherches Balistiques et Aérodynamiques (LRBA) », 2015 http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article39874