Au lendemain de la défaite du premier référendum sur l’avortement, les débats autour de la crise de la gauche ont donné naissance au Bloc de gauche. C’est un bon exemple du succès de la politique unitaire, mais il y a aussi de mauvais exemples. En Espagne, la dynamique unitaire a conduit la gauche dans une impasse où elle est prise entre l’impuissance et la capitulation face au PSOE.
Entre la tentation du sectarisme, qui voue tout parti à l’impuissance - une tendance à laquelle n’a pas échappé le Parti communiste portugais - et la tentation du réformisme, qui débouche sur la capitulation face à l’hégémonie des puissances occidentales, il existe un chemin sinueux pour l’action politique, plein de pièges et de difficultés, sur lequel pourra s’ouvrir une voie vers des succès pour la gauche. Pour trouver ce chemin, on ne peut faire l’économie de quelques réflexions sur la conduite de l’action politique.
Programme et stratégie
Il n’y a pas de politique unitaire sans programme. En d’autres termes, il n’y a pas de possibilité de convergence politique sans discussion préalable sur les objectifs concrets de cette convergence. En France, le Nouveau Front Populaire en a fait, à juste titre, la pierre angulaire de son action politique. La construction d’un programme de gauche est engagée en France depuis la NUPES et repose sur des piliers solides qui, malgré toutes les querelles et les tentations sectaires ou opportunistes au sein du NFP, ont permis de maintenir la cohésion de cette coalition.
Mais ce programme dépend des visées de ces convergences et des organisations politiques, ainsi que de la manière dont elles veulent y parvenir. Si l’objectif des partis de gauche est simplement de lutter contre l’extrême droite, le programme se décline en une politique de redistribution qui vise à reconquérir les masses mécontentes - à l’exemple du NFP. Si l’objectif est de faire échec à la politique de la troïka, le programme consiste à rétablir les droits qui ont été mis à mal, comme ce fut le cas avec la Geringonça (« le bidule » : de 2015 à 2019, appui apporté de l’extérieur, au coup par coup, au gouvernement PS par le PCP et le Bloc de gauche, ndt). Si l’objectif est de parvenir au socialisme, nous avons besoin d’un programme de transition capable de transformer la société. Si l’objectif est de gagner une ville sur la droite, seul un programme qui rejette les principes du néolibéralisme et applique une politique de transformation du logement et du droit à la ville peut être un pilier commun.
Mais il est illusoire de penser qu’un programme est le résultat d’une simple convergence volontaire et amicale. Ce n’était pas le cas de la Geringonça, ni celui du Nouveau Front Populaire. Dans les cadres unitaires, les rapports de forces se jouent entre des organisations politiques aux objectifs différents. Dans le NFP, ces tensions se reflètent dans les divergences entre les Insoumis, radicaux, et les socialistes, plus centristes ; dans la Geringonça, la tension se situait entre le Parti socialiste, majoritaire, avec un programme qui ne remet pas en cause le capitalisme, et le Bloc de gauche et le PCP, avec des programmes divergents et plus combatifs.
Rapport de forces
En France, le Nouveau Front Populaire a pu s’unir derrière un programme radical parce que le rapport de forces en son sein le rendait possible : avec l’implosion du Parti socialiste français qui fut la conséquence de l’action de Hollande au pouvoir, la France Insoumise a pu devenir la principale force à gauche de la scène politique et ainsi imposer ses conditions de négociation au PS, qui avait été contraint de les accepter (il est encore à voir si le sort ne se retournera pas contre le sorcier, car les socialistes se sont redressés lors des élections européennes). La Geringonça, qui était un rapprochement postérieur aux élections, avait cette particularité d’avoir le Parti socialiste comme force majoritaire, mais il lui fallait l’appui des autres partis pour gouverner, ce qui équilibrait quelque peu le rapport de forces.
Mais quels sont donc les processus unitaires et les rapports de force qui se profilent à l’horizon du Bloc et comment devrions-nous les aborder ? La gauche portugaise reste affaiblie et recule. Mettre un terme à ce déclin ne signifie pas seulement chercher des alliances tactiques pour trouver des espaces institutionnels qui permettent d’inverser le discours selon lequel nous sommes en crise. L’objectif de la politique unitaire du Bloc doit être de construire des alliances pour inverser le rapport de forces avec le Parti socialiste, principal adversaire politique de la gauche anticapitaliste sur le terrain de la confrontation avec la droite, afin de pouvoir imposer un programme de transformation sociale.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas d’autres alliances concrètes possibles : les élections présidentielles, parce qu’elles ne supposent pas la mise en place d’un programme concret et permettent une alliance derrière un candidat précis, peuvent en être un exemple. Mais dans la politique de terrain, les alliances doivent être conçues pour inverser le rapport de forces entre la gauche et le Parti socialiste. Sinon, toute tentative de convergence, lorsqu’elle inclut le PS, sera toujours pervertie par le rôle d’intermédiaire de ce dernier qui cherche à faire dégénérer toute tentative de politique transformatrice. La politique de gauche consiste à se battre pour établir un rapports de forces autour d’objectifs programmatiques clairs.
Daniel Borges