Stocks d’eau, de nourriture, d’essence… Les Iraniens se préparent à la riposte de l’Etat hébreu après les attaques du 1er octobre, sans savoir quelle forme ni quelle ampleur elle prendra.
La tension et la peur. Et l’attente de savoir quelle forme prendra la riposte israélienne aux quelque 200 missiles iraniens tirés le 1er octobre. L’Etat hébreu a annoncé qu’elle sera inédite par son ampleur et le choix des cibles. Chaque jour qui passe accroît l’anxiété, alors que les rumeurs et les craintes d’une guerre à grande échelle accaparent les esprits déjà fatigués des Iraniens.
Sur les marchés, dans les bureaux, dans les écoles, dans les universités et même lors des fêtes ou des réunions de famille, on ne parle que du conflit à venir.
« Vont-ils frapper ? » ; « C’est ce soir, croyez-moi » ; « Non, ils ne le feront pas » ; « S’ils le font, ils ne viseront que les bases militaires. » ; « Et s’ils touchent les installations nucléaires ? » ; « Ils éviteront les civils » ; « La guerre est la guerre, les gens ordinaires souffrent toujours » ; « Même s’ils visent le régime, ses partisans riposteront, et les frappes se succéderont » ; « L’Iran ne deviendra pas un autre Gaza ou Beyrouth. »
Même lors d’un premier rendez-vous, le sujet revient inévitablement : « Ne devrions-nous pas nous embrasser ce soir avant que la guerre ne commence ? Qui sait ce qui se passera après ? »
Vie étouffée
La république islamique n’a pas connu de conflit sur son propre sol depuis trente-six ans.
– Pour la moitié de la population, la guerre est un souvenir douloureux des années sombres et angoissantes du conflit Iran-Irak, qui a duré huit ans.
– Pour l’autre moitié, la guerre est une menace lointaine et inconnue, une ombre omniprésente qui plane depuis l’assassinat de Qassem Soleimani, chef des opérations extérieures des Gardiens de la révolution, tué le 3 janvier 2020 à Bagdad par un drone américain. Cette anticipation a créé un mélange complexe d’émotions – peur, agitation et incertitude.
Neda, 39 ans, architecte d’intérieur, raconte que depuis la nuit où Téhéran a lancé des missiles sur Israël, sa mère reste éveillée jusqu’à l’aube, comme si les souvenirs de la guerre Iran-Irak refaisaient surface : « Elle n’arrête pas de parler de la peur des bombardements. Elle s’inquiète pour nous, mais surtout pour mon frère, qui travaille dans une usine pétrochimique dans le Sud. Elle a peur que l’Iran devienne une zone de guerre comme Gaza ou Beyrouth, avec des soldats israéliens dans les rues. Honnêtement, je ne pense pas que cela arrivera à Téhéran, mais je m’inquiète sincèrement pour mon frère. Si Israël attaque, les installations pétrolières seront parmi les premières cibles. »
Cette peur étouffe la vie quotidienne. « Depuis mon réveil jusqu’à tard dans la nuit, je regarde constamment les informations, attendant que l’attaque se produise, que le désastre frappe, explique Sara, étudiante en cinéma de 23 ans. Chaque gros titre me pousse à chercher un sens, à essayer de prédire ce qui va arriver, mais je ne fais que m’embrouiller davantage. » Elle se souvient de la nuit où tous les vols ont été annulés : « Je n’ai pas dormi, j’étais dans un état de panique. Le lendemain, lorsque les vols ont repris sans incident, j’ai compris que j’étais coincée dans ce mélange flou d’anxiété, de confusion et de peur. »
Entreprises à l’arrêt
De plus en plus de familles se préparent, stockant eau et nourriture. « S’il y a une attaque sur les villes, nous devons pouvoir nous réfugier immédiatement dans un abri sûr en dehors de la ville, raconte Mohsen, 48 ans, qui vit avec sa femme et ses deux filles adolescentes. Chaque soir, avant de nous coucher, nous préparons un sac contenant nos documents, de l’eau et de la nourriture prête à être consommée. Nous nous assurons également que le réservoir de carburant de la voiture est plein.
La première nuit après que l’Iran a lancé des missiles sur Israël, j’ai fait la queue pendant près de six heures pour obtenir de l’essence. Ces derniers temps, les files d’attente ont été moins longues, mais nous devons toujours être prêts. »
Depuis le 2 octobre, et la certitude qu’Israël ripostera, le pays, déjà en crise, soumis à une inflation hors de contrôle, se bloque peu à peu, les incertitudes étant trop grandes pour que les entreprises puissent encore fonctionner.
« Elles sont à l’arrêt, explique Ahmad, un ingénieur de 44 ans. Le marché, la bourse, les taux de change et le coût des matières premières fluctuent constamment. Tout le monde attend la suite des événements. Nous avons tous des engagements, mais nous ne pouvons pas attendre éternellement pour les remplir. Pourtant, personne n’est prêt à faire des affaires tant que la situation n’est pas plus claire. »
Pour calmer ses angoisses, et ne plus suivre les actualités de manière obsessionnelle, Mina, responsable du service clientèle d’une start-up, a trouvé une solution : suivre le taux de change du dollar. « S’il est stable, c’est qu’il ne s’est rien passé de grave. Mais s’il grimpe soudainement, je saurai que la guerre a commencé. »