Crédit Photo. Fresque commemorant le 17 octobre 1961. Photothèque Rouge / jmb
Que s’est-il passé le 17 octobre 1961 ?
Mariano Bona - En octobre 1961, Maurice Papon, préfet de police de Paris depuis mars 1958, utilise l’état d’urgence pour instaurer un couvre-feu pour les « Français musulmans d’Algérie », terme utilisé à l’époque pour désigner les AlgérienNEs.
L’état d’urgence est une loi votée en avril 1955 pour contrôler la population algérienne (couvre-feu, perquisitions, assignations à résidence…). Elle est étendue à la métropole par une loi de 1957. C’est le même état d’urgence qui sera déclaré par le gouvernement de Dominique de Villepin durant la révolte des banlieues en 2005.
Maurice Papon fut condamné en 1998 pour complicité de crime contre l’humanité pour son rôle à Bordeaux dans la déportation de 1 690 juifs dont 200 enfants de 1942 à 1944.
Avec de tels états de service, il fut utilisé à Constantine (Algérie) de 1956 à 1958, où il organisa la guerre (contre-)révolutionnaire contre les indépendantistes algériens, organisant le déplacement dans les villages de regroupement de 350 000 Algériennes et Algériens, où ils vont connaître la faim, l’insalubrité et la promiscuité. À Constantine, la pratique de la torture se développe : « La présence de Maurice Papon ne constitue pas un obstacle, c’est le moins qu’on puisse dire, à cette forme de répression », écrit Pierre Vidal-Naquet dans son livre La Torture dans la République (1972).
Et le jour de la manifestation ?
Le soir du 17 octobre 1961, des dizaines de milliers d’Algériennes et d’Algériens manifestent pacifiquement à Paris, pour le droit à l’indépendance de l’Algérie, pour leur droit à l’égalité et à la dignité, contre le couvre-feu raciste. Les consignes de la fédération de France du FLN sont très claires : pas d’armes, même pas un canif.
La répression est d’une grande violence : plus de 12 000 personnes furent raflées, plusieurs centaines de personnes furent tuées par balles et jetées dans la Seine, d’autres moururent sous les coups dans l’enceinte même de la préfecture de police ou du Palais des Sports. Pour dire l’effroyable réalité de ce qui se passa, on crée l’expression « noyés par balles » !
Ce fut longtemps une journée portée disparue...
Au nom de la raison d’État, une chape de plomb s’abattit sur ce massacre colonial commis en plein Paris. C’est l’action militante de collectifs, de citoyenNEs, d’historienNEs qui a permis de sortir le 17 octobre 1961 de l’oubli, et de porter l’exigence de la reconnaissance de ce qui est un crime d’État, car c’est tout l’État qui est impliqué : Maurice Papon, bien sûr, mais aussi Roger Frey, ministre de l’Intérieur, Michel Debré, le Premier ministre, et Charles de Gaulle, le président de la République, qui fut informé le lendemain et couvrait le crime.
Pourquoi est-il important de rendre hommage aux manifestantes et manifestants du 17 octobre 1961 ?
L’occultation des crimes commis pendant la colonisation permet à l’extrême droite et à une partie de la droite de tenir des discours justifiant le colonialisme, alimentant les discriminations raciales. Il y a une continuité entre la répression brutale du 17 octobre 1961 et la violence utilisée contre les manifestations, Gilets jaunes, ZAD à Nantes ou Sainte-Soline. Rendre hommage aux manifestantEs du 17 octobre 1961, c’est refuser la banalisation des violences policières vis-à-vis de la jeunesse des quartiers populaires, dont une tragique illustration est la mort de Nahel à Nanterre le 27 juin 2023. Cette mort fait suite à d’autres morts qui n’auraient pas dû survenir, parmi lesquelles celles d’Alhoussein, Jean-Paul, Boubacar, Rayana, Souheil…
Ne pas vouloir entendre la volonté du peuple algérien à être indépendant a conduit à une guerre avec des centaines de milliers de mortEs. De l’Algérie à la Palestine, c’est le même combat contre le colonialisme, alors que le peuple palestinien subit depuis plus de 70 ans une occupation coloniale et est victime d’un massacre de masse. Solidarité avec le peuple palestinien !
Propos recueillis par la rédaction