Introduction
1. L’Europe actuelle a une histoire, entre espoir et crise 3
Un peu d’histoire 3
Quel est l’état actuel de la construction européenne 5
Quelle Europe voulons-nous ? 6
2. Analyse formelle des projets de traités 7
De simples traités internationaux ? 7
Excessivement long et détaillé 8
Toujours complexe, souvent confus, parfois ambigue 9
3. Les évolutions proposées 10
Les compétences de l’Union et des États membres 10
Une extension de la codécision 11
Plus de majorité qualifiée au Conseil, mais l’unanimité reste souvent la règle 11
La Commission, gouvernement européen 12
Des droits fondamentaux virtuels 13
Des droits fondamentaux au rabais 14
Les services publics soumis à la concurrence, comme aujourd’hui 15
Pas d’initiative citoyenne, pas de défense collective, peu de coopérations renforcées 16
4. Un projet pour une démocratie ? 17
Le peuple souverain ? 17
Des traités non fondamentalement révisables 18
Le peuple européen absent 18
Certains citoyens sont « plus égaux que d’autres » 19
Égalité des États membres : une construction intergouvernementale 19
Un Parlement européen faible 20
Ni séparation, ni contrôle des pouvoirs 20
Une et une seule ligne politique, militaire, agricole, économique, monétaire 21
Un projet contre la démocratie 23
5. « Une économie de marché ouverte où la concurrence est libre » jusqu’au délire 23
Conclusion 25
Introduction
Après le rejet par référendum du Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE) par les électeurs français le 29 mai et hollandais le 1er juin 2005, respectivement par 54,7 et 61,5% des voix et avec plus de deux électeurs sur trois qui ont voté, une longue période s’est écoulée sans que les élites européennes ne proposent quoi que ce soit.
La déclaration commune des gouvernements de l’Union, adoptée à Berlin lors des célébrations du cinquantenaire du traité de Rome le 25 mars 2007, s’est finalement fixé comme objectif « d’asseoir l’Union européenne sur des bases communes rénovées d’ici les élections au Parlement européen de 2009 ». Le Conseil européen, qui réunit l’ensemble des 27 chefs d’Etat ou de gouvernement de l’Union, a décidé fin juin de la convocation d’une Conférence intergouvernementale (CIG) afin de rédiger un « traité modificatif » modifiant les traités actuels. La CIG mènera ses travaux conformément au mandat détaillé du Conseil européen. Lors de l’ouverture formelle de la CIG le 23 juillet, la présidence portugaise de l’Union a présenté une version provisoire du traité modificatif. La CIG devrait être conclue avant le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des 18 et 19 octobre 2007, qui devrait adopter formellement le projet final. Le texte conclu sera ensuite soumis à la ratification des 27 membres de l’Union européenne, un processus qui devrait être conclu avant les élections européennes de juin 2009.
Le « traité modificatif » modifie les deux traités existants, le traité sur l’Union européenne (TUE) et le traité instituant la Communauté européenne qui prend le nom de « Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » (TFUE). Rappelons que le traité sur l’Union européenne est le traité de Maastricht modifié par celui d’Amsterdam et de Nice et que le traité instituant la Communauté européenne est celui de Rome modifié par les traités successifs depuis 1957.
Afin que chacun puisse se déterminer en connaissance de cause, se forger par lui-même son opinion, une analyse s’impose. L’avenir de l’Europe ne peut être réduit à quelques slogans issus des conférences de presse. L’analyse doit être rigoureuse, car comme dans tout débat, il peut y avoir une part de facilités pour entraîner la conviction, de demi vérités et de mensonges par omission. Pour que le lecteur puisse facilement vérifier analyses et arguments, ils doivent être précis et faire référence aux articles des traités. C’est ce que nous tentons de faire ici en nous appuyant sur les modifications prévues par le projet de traité modificatif, une fois intégrées aux traités existants, donc à partir des traités modifiés, dits consolidés [1]. Nous comparerons en outre systématiquement leurs articles aux articles du traité constitutionnel de 2005 [2], car c’est sans doute le traité le plus décortiqué par les Français, et c’est un projet sur lequel ils se sont prononcés. Car « le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas [y] faire écho » (Jean Jaurès).
Nous ferons donc référence aux trois traités suivants :
– TCE : Traité établissant une Constitution pour l’Europe, signé à Rome le 29 octobre 2004, rejeté par référendum en France et aux Pays-Bas,
– TUE : Traité sur l’Union européenne, tel que modifié par la Conférence intergouvernementale du 23 juillet 2007,
– TFUE : Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tel que modifié par la Conférence intergouvernementale de juillet 2007.
On ne peut analyser un tel projet sans le replacer dans la déjà longue histoire de la construction européenne. Nous insisterons notamment sur la position des citoyens européens vis-à-vis de l’Europe qui se construit.
Le deuxième élément d’analyse est formel : comment se présente le texte, est-il facile à comprendre par les citoyens ? S’agit-il ou non d’un simple traité international ?
Nous décrirons ensuite les évolutions du projet par rapport à l’état actuel de la construction européenne. Nous analyserons tout particulièrement s’il va dans le sens d’une démocratie européenne, dans la ligne de l’histoire et du patrimoine des États de droit. Puis nous détaillerons la signification d’une « économie de marché ouverte où la concurrence est libre ».
1. L’Europe actuelle a une histoire, entre espoir et crise
À la fin de la seconde guerre mondiale, nombreux sont ceux qui ont bien compris combien la juxtaposition en Europe de nations indépendantes était dangereuse et source de conflits meurtriers. L’Europe politique a donc une histoire dont nous sommes les héritiers, histoire vieille de plus de 50 ans.
Un peu d’histoire
Les « pères » de l’Europe que furent Robert Schuman, Jean Monet, Alcide de Gasperi ou Konrad Adenauer tentent de réaliser les États Unis d’Europe par étapes successives, en commençant par des « réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait ». Dans l’esprit des promoteurs de ces ententes ciblées, secteur par secteur, un certain nombre de communautés devaient être mises en place par étapes successives, faisant toutes une certaine place à la notion de supranationalité. Ensuite, une Communauté politique, comportant parlement et gouvernement européens, devait venir coordonner l’ensemble des hautes autorités spécialisées. Le parlement européen devait être composé de deux assemblées : l’une élue au suffrage universel direct par les peuples concernés, l’autre désignée par les divers parlements nationaux.
La Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), éléments majeurs de l’économie de l’époque, entre en vigueur en 1952, mais la Communauté européenne de défense (CED) est refusée en 1954 par une majorité de députés français, formée essentiellement des gaullistes et des communistes. Cette Communauté de défense prévoyait d’unifier les forces armées des six pays européens, futurs fondateurs du Marché commun, sous l’autorité explicite du commandement suprême de l’OTAN. De facto l’un des instruments de la stratégie américaine, elle n’avait d’européenne que le nom. La Communauté européenne des transports en 1953, celle de l’agriculture en 1954, et celle de la santé échouent aussi pour diverses raisons.
Devant les difficultés que rencontre la réalisation de leur projet, les partisans de l’unification européenne se résignent à en ralentir le rythme. La Communauté économique européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique sont finalement établies par le traité de Rome en 1957 et entrent en vigueur en 1958, associant six pays fondateurs : la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. La Grande-Bretagne, l’Irlande et le Danemark les rejoignent en 1973, la Grèce en 1981, puis l’Espagne et le Portugal en 1986, la Suède, la Finlande et l’Autriche en 1995, puis dix autres pays issus essentiellement de l’Europe de l’Est en 2004, et finalement la Bulgarie et la Roumanie en 2007. Les élargissements successifs avaient été assez lents et progressifs puisqu’il nous avait fallu successivement quinze ans, puis douze ans, puis neuf ans, pour intégrer à chaque fois trois nouveaux membres ; nous avons brutalement accéléré la cadence en intégrant ensuite dix membres au bout de neuf ans, puis deux membres au bout de trois ans.
L’Europe s’est faite par débordements successifs (du charbon et de l’acier à l’agriculture, puis aux transports, à l’aménagement du territoire et ainsi de suite). Ce mode de construction a eu son efficacité, notamment en assurant pour la première fois à l’Union européenne soixante ans de paix, mais il n’a pas produit de véritable pouvoir politique intégré. Avec l’Acte unique (1986 : libre circulation des marchandises et des capitaux) et le traité de Maastricht (1992 : Union économique et monétaire, critères de déficit public) on est passé du transfert de compétences sectorielles à des abandons de souveraineté nationale très politiques (la monnaie bien sûr, mais aussi la politique régionale ou certaines compétences judiciaires ou policières). Le traité d’Amsterdam (1997) renforce à nouveau les pouvoirs du Parlement, mais les critères de Maastricht sont pérennisés en un « Pacte de stabilité ».
Chemin faisant, l’Union a vu au cours des cinquante dernières années son poids politique s’affirmer vis-à-vis des États membres. Alors que jusque dans les années 80, elle n’avait pas, de fait, le pouvoir d’imposer aux États membres ses valeurs, ses normes et ses politiques, son pouvoir s’est affirmé depuis lors en s’appuyant sur la Commission européenne et surtout sur les décisions exécutoires de la Cour de justice européenne. De mineurs pour les citoyens, les choix politiques de l’Union sont devenus visibles et essentiels, car ils ‘font’ tout simplement la trame des lois qui régissent leur vie au quotidien. Près des deux tiers des lois votées chaque années par les parlements nationaux ne sont que des transpositions des directives européennes, qui s’imposent. Par contre, la ligne politique fondamentale de l’Union est d’une grande stabilité, les traités s’ajoutant aux traités sans y apporter de modification majeure.
Les traités de Maastricht et d’Amsterdam sont en fait pour partie des constitutions européennes : ils ne précisent plus toutes les politiques communes, mais seulement la manière dont celles-ci seront collectivement décidées. Plutôt que de se lier par des décisions collectives précises, les États membres délèguent à l’Union une partie de leur souveraineté sans savoir a priori ce qui va être décidé. Ce transfert s’est fait dans un cadre intergouvernemental, les gouvernements nationaux contrôlant conjointement ces compétences. Si bien qu’aucune décision, prise à Bruxelles, ne l’a été sans l’assentiment explicite des États membres.
La perte de souveraineté nationale s’est accompagnée de la possibilité pour les gouvernements d’agir hors du champ politique national, en profitant de la construction européenne pour s’affranchir, progressivement voire insidieusement, du contrôle parlementaire, national ou européen et donc du contrôle des citoyens. Le pouvoir supranational important qui s’est développé au niveau européen, notamment dans le domaine de la réglementation du marché intérieur, résulte de l’accord des gouvernements nationaux et pas d’un pouvoir de type fédéral. C’est ce que l’on appelle le « déficit démocratique de l’Europe ». Les parlements nationaux ont perdu peu à peu de leur pouvoir, alors qu’il n’y a pratiquement pas eu d’avancée de type fédéraliste, de construction des États Unis d’Europe, qui permette au parlement européen de retrouver les pouvoirs des parlements nationaux. La faiblesse actuelle du parlement européen est directement lié à une autre constante historique : la faiblesse du budget européen, qui représente aujourd’hui seulement 1 % du produit intérieur but (PIB) européen. Sans moyens financiers, il est normal qu’on ne puisse pas mener de politiques au niveau européen.
Le dernier traité de Nice en 2000 rend plus difficile la prise de décision en Conseil par de multiples et complexes minorités de blocage : le pouvoir des États membres et de l’Union y est réduit au minimum, notamment sur l’économie.
Remarquons qu’en France seul le traité de Maastricht a été approuvé de manière relativement démocratique, par référendum. Les autres traités n’ont jamais été approuvés directement par le vote des citoyens. Les règles de fonctionnement comme les politiques qu’ils édictent nous ont été largement imposées.
Le traité de Maastricht, approuvé à une très courte majorité, faisait des promesses, vérifiables seulement dans l’avenir : on peut considérer que le rejet du Traité constitutionnel pour l’Europe, qui ne marquait aucune rupture par rapport à Maastricht, constitue un rejet de ce dernier, une fois ses conséquences expérimentées. La possibilité pour les citoyens d’abroger ou d’amender une règle adoptée par le passé est un principe démocratique élémentaire.
Socialistes et libéraux avaient ainsi deux projets pour l’Europe avec à chaque fois une stratégie dite « de l’engrenage » :
– l’engrenage de l’intégration économique comme levier de l’intégration politique pour les premiers,
– l’engrenage du grand marché qui devait enclencher une marche accélérée vers l’Europe de la concurrence pour les seconds.
Des deux engrenages il semble bien que le second ait mieux fonctionné que le premier. En effet l’harmonisation sociale et fiscale par le haut, la politique étrangère et de défense autonome vis-à-vis des États-Unis, le plein emploi et l’amélioration des conditions de travail, ou la réduction des inégalités n’ont guère avancé, voire reculé. En revanche, l’ouverture des services publics à la concurrence, la soumission aux règles de la libre concurrence, la baisse des charges patronales et des impôts, la flexibilité et la précarité du travail, le dumping fiscal, le dumping social, les licenciements boursiers, tout cela va bon train. La priorité donnée à l’Europe de la concurrence contre l’Europe intégrée a abouti à l’abandon du projet initial qui se voulait coopératif, au profit d’un projet compétitif : actuellement, loin de favoriser la coopération, les institutions de l’Union Européenne organisent la compétition entre les différents États-membres qui luttent les uns contre les autres.
L’Europe est victime de sa méthode de construction, dite fonctionnaliste, qui ne vise que le fonctionnement de l’appareil et jamais à définir le projet d’Europe. Cette méthode a présupposé que le marché était une merveilleuse machine à unifier, qui doit être la matrice de tout. Ainsi l’Europe politique viendrait inévitablement quand le marché aura produit ses effets sur les peuples. Ce présupposé est inséparable du choix stratégique ancien d’uniformiser l’Europe, par le marché et par le droit. L’Europe avance donc par une suite de réponses juridictionnelles et réglementaires aux demandes d’arasement des spécificités présentées par des individus qui veulent être partout comme chez eux ou des commerçants qui veulent se simplifier la vie.
Mais l’Europe politique n’est pas spontanément née de l’uniformisation. L’Europe n’a voulu voir que des passions dangereuses – une obsession de Jean Monnet – dans l’histoire des peuples et a utilisé le marché pour saper ce que le mouvement ouvrier avait obtenu en 140 ans de lutte.
Une fois de plus, le projet de traité modificatif n’invite pas seulement à se prononcer sur un texte isolé, sans histoire ni mémoire, mais offre également l’occasion légitime de livrer un jugement politique sur cinq décennies de construction européenne, parce que, à l’écart des solennelles déclarations d’intention qui n’engagent à rien, ce passé est sans doute le plus fiable prédicteur d’un avenir probable.
Quel est l’état actuel de la construction européenne ?
Chacun reconnaît le déficit démocratique actuel de la construction européenne. Le Parlement représente bien les citoyens, mais sur une base très inégalitaire selon leur nationalité. Il n’a aucun pouvoir sur les recettes de l’Union, et ne vote que les grandes lignes des dépenses du budget européen. Il n’a aucune initiative législative, c’est-à-dire ne peut proposer de loi, mais vote les lois européennes (directives) dans certains domaines seulement. Il ratifie la nomination de l’ensemble de la Commission européenne et peut la renverser, sans que la Commission soit responsable politiquement devant le Parlement ou le peuple européen.
Le Conseil des chefs de gouvernement et le Conseil des ministres issus de ces gouvernements définissent les orientations politiques et approuvent, ou non, les projets de loi (directives) proposés par la Commission ; ils définissent le budget (recettes et dépenses).
La Commission européenne est nommée par les gouvernements (un commissaire par État) et ratifiée par le Parlement. Elle seule propose les lois européennes. Elle met en œuvre l’ensemble des décisions prises, exécute le budget de l’Union, jouant donc le rôle d’un exécutif technocratique.
La Cour de justice européenne fait respecter les traités européens ainsi que les lois européennes.
Enfin la Banque centrale européenne définit la politique monétaire de l’Union et notamment le taux d’intérêt des emprunts. Les membres de son directoire sont nommés par les gouvernements, mais ne sont pas révocables et n’ont de compte à rendre à personne.
L’Union européenne actuelle est donc essentiellement une coopération entre gouvernements. Les pouvoirs sont organisés de telle sorte que personne n’apparaît clairement comme responsable de la politique menée, contrairement au niveau national, où le ministre, le premier ministre, le président de la République ou la majorité parlementaire apparaissent comme pleinement responsables des décisions qu’ils prennent, ce qui est un élément essentiel du contrôle démocratique et donc du caractère démocratique de notre système politique.
Quelle Europe voulons-nous ?
Les référendums de 2005 comme de multiples sondages sur l’opinion et les attentes des Européens convergent et permettent de se faire une idée assez précise de ce que les citoyens européens attendent ou d’attendent pas de l’Europe.
Le vote des Français et des Hollandais en 2005 fut d’abord porté par un principe de précaution sociale ; il répond également à un principe de précaution démocratique et exprime une demande d’Europe politique. Ces positions semblent largement partagées par les citoyens européens :
– précaution sociale car nombre d’Européens sont attachés aux services publics, à la solidarité, à la justice sociale, au partage des richesses, et ne croient majoritairement pas aux réformes néolibérales préconisées par Bruxelles,
– précaution démocratique, défiance vis-à-vis du système politique actuel, du mode de construction de l’Union européenne, du personnel politique, de toutes les institutions européennes vis-à-vis desquelles la confiance des Européens chute,
– et désir d’Europe dont la construction est trop lente pour les Européens, pour qu’elle protège de tout hégémonisme, états-unien notamment, pour qu’elle soit un modèle économique et social, pour qu’elle mène la politique que veut la majorité des citoyens.
Le désir d’Europe est largement partagé d’après les sondages, mais il côtoie un refus d’Europe supranationale qui se nourrit notamment des insuffisances de la construction européenne actuelle.
Cette Europe se situe en fait dans la ligne des pères fondateurs de l’Europe : une communauté politique européenne démocratique. Cela signifie des souverainetés nationales réduites au profit d’une souveraineté commune, européenne. Cette souveraineté partagée implique un partage clair des compétences respectives de l’Union et des États membres.
Ce transfert de souveraineté n’est justifié et acceptable que si le fonctionnement de l’Union est démocratique. Cela signifie l’indépendance des trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, le respect du principe un
citoyen - une voix pour l’élection des députés, quitte à prévoir une chambre haute pour la représentation des États, la définition par les citoyens européens de la ligne politique de l’Union, la responsabilité politique de l’exécutif devant le peuple ou ses élus.
Pour cela une constitution est nécessaire, qui édicte le droit du droit. Il faut une constitution qui en soit vraiment une et ressemble à ce que les peuples connaissent pour l’avoir pratiqué dans leur histoire, dans laquelle ils puissent reconnaître des pratiques et un paysage familiers. Cette constitution doit être élaborée, votée et modifiable par le peuple européen. Elle doit pouvoir être lue et comprise par chacun.
Cette communauté politique européenne doit à l’évidence être européenne, non pas tant au sens géographique que culturel, politique et social du terme. Le modèle européen, celui qui justifie la construction européenne, c’est un compromis spécifique entre liberté et justice sociale, entre marché et intervention publique, entre citoyenneté civile, politique, sociale et culturelle. Il repose sur des droits collectifs, des biens communs, des services publics, un code du travail, une protection sociale reposant sur la solidarité, la prise en compte de l’intérêt général. Il doit intégrer le besoin de biens communs publics échappant aux logiques marchandes comme la nature, la culture, le vivant, et la nécessité de l’égalité d’accès à des biens et des services publics performants.
Mais, tandis que le 20e siècle s’est achevé sans aucune avancée significative vers cette Europe-là, bien au contraire, le suivant s’annonce des plus incertains pour des peuples d’Europe durement ballottés par une mondialisation dominatrice, mise en œuvre par des organismes internationaux au service de gouvernements ultra-libéraux, eux-mêmes au service des entreprises multinationales et finalement des élites néolibérales. Celles-ci ont tout intérêt à limiter le pouvoir des nations et celui de l’Europe, en déréglementant à tout va, c’est-à-dire en détruisant pour leur seul bénéfice les règles collectives que les peuples avaient construites souvent dans la douleur.
2. Analyse formelle des projets de traités
Avant de décortiquer les projets de traités, intéressons-nous à deux aspects formels :
– S’agit-il bien de traités internationaux ? Leur fonction correspond-elle à celle d’un traité ?
– Ces traités sont-ils accessibles, compréhensibles et clairs, sans ambiguïté ? Car en démocratie, c’est une vertu essentielle de tout ce qui fonde les institutions et leur contrôle.
De simples traités internationaux ?
Les traités sur l’Union européenne et sur le fonctionnement de l’Union européenne (TUE et TFUE) , sont-ils de simples traités internationaux, ou plus que cela ?
Par définition, un traité entre nations définit des politiques communes, politiques qui doivent respecter la constitution de chaque pays. Ces politiques communes ne s’imposent à chacun qu’une fois transcrites en droit national, c’est-à-dire après approbation explicite de chacun des parlements nationaux.
Dans le patrimoine commun des États de droit et de leur expérience démocratique depuis deux siècles et plus, de l’Europe à l’Amérique du Nord, le droit du droit, le texte qui définit comment les politiques seront collectivement décidées et par lequel quiconque peut savoir comment il est gouverné, s’appelle constitution. Un tel texte édicte une norme supérieure à toutes les autres, légitime le règne de la loi et son acceptation, et permet au peuple de contrôler ses dirigeants et de protéger ses libertés.
Si formellement les projets de traités sont bien des traités entre nations, le droit communautaire, et au premier titre les traités, a primauté sur le droit national, même constitutionnel. Ce principe, qui ne figure pas dans le texte des traités ratifiés ni des projets actuels de traités, a été consacré par l’arrêt Costa de la Cour de justice des Communautés européennes du 15 juillet 1964, puis reaffirmé par l’arrêt Simmenthal du 9 mars 1978. Même un règlement adopté par la Commission a prééminence sur la Constitution et les lois des États membres. Cette primauté était par contre clairement inscrite dans le défunt TCE (tce I-6). Le statut des traités leur confère donc bien la toute puissance d’une constitution : c’est de ces textes que dépend que la souveraineté des citoyens s’exerce ou non. Quelque soit leur étiquette, ces traités, par les institutions et les pouvoirs qu’ils mettent ou ne mettent pas en place, forment une constitution par nature, comme l’étaient les précédents traités européens depuis Maastricht.
Pour être démocratiques, les institutions doivent notamment vérifier les trois principes démocratiques suivants issus de l’expérience historique européenne :
– Permettre aux citoyens de définir la politique de l’espace politique auquel ils appartiennent. Cela est difficile dans le cadre des traités, puisque ce sont les gouvernements qui élaborent et négocient ces traités. Il s’agit d’un fonctionnement à plusieurs étages qui n’est pas favorable à la démocratie.
– La réversibilité des décisions : si une majorité de citoyens promulguent aujourd’hui une loi, une nouvelle majorité de citoyens doit pouvoir annuler ou modifier demain cette même loi. Si l’on considère les citoyens d’un État particulier, ils ne peuvent seuls modifier un traité, puisqu’il faut l’accord des autres partenaires ; si l’on considère les citoyens de l’ensemble de l’espace politique européen, une majorité simple des citoyens ne suffit pas puisqu’il faut la majorité dans chacun des pays, ce qui, dans une Union relativement hétérogène, correspond automatiquement à une majorité très supérieure à 50 %.
– Le principe de réversibilité des lois implique en outre qu’une loi doit avoir un champ unique ou réduit et ne pas lier entre elles des décisions indépendantes, afin qu’on ne soit pas obligé d’annuler des décisions indépendantes quand on veut n’en annuler qu’une seule. Or les traités européens lient entre eux les sujets les plus divers, de l’agriculture à la monnaie en passant par la solidarité interrégionale. Par exemple, si une majorité de Français refusaient l’indépendance de la Banque centrale européenne, la France pourrait dénoncer les traités européens, mais cela nous obligerait par là même à abandonner par exemple l’euro, et à annuler toutes les autres dispositions des traités sur des sujets qui n’ont rien à voir avec l’indépendance de la Banque, voire même à extraire les Français de l’architecture institutionnelle européenne. Il n’est donc guère possible d’annuler une telle décision.
Sous cette forme, les traités européens, au contraire des traités internationaux traditionnels, sont donc quasiment irréversibles : les citoyens dont ils règlent la vie n’ont pas le pouvoir démocratique de les modifier ou de les annuler par un vote majoritaire.
– Assurer l’égalité politique des citoyens, quels que soient leur sexe, leur richesse, leur position sociale, leur origine géographique. Les différences de poids démographiques entre États qui participent tous à égalité à la négociation des traités donne un poids disproportionné aux petits pays. Dans l’état actuel de l’Union, la majorité des citoyens d’un pays ne représentant qu’à peine un millième de la population de l’Union pourrait à l’extrême interdire à tous les autres toute modification de traité : à l’évidence certains citoyens européens ont plus de pouvoir que d’autres, selon leur origine géographique.
La construction européenne telle qu’elle a été menée dans le cadre des traités aboutit à institutionnaliser l’abus de pouvoir et à priver les citoyens du pouvoir de décider en politique. Aucun des trois principes de la démocratie listés plus haut n’est en effet respecté par les traités européens. L’Union actuelle simule ainsi la démocratie tout en dissimulant une forme très élaborée de despotisme.
Excessivement long et détaillé
Tout d’abord, on ne peut que regretter que seul le traité modificatif qui se propose de modifier les traités existants soit facilement accessible auprès des instances européennes. Les traités modifiés, qui intègrent les modifications proposées par le traité modificatif aux traités existants, ne le sont pas.
Les projets sont incroyablement longs : le traité modificatif compte 145 pages et 296 modifications. Douze protocoles (69 pages) s’y ajoutent, ainsi que 51 déclarations qui sont généralement des textes d’explication, et des annexes, qui tous ont la même valeur juridique que les traités et en font partie intégrante (tue 36 / tce IV-442) [3].
Parmi ceux-ci, la Déclaration n°11 reprend in extenso la charte des droits fondamentaux (préambule et articles 61 à 114 du TCE). Cette Déclaration indique qu’elle « sera proclamée solennellement par le Parlement européen, le Conseil et la Commission le jour de la signature du traité modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne ». Cette charte « a la même valeur juridique que les traités » (tue 6-1) et sera donc « juridiquement contraignante » (décl. 31).
Une fois intégrées les modifications prévues, les deux traités comptent à eux deux 410 articles (respectivement 56 et 354), soit 146 pages ou 62 000 mots. Si l’on y ajoute les 54 articles de la charte, on arrive à un texte tout aussi long que le projet de TCE rejeté en 2005 qui ne faisait que 448 articles.
En comparaison, la constitution française ne comporte qu’un préambule et 89 articles, le tout faisant 10 pages. S’y ajoutent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 (17 articles, 1 page) et le préambule de la constitution française du 27 octobre 1946 (18 alinéas, 1 page). Si l’on regarde les constitutions d’autres ensembles fédéraux, elles sont cinq à cent fois plus courtes que les projets de traités européens ! La constitution des États-Unis ne comporte que 7 articles ou 24 sections et tient en 5 pages ; la constitution allemande comporte 146 articles en 40 pages, tandis que la constitution suisse contient 197 articles en 60 pages.
Beaucoup des 410 articles des projets de traités sont d’une grande complexité, contenant des détails dignes d’une loi, d’un décret ou d’un règlement intérieur (voir par exemple les articles tfue 81 / tce III-161 ou tfue 104 / tce III-184...) ; les rapports que doivent écrire les différentes institutions de l’Union pour communiquer entre elles sont précisés (voir par exemple tfue 143 / tce III-216 ou tfue 160 / tce III-221...).
Toujours complexe, souvent confus, parfois ambigu
Par ailleurs de nombreuses expressions et articles portent à confusion, ou ne sont pas clairs. Ainsi ne faut-il pas confondre le Conseil européen et le Conseil des ministres appelé Conseil (tue 9 / tce I-19) ; on apprend article tue 9 F-1 / tce I-29-1 que la Cour de justice européenne comprend la Cour de justice, le tribunal et des tribunaux spécialisés ; des articles ont le même titre, des contenus similaires mais non identiques : ainsi des articles tfue 21ter / tce I-51 et décl. 11 II-68 / tce II-68 sur la protection des données à caractère personnel qui risqueraient de faire apparaître des conflits d’interprétation. L’article tue 9-2 / tce I-19-2 prévoit que les institutions de l’Union « pratiquent entre elles une coopération loyale ». Cela s’applique notamment à la Cour de justice. Cependant, si son indépendance est reconnue (ce qui n’est pas clairement énoncé il est vrai, contrairement à la Banque centrale européenne), n’est-elle pas quelque peu contradictoire avec une coopération loyale avec les autres institutions ? Le projet de traité n’est en outre pas avare de formules contradictoires comme un « commerce libre et équitable » (tue 3-5 / tce I-3-4). Il parle d’une « économie sociale de marché » (tue 3-3 / tce I-3-3) : c’est une étiquette trompeuse car ça ne signifie pas du tout un mélange entre économie sociale et économie de marché, mais une économie fondée sur une politique monétaire indépendante du pouvoir des politiques et sur la liberté de la concurrence garantie par l’État, issue du courant de pensée conservateur ordolibéral d’après guerre, du nom de sa revue Ordo.
L’architecture et les règles communes proposées sont d’une complexité irrecevable. Les pouvoirs législatif et exécutif sont partagés entre diverses institutions. Les modalités de la décision varient d’un sous domaine à un autre et sont dispersées dans les 410 articles et les protocoles : ainsi nulle part n’est écrite la liste des domaines dont le Parlement est exclu. Pour comprendre comment la Cour de justice de l’Union européenne appliquera la charte des droits fondamentaux, il faut par exemple passer de l’article tue 9 F / tce I-29 à l’article décl. 11 II-112 / tce II-112, puis revenir au préambule de la charte et enfin aux articles tfue 221 à 245quater / tce III-353 à 383 : bonheur assuré pour les cabinets d’avocats, et malheur des citoyens qui voudraient simplement trouver un juge pour faire reconnaître leurs droits.
La Commission européenne assure l’essentiel du pouvoir exécutif, mais, en français, le terme de « Commission » ne fait pas référence à une institution majeure, mais à une institution tout à fait mineure, un groupe de travail par exemple. Dénommer ainsi le pouvoir exécutif de l’Union ne clarifie pas la compréhension du dispositif pour nombre de nos concitoyens.
L’ensemble du projet est finalement difficile à lire, et extraordinairement difficile à décrypter. Sa lecture et son décryptage sont pourtant indispensables à qui veut se faire une idée de la manière dont seront prises les décisions qui le concernent au plus haut point.
3. Les évolutions proposées
Les projets de traités reprennent les traités antérieurs qui fondent et organisent l’Union européenne, tout en apportant un certain nombre d’évolutions.
Si, tel que prévu, le traité modificatif est ratifié par l’ensemble des 27 États membres d’ici les élections européennes de 2009, l’Union européenne fonctionnera selon ces nouvelles règles dès le mois suivant la dernière ratification (tue 40 / tce IV-447), voire en 2014 (ou 2017 à la demande d’un Etat membre au cas par cas des décisions) pour ce qui concerne le calcul de la majorité qualifiée (tue 9 C-5 et protocole 10), et en 2014 pour ce qui concerne la composition de la Commission européenne (tue 9D-5 / tce I-26-6). En cas de non ratification du projet, le traité de Nice, en vigueur depuis le 1er mai 2004, continuera de s’appliquer.
Les compétences de l’Union et des États membres
Ces textes définissent les valeurs (tue 2 / tce I-2), les objectifs (tue 3 / tce I-3), les droits fondamentaux (tue 6 / tce I-9, décl. 11 II-61 à 114 / tce II-61 à 114) et organise l’ensemble des pouvoirs politiques, qu’ils soient de la compétence exclusive de l’Union européenne (douane, concurrence et commerce, monnaie : tfue 3 / tce I-13), de compétence partagée avec les États membres, c’est-à-dire là où l’action de l’Union a seulement priorité (tfue 4 / tce I-14) comme le marché intérieur, le social, la cohésion territoriale, l’agriculture, l’environnement, la consommation, les transports, l’énergie, la sécurité ou la justice (tfue 2-2 / tce I-12-2), ou de compétence complémentaire c’est-à-dire en appui seulement à la compétence des États membres comme la santé, l’industrie, la culture, le tourisme ou l’éducation (tfue 6 / tce I-17).
Dans les domaines qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de l’Union, les parlements nationaux peuvent s’élever contre un projet d’acte législatif européen s’ils estiment qu’il ne respecte pas le principe de subsidiarité (tue 5 / tce I-11, et art. 3 du prot. 1 repris du tce). Le principe de subsidiarité affirme qu’une action ne peut être menée au niveau de l’Union que si ce niveau est plus efficace que le niveau national (tue 5-3 / tce I-11-2). Si un tiers des parlements nationaux (un quart en matière de liberté, sécurité et justice) sont de cet avis, le projet doit être « réexaminé », et à l’issue de ce réexamen, le projet peut être maintenu, modifié ou retiré (prot. 2 art. 7-1 et 2 repris du tce). En outre, si une majorité des parlements nationaux et 55 % du Conseil (ou la majorité du Parlement européen) sont contre, le projet est retiré (prot. 2 article 7-3).
L’Union acquiert, pour la première fois, la personnalité juridique (tue 32 / tce I-7), comme l’avait en son temps la Communauté européenne. Elle pourra donc signer des traités internationaux.
« Tout État européen qui respecte les valeurs [de l’Union] et s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union » (tue 34 / tce I-1-2), les valeurs étant définies article tue 2 / tce I-2 ; mais l’accord unanime des États membres est nécessaire, sans que les peuples ou les parlements soient consultés, ni que soit défini en quoi un État est « européen » ou non. Tout État membre peut se retirer de l’Union (tue 35 / tce I-60).
Une extension de la codécision
Par rapport à l’architecture actuelle du pouvoir, le champ de la codécision entre le Parlement européen et le Conseil des ministres s’étend, ce pouvoir législatif étant toujours systématiquement partagé entre le Conseil des ministres et le Parlement. Le nombre de domaines en codécision passe de 40 à 69 sur un total de 90, en intégrant notamment les politiques de coopération policière et judiciaire (tfue 69 A à L / tce III-266 à 277). Cependant c’est toujours le Conseil des ministres qui exerce la fonction législative décisive, d’une part car une loi ne peut être adoptée sans son accord, d’autre part car ce sont ses positions qui deviennent rapidement non amendables, et non celles du Parlement. En France par comparaison, même après deux allers-retours avec le Sénat, c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot. L’article tfue 251 / tce III-396, qui précise la mécanique institutionnelle, indique que la Commission européenne propose les actes législatifs. Pour être adoptées, ceux-ci doivent être votés à la majorité par le Conseil et par le Parlement. En cas de désaccord, le Parlement peut rejeter le projet d’acte, ou l’amender à la majorité des parlementaires et non des présents (tfue 251-7 / tce III-396-7). Ces amendements issus du Parlement ne peuvent êtres adoptés qu’à l’unanimité par le Conseil des ministres si la Commission européenne ne les approuve pas.
Les actes législatifs sont soit des « règlements », « directement applicables dans tout Etat membre », soit des « directives », qui « lient tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens », soit des « décisions », obligatoires pour leurs destinataires (tfue 249). Le TCE s’était efforcé à un vocabulaire plus clair, les seuls actes législatifs étant alors respectivement des « lois européennes » et des « lois-cadres européennes », les « règlements européens » et décisions européennes" étant alors des actes non législatifs (tce 33-1). Par rapport aux traités existants, la décision devient un acte législatif, donc soumis aux mêmes règles de codécisions.
Il reste 21 domaines dont le Parlement est exclu, et certains très importants. La liste n’en est écrite nulle part. Il faut comprendre qu’il est exclu lorsqu’un article du projet de constitution précise que c’est le Conseil qui décide ou que le Parlement est simplement consulté : inquiétante opacité du texte qui devrait pourtant être absolument clair. Voici donc les domaines ou les parties de domaine les plus importants où le Parlement n’est pas co-décideur : la politique étrangère et de sécurité (tue 13-1 / tce III-295-1, tue 17-1 et 2 / tce III-300-1 et 2, tue 21 / tce III-304-1 et 2), le marché intérieur (tfue 22bis / tce III-130-3), les tarifs douaniers (tfue 26 / tce III-151-5), la politique monétaire (tfue 108 / tce III-188), la fiscalité (tfue 93 / tce III-171), l’essentiel de la politique agricole (tfue 37-2 et 2bis / tce III-231-2 et 3), la politique sociale pour partie (tfue 137-1, 2 et 5 / tce III-210-1, 3 et 6)...
Plus de majorité qualifiée au Conseil, mais l’unanimité reste souvent la règle
Le Conseil siège en public lorsqu’il délibère et vote sur un projet d’acte législatif (tue 9 C-8 / tce I-24-6 et tfue 21bis-2 / tce I-50-2). C’est un progrès, mais l’essentiel du travail législatif (compromis, arbitrages, décisions) continuera à se faire en amont des séances du Conseil au sein du comité des représentants permanents.
Le champ des décisions où le Conseil statue à la majorité qualifiée s’étend au détriment des domaines où il statue à l’unanimité : la majorité qualifiée s’appliquerait à environ 120 (au lieu d’une centaine actuellement) des 177 domaines. A partir de 2014, la majorité qualifiée est de 55 % des membres (soit 15 sur 27) et 65 % de la population européenne lorsque le Conseil statue sur proposition de la Commission (tue 9 C-4 / tce I-25-1), et de 72 % des membres (20 sur 27) et 65 % de la population dans les autres cas (tue 9 C-4 et tfue 205-2 / tce I-25-2). Mais trois États membres ne peuvent bloquer à eux seuls une décision, même s’ils réunissent plus de 35 % de la population (par exemple Allemagne, France et Italie) (tue 9 C-4 / tce I-25-1). Par rapport à la situation actuelle, ces nouveaux critères facilitent les accords dans le premier cas, mais les rendent plus difficiles hors proposition de la Commission. Ils renforcent donc le pouvoir de la Commission. La limite entre ces trois modes de décision est incroyablement complexe. Des domaines essentiels sont toujours traités à l’unanimité comme la révision des traités (tue 33 / tce IV-443 et 444), la fiscalité et les ressources de l’Union (tfue 269 / tce I-54-3), la plupart des aspects sociaux, une partie des aspects environnementaux (tfue 175 / tce III-234), la culture (tfue 188 C / tce III-315), la politique étrangère et la défense (tue 11-1 / tce I-40-6 et tue 27-4 / tce I-41-4). Les coopérations renforcées sont décidées à la majorité qualifiée de 55 % (tfue 280 D-1 / tce III-419-1).
Le mode de décision au sein du Conseil donne un poids électoral à chaque pays, et donc in fine à chaque Européen. Si l’Union était une démocratie, chaque Européen aurait le même pouvoir que chacun des habitants des autres pays. On peut montrer qu’il n’en est rien : ni le traité de Nice ni les projets de traités ne sont équitables car tous deux favorisent les habitants des tout petits pays. Le traité de Nice défavorise les plus gros pays, et en premier lieu l’Allemagne ; les projets de traités favorisent au contraire l’Allemagne.
Cependant en matière de commerce de services culturels et audiovisuels, le Conseil ne statue à l’unanimité que si « ces accords risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l’Union » (tfue 188 C-4-a / tce III-315-4-a). Il en est de même en matière de commerce des services sociaux, d’éducation et de santé, lorsqu’il y a risque « de perturber gravement l’organisation de ces services au niveau national et de porter atteinte à la responsabilité des États membres pour la fourniture de ces services » (tfue 188 C-4-b / tce III-315-4-b). Le droit de veto des États membres est donc fragilisé car se sera à l’État membre d’apporter la preuve qu’un projet porte atteinte à la diversité culturelle ou perturbera l’organisation de certains services. Ce sera à la Cour de justice d’apprécier si le droit de veto s’applique.
La Commission, gouvernement européen
Le Parlement élit le président de la Commission (tue 9 A-1 / tce I-20-1), mais seulement sur proposition du Conseil européen (les chefs d’État), qui tient compte des résultats des élections au Parlement européen (tue 9 D-8 / tce I-27-1). Les commissaires ne sont cependant pas choisis pour correspondre à la majorité parlementaire, mais « sont choisis en raison de leur compétence générale et de leur engagement européen et parmi des personnalités offrant toutes garanties d’indépendance » (tue 9 D-3 / tce I-26-4).
Le Parlement peut censurer et démettre l’ensemble de la Commission, mais seulement à la majorité des deux tiers (tfue 201 / tce III-340).
Le Conseil européen élit son président à la majorité qualifié de 72 % et pour un mandat de deux ans et demi, renouvelable une fois seulement (tue 9 B-5 / tce I-22-1). Il n’a pas le droit de vote au sein du Conseil européen (tfue 201bis-1 / tce I-25-4). Il représente l’Union à l’extérieur pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC, tue 9 B-6 / tce I-22-2), dont les lignes stratégiques sont élaborées par le Conseil. La Commission européenne élabore et exécute l’action extérieure définie par le Conseil : elle est donc l’exécutif en matière de politique étrangère et de sécurité commune (tue 9 C-6 / tce I-24-3).
La Commission européenne est composée dans un premier temps (tue 9 D-4 / tce I-26-5) d’un commissaire par État membre dont le mandat est de cinq ans. Chaque commissaire est proposé par son État, avec lequel il a donc une relation intime. Puis, à partir de novembre 2014, la Commission ne comprend plus que des représentants des deux tiers des États membres, les États membres étant traités sur un strict pied d’égalité (tue 9 D-5 / tce I-26-6). Le Conseil européen nomme le « haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et les affaires de sécurité », en accord avec le président de la Commission, et peut le démettre (tue 9 D-1 / tce I-28-1). Ce haut représentant est membre de la Commission et conduit la politique étrangère et de sécurité commune (tue 9vD-2) ; il a exactement les mêmes fonctions que le ministre des affaires étrangères prévu par le défunt TCE (tce I-28-2). La Commission mêle des pouvoirs législatifs (initiative des lois), exécutifs, et judiciaires (surveillance de l’application des lois) (tue 9 D-1 et 2 / tce I-26-1 et 2). La Commission européenne peut donc être considérée comme le gouvernement européen, même si ces membres ne sont pas choisis sur une base strictement politique et sont peu responsables devant le Parlement européen.
Des droits fondamentaux virtuels
Les projets de traités ont intégré la charte des droits fondamentaux (décl. 11 II-61 à 114 repris du tce), qui avait été signée par les États membres le 9 décembre 2000, mais après en avoir modifié les conditions d’application (substitution du mot « pouvoir » au mot « devoir » ici ou là, renvoi aux explications du Praesidium pour son interprétation…). Ces droits économiques et sociaux sont notamment le droit à la protection de la santé et de l’environnement, le droit à la sécurité sociale et à des conditions de travail justes et équitables. Cependant cette « charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies par les traités » (décl. 31). D’autres traités avaient précédemment reconnu les « droits sociaux fondamentaux, tels que ceux énoncés dans la Charte sociale européenne signée à Turin le 18 octobre 1961, et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989 » (tfue 136 / tce III-209).
Ces droits dit « fondamentaux » ne s’adressent pas aux citoyens mais aux institutions de l’Union et des États quand ils « mettent en œuvre » le droit de l’Union (décl. 11 II-111-1 repris du tce). Ces droits ne créent « aucune compétence et aucune tâche nouvelles pour l’Union » (décl. 11 II-111-2 repris du tce), si bien que n’auront aucune valeur juridique les éléments de cette charte, sauf s’ils entrent dans le cadre défini par les traités. Cette charte est ainsi fortement affaiblie. Les projets de traités stipulent que les droits fondamentaux restent subordonnés aux autres dispositions du projet (décl. 11 II-112-2 repris du tce), caractérisées, elles, par « la concurrence libre et non faussée » (cf. § 5). Des limitations peuvent y être apportées (décl. 11 II-112 repris du tce) et ces droits ne s’appliquent pas dans certains cas prévus dans les commentaires du praesidium (décl. 12 repris du tce).
Les principes fondamentaux « doivent être interprétés en harmonie avec les traditions constitutionnelles communes aux Etats membres » (décl. 11 II-112-4 repris du tce), « les législations et pratiques nationales doivent être pleinement prises en compte » (décl. 11 II-112-6 repris du tce) : ils ne prévaudront donc pas juridiquement sur les dispositions nationales moins favorables.
Le préambule de la Charte des droits fondamentaux (décl. 11, repris de la partie II du tce) stipule en outre que « la Charte sera interprétée [...] en prenant dûment en considération les explications [...] du praesidium de la Convention européenne » ; ces explications s’ajoutent aux traités, protocoles et déclarations et sont bien difficiles à trouver.
Le traité instaure-t-il une justice européenne des droits fondamentaux ?
Un droit n’est rien sans une juridiction pour le faire respecter. Or la Cour de justice de l’Union européenne n’aura pas pour compétence de garantir l’effectivité des droits fondamentaux. Elle ne pourra pas être saisie par des personnes qui voudraient invoquer directement le non respect de ces droits par les autorités nationales de leur État. Il résulte en effet de la combinaison des articles tue 9 F / tce I-29 et décl. 11 II-112-5 repris du tce que les recours individuels ou institutionnels ne seront possibles devant la Cour de justice que « pour les actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l’Union, et par des actes des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ».
Ces droits dits « fondamentaux » sont donc des pétitions de principe, des droits virtuels.
Des droits fondamentaux au rabais
Cette charte énonce « le droit de travailler » et « la liberté de chercher un emploi, de travailler, de s’établir et de fournir des services » (décl. 11 II-75 repris du tce), alors que la constitution française de 1958 en son article 5 qui reprend le préambule de la constitution de 1946 affirme que « chacun a le droit d’obtenir un emploi », tandis que la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 stipule que « toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage » (art. 23-1) ; les constitutions de huit autres États membres reconnaissent de la même manière le droit au travail.
Le plein emploi n’apparaît qu’une seule fois dans l’article tue 3-3 / tce I-3-3, qui présente un objectif de développement fondé sur « une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social ». Mais il n’en est plus question ensuite, même dans la section consacrée à la politique de l’emploi (tfue 125 à 130 / tce III-203 à 208). Figure en revanche « l’objectif consistant à atteindre un niveau d’emploi élevé » (tfue 127-2 / tce III-205-2). Cela signifie augmenter le taux d’emploi, c’est-à-dire le rapport entre le nombre de personnes ayant un emploi et celui de la population en âge de travailler. Parler du taux d’emploi permet de ne plus parler du taux de chômage. Et un taux d’emploi élevé peut tout à fait cohabiter avec de forts taux de chômage. Le mot « chômage » ne figure d’ailleurs même pas dans les 410 articles des projets de traités, alors que le taux de chômage dans l’Union est de 9 %. Le chômage n’entre manifestement pas dans les préoccupations de l’Union telle que dessinées par ces projets de traités.
D’autres acquis qui figurent dans les constitutions de douze États membres ont totalement disparu des projets de traités : droit à un revenu minimum, à une pension de retraite, aux allocations chômage, à un logement décent, droit à l’accès égal pour tous à la santé, l’éducation et plus largement aux services publics. L’Union européenne n’aurait aucune obligation à cet égard. La Constitution française affirme en revanche que la nation « garantit à tous la protection de la santé, la sécurité matérielle ». La charte n’énonce que « le droit d’accéder à un service gratuit de placement » (décl. 11 II-89 repris du tce) et non le droit à un revenu de remplacement, le « droit à une aide au logement » (décl. 11 II-94-3 repris du tce) et non pas le droit au logement... Écarté le principe d’un revenu minimum européen, par exemple calculé dans chaque État membre en fonction de son revenu moyen.
L’article tfue 9 / tce III-117 assure que l’Union « prend en compte », c’est-à-dire n’ignore pas, « les exigences liées [...] à la lutte contre l’exclusion sociale ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine », ainsi que celles liées « à la garantie d’une protection sociale adéquate », ce qui ne signifie rien. Tout cela n’engage pas à grand-chose. Le texte explicatif de la charte indique d’ailleurs que « la référence à des services sociaux [...] n’implique aucunement que de tels [...] services doivent être créés quand ils n’existent pas ». Le droit de grève n’a été retenu qu’étendu aux employeurs : « les travailleurs et les employeurs [...] ont le droit de [...] recourir, en cas de conflit d’intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la grève » (décl. 11 II-88 repris du tce). Les employeurs peuvent donc fermer une entreprise en cas de conflit social (lock out).
Il n’y a rien sur le droit des femmes à disposer de leur corps et notamment aucune référence à la liberté de la contraception et de l’avortement, ni à la protection contre les violences subies par les femmes. De même le droit de se marier et de fonder une famille est inclus (décl. 11 II-69 repris du tce), mais pas celui de divorcer.
Le projet de traité ignore ou contourne la laïcité par l’oubli de la référence à la laïcité ou à la séparation de l’État et des églises dans la définition des valeurs de l’Union (tue 2 / tce I-2), par l’obligation de maintenir un dialogue régulier avec les églises (tfue 15 / tce I-52-3), par « la liberté de manifester sa religion [...] individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites » (décl. 11 II-70-1 repris du tce), ce qui consacre la fin de la neutralité de la sphère publique.
Enfin l’Union n’adhère pas à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, mais à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 (tue 6-2 et 3 / tce I-9-2 et 3), qui ne garantit, elle, aucun droit collectif ou social.
Pour réaliser l’Europe sociale, il eut fallu :
– énoncer clairement un objectif de convergence vers le haut des conditions de vie et de travail dans tous les États membres,
– rendre possible des conventions collectives européennes sur les rémunérations,
– étendre la majorité qualifiée afin que des lois européennes de progrès social puissent être adoptées.
Au lieu de cela, force est de constater que :
– tout ce qui sert le marché et les profits pourra être renforcé par une loi européenne décidée à la majorité qualifiée,
– ce qui est considéré comme une entrave au marché est certes évoqué, mais rendu impossible par l’obligation du vote à l’unanimité et la possibilité de veto d’un seul État membre.
Les services publics soumis à la concurrence, comme aujourd’hui
Le principe de « service public », auxquels tous ont accès et dont les coûts sont mutualisés, n’est admis ni comme valeur (tue 2 / tce I-2), ni comme objectif (tue 3 / tce I-3) de l’Union, contrairement aux traités actuels qui depuis Amsterdam incluent les services publics dans les valeurs communes de l’Union (art. 16).
La notion de service public ne fait plus partie du vocabulaire européen : l’expression est totalement absente des projets de traités, si ce n’est, une seule et unique fois, et en tant que « servitude » concernant les transports (tfue 73 / tce III-238). Les services d’intérêt général non marchands, ou services non économiques d’intérêt général, c’est-à-dire qui ne sont pas directement payés par l’usager, comme l’éducation nationale, les services sociaux, les services de santé, les services culturels, figurent dans le protocole 9-2. C’est la première fois qu’un texte de portée équivalente aux traités porte sur ces services publics non marchands : « Les dispositions des traités ne portent en aucune manière atteinte à la compétence des Etats membres relative à la fourniture, à la mise en service et à l’organisation de services non économiques d’intérêt général ». Cet article semble donc protéger les services d’intérêt général non marchands des règles de la concurrence. Le problème vient de la définition des « services non économiques » qui n’est pas présente dans le texte des traités.
Un arrêt de la Cour de justice (C-180-184/98) indique que « constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens et des services sur un marché donné ». Tout peut donc être considéré comme une activité économique s’il y a marché. Et de fait, dans un rapport sur les services d’intérêt général, fait à l’occasion du Conseil européen de Laeken à la fin de l’année 2001, la Commission indique qu’il n’est « pas possible d’établir a priori une liste définitive de tous les services d’intérêt général devant être considérés comme non économiques ». Elle indique d’autre part que « la gamme de services pouvant être proposés sur un marché dépend des mutations technologiques, économiques et sociétales ». Il suffit que des entreprises investissent un service jusque là non économique, créant ainsi un marché, pour que l’activité devienne économique. L’article 2 du protocole 9 risque fort, dans ce cadre, de rester sans aucune portée pratique.
Ces services sont par contre sous la coupe de l’Accord général sur le commerce des services de L’Organisation mondiale du commerce (AGCS - OMC), aux objectifs de laquelle les projets de traité adhèrent (tue 10 A-2-2 / tce III-292-2-e, tfue 188 B / tce III-314).
Sont introduits des « services d’intérêt économique général », qui ne sont définis nulle part dans les projets de traité. Il faut consulter un « livre blanc » de la Commission pour apprendre que ce sont des services publics
marchands - que l’usager paie directement comme l’eau, les transports publics, l’énergie – et que les États membres soumettent à des obligations de service public en vertu d’un critère d’intérêt général. Les projets de traités reconnaissent l’accès à ces « services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales » (décl. 11 II-96 repris du tce), ce qui ne fait que poser « le principe du respect par l’Union de l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les dispositions nationales, dès lors que ces dispositions sont compatibles avec le droit de l’Union » (décl. 12 II-96 / tce décl. 12 - art. 36). Le projet reconnaît aussi la place qu’ils occupent « parmi les valeurs communes de l’Union » (tfue 14 / tce III-122), mais ce dernier article reprend l’article 16 du traité de Nice, le traité de Rome comportant déjà un article pour ces services. Il renvoie à un acte législatif européen - règlement, directive ou décision (dont seule la Commission européenne a l’initiative) - pour donner à ces services d’intérêt économique général leur traduction concrète, et leur permettre d’exister, ce qui pourrait clarifier la pratique communautaire. Mais ces traités ne rendraient un tel acte législatif ni plus ni moins obligatoire que le traité en vigueur.
Les entreprises chargées de la gestion de ces services sont « soumises aux règles de la concurrence dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de [leur] mission » (tfue 86-2 / tce III-166-2). Cet article tfue 86 / tce 166 est la reprise quasi in extenso de l’article 86 du traité actuel et de l’article 90 du traité de Rome. Il n’apporte donc rien de nouveau. Comme dans le traité instituant la Communauté européenne, c’est par dérogation et sous réserve de conditions strictes qu’un État peut accorder une aide à une telle entreprise ; la libre circulation et la liberté d’établissement des services sont des libertés fondamentales de l’Union (tfue / tce I-4) qui s’opposent donc à tout monopole d’un service public.
Les projets de traités expriment donc la soumission des services publics au principe de concurrence dans les mêmes termes que les traités en vigueur, sans permettre une législation spécifique et non dérogatoire sur les services publics. Or cette ouverture des services publics à la compétition les pousse à se comporter comme des entreprises privées, avant d’être démantelés.
Ces services sont de la compétence des États (décl. 11 II-96 repris du tce et tfue 14 / tce III-122), leur instauration à l’échelle européenne n’étant prévue nulle part.
Enfin nulle part n’est affirmé le droit à l’usage de biens communs à l’ensemble de l’humanité (eau, culture, énergie...).
Pas d’initiative citoyenne, pas de défense collective, peu de coopérations renforcées
Le projet reconnaît un droit d’initiative citoyenne (tue 8 B-4 / tce I-47-4), mais il est soumis au bon vouloir de la Commission, qui est seulement « invitée » à soumettre une proposition et n’a donc aucune obligation d’examiner ni de prendre en compte l’initiative et les propositions formulées par un minimum d’un million de citoyens « aux fins de l’application des traités », tout projet de modification des traités étant donc exclu. La Commission n’est même pas tenue d’expliquer sa décision aux citoyens. Le droit de pétition était déjà reconnu par le traité de Nice (art. 194) comme par les constitutions de tous les États membres.
Les projets de traité stipulent également que « les institutions de l’Union européenne entretiennent un dialogue [...] avec les associations représentatives et la société civile » (tue 8 B-2 / tce I-47-2 et 3). Mais rien n’est dit sur les critères retenus pour accorder à telle ou telle association un caractère « représentatif », ce qui peut ouvrir la porte à la reconnaissance institutionnelle et officielle de la pratique des lobbies (courante actuellement auprès de la Commission), souvent ouvertement liés à des intérêts privés.
L’objectif de la politique de sécurité et de défense commune est de permettre aux États membres de s’associer pour effectuer des « missions en dehors de l’Union » (tue 27-1 / tce I-41-1). Cette politique n’a donc pas pour objectif d’assurer la défense collective de l’Union proprement dite, mais seulement de favoriser les interventions communes sur des théâtres extérieurs, tant que le Conseil européen n’en aura pas décidé autrement à l’unanimité (tue 27-2 / tce I-41-2). Des États membres peuvent initier une « coopération structurée permanente » en matière militaire (tue 27-6 / tce I-41-6). Une telle coopération doit être adoptée à la majorité qualifiée par le Conseil (tue 31-2 / tce III-312-2). Les décisions propres à cette coopération sont prises à l’unanimité des États membres participants (tue 31-6 / tce III-312-6).
Les coopérations renforcées entre pays souhaitant une intégration plus poussée dans certains domaines nécessitent « qu’au moins neuf États membres y participent » (tue 10-2) - au lieu de huit avec le traité actuel - ce qui correspondait au tiers des États membres prévu dans le défunt TCE (tce I-44-2). Les six pays fondateurs de l’Union n’y suffiraient pas par exemple. De très nombreux domaines en sont exclus et notamment ceux de compétence exclusive de l’Union, ce qui exclut par exemple toutes les questions ayant une incidence sur la libre concurrence ou la politique monétaire (tfue 280 A et D / tce III-416 et 419). Ainsi un groupe de pays ne pourrait instaurer aucune réglementation ou taxe à finalité écologique, car cela provoquerait des distorsions de concurrence au sein de l’Union. Toute coopération renforcée (hors politique étrangère et de sécurité) exige l’accord de la Commission, l’accord d’au moins 55 % des États membres au sein du Conseil (soit actuellement un minimum de 15 pays) et l’accord du Parlement (tfue 280 D-1 / tce III-419-1). Les coopérations renforcées dans le domaine de la politique étrangère ou de sécurité exigent le seul accord unanime du Conseil (tfue 280 D-2 / tce III-419-2). Il n’est donc pas question qu’un nombre limité d’États membres mènent une politique ne correspondant pas aux canons de l’ensemble des États.
4. Un projet pour une démocratie ?
Le peuple souverain ?
Un des acquis fondamentaux de l’histoire contemporaine de l’État démocratique est que le pouvoir de définir les conditions dans lesquelles le peuple délègue l’exercice de son pouvoir lui appartient et à lui seul. C’est ce qu’on appelle le pouvoir constituant. Les Américains inventèrent dès 1776 le principe de la convention constituante, la révolution française poursuivit ce chemin dès 1789. La méthode fut reprise en 1848, en 1945 et 1946. Cette procédure n’est pas réservée à la tradition française, elle s’est imposée partout, jusqu’aux plus récentes démocraties européennes, comme en Italie en 1947, en Grèce en 1975, en Espagne en 1978, en Pologne en 1997. Cette procédure tient tout entière au principe de publicité. Le travail constituant est soumis à la contrainte de l’échange argumenté, contradictoire et public entre mandataires du pouvoir constituant originaire.
Les projets de traités ont été élaborés lors du Conseil européen des 21 et 22 juin 2007, mis en forme par la présidence portugaise et adoptés par la Conférence intergouvernementale du 23 juillet 2007. Ces instances ont reproduit les pires moments de la construction européenne en offrant le spectacle d’une négociation à huis clos dont, une fois de plus, les termes échappaient aux citoyens de l’Union. L’insistance mise sur de prétendues modifications importantes et de soi-disant simplifications ne peut cacher que ces projets sont une copie en tout point conforme du projet de constitution rejeté par les Français et les Hollandais. Non seulement les citoyens ont été soigneusement mis à l’écart des discussions et des négociations, mais leur volonté clairement exprimée est niée.
La Conférence intergouvernementale européenne prévoit de terminer ses travaux le 19 octobre 2007. En à peine plus de deux mois, tout serait bouclé. La rapidité avec laquelle cette affaire est bâclée en dit long sur la conception de l’Europe et de la démocratie qui anime les dirigeants européens : négociation secrète entre Etats, absence de transparence sur le contenu des enjeux, refus du débat public.
Des traités non fondamentalement révisables
Une fois adoptés, ces traités pourront-ils être révisés si les citoyens européens en expriment majoritairement la volonté ? Les traités, établis « pour une durée illimitée » (tue 38 / tce IV-446), peuvent être révisés, en théorie. Seul le Conseil européen peut décider à la majorité simple qu’il convient d’examiner des propositions de modification, et convoquer une convention. Celle-ci adopte ensuite une position, par consensus uniquement. Le dernier mot revient aux gouvernements dont l’unanimité est nécessaire pour valider les modifications. À toutes ces étapes, il faut ajouter la ratification par l’ensemble des États membres (tue 33-1 / tce IV-443). Des procédures simplifiées existent (tue 33-2 et 3 / tce IV-444), notamment pour réviser la 3e partie du TFUE qui définit les politiques de l’Union (tue 33-2 / tce IV-445), mais l’unanimité des gouvernements et des États membres est toujours indispensable, mais pas l’accord de tous les parlements nationaux et du Parlement européen comme dans le défunt TCE (tce IV-444-3), car ces derniers ne sont que consultés (tue 33-2).
Cette unanimité était déjà nécessaire pour réviser les traités antérieurs. Des révisions ultérieures seront donc possibles. Cependant il suffit qu’un gouvernement ou un État membre sur les 27 mette son veto pour que toute révision du texte soit écartée. Il sera plus difficile d’obtenir l’unanimité à 27, et bientôt 30 États membres que lorsque l’Europe était composée de 12 ou 15 pays. L’absence de vision politique commune croît en effet mécaniquement avec l’extension du nombre et de l’hétérogénéité des États membres. Surtout il ne faut pas oublier que chacun des derniers traités contenait en son sein une clause fixant le rendez-vous suivant. C’est ainsi que le traité de Maastricht annonçait en son article N2 la convocation d’une conférence intergouvernementale en 1996. Or, on ne trouve rien de tel dans les projets de traités, qui s’apparentent en cela au traité de Rome, lequel n’a été révisé qu’au bout de 28 ans. Les révisions successives des traités n’ont enfin jamais été fondamentales, ne remettant pas en cause le mode de construction intergouvernemental et renforçant la primauté de la concurrence sur les exigences sociales ou environnementales.
Aussi est-il pratiquement exclu que les traités, une fois ratifiés, soient révisés fondamentalement, soit pour donner priorité aux aspects sociaux ou environnementaux, soit pour permettre la construction d’une Europe politique.
Il n’est en outre pas prévu que les citoyens européens aient leur mot à dire dans tout ce processus improbable.
Pour mémoire, rappelons que dans l’article 28 de la Déclaration des droits de l’homme de la République française de 1793, les fondateurs de la République avaient eu la sagesse et la modestie d’inscrire une disposition, qui fait défaut dans les projets de traités européens : « un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ».
Ces textes étant par nature une constitution, au sens d’un texte qui définit comment les politiques seront collectivement décidées par les seuls souverains en démocratie - les citoyens, il doit être révisable par les citoyens et par eux seuls. Avoir transformé une constitution en un traité intergouvernemental s’apparente à une supercherie qui permet, en jouant sur les mots, de s’affranchir des règles démocratiques en court-circuitant la souveraineté populaire.
Le peuple européen absent
Les constitutions française, allemande ou suisse par exemple écrivent respectivement que « le peuple français proclame » que le principe de la République est « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » (art. 2), que « le peuple allemand s’est donné la présente constitution » (préambule) et que « tout pouvoir émane du peuple » (art. 20-2), ou que « le peuple et les cantons suisses [...] arrêtent la constitution que voici » (préambule).
Rien de tel dans les projets de traités européens, où la souveraineté du peuple n’est nulle part mentionnée.
Certains citoyens sont « plus égaux que d’autres »
Si « l’Union respecte le principe d’égalité de ses citoyens » (tue 8 / tce I-45), leur droit à être également représentés au Parlement européen n’est pas respecté puisque « la représentation des citoyens est assurée de façon dégressivement proportionnelle, avec un seuil minimum de six membres par État membre », et que « aucun État membre ne se voit attribuer plus de 96 sièges » (tue 9 A-2 / tce I-20-2). Les 82,5 millions d’Allemands auront donc un député européen pour 860 000 habitants, tandis que les 453 000 Luxembourgeois auront un député pour 76 000 habitants, et les 394 000 Maltais un député pour 66 000 habitants : cela signifie qu’un citoyen de ce dernier pays pèse politiquement plus de treize fois plus qu’un citoyen allemand ou environ douze fois plus qu’un citoyen français. Par comparaison, la grande région électorale française Massif Central - Centre élira elle aussi six députés européens, mais avec une population de 4,5 millions d’habitants. L’Irlande ou la Finlande ont des populations équivalentes, mais éliront 13 à 14 députés. La Belgique, le Portugal, la République tchèque, la Grèce, et les grandes régions françaises du Sud-est ou de l’Île-de-France ont tous une population oscillant entre 10,4 et 11 millions d’habitants, mais les premiers éliront 24 députés, les derniers 13 à 14 seulement.
Ce vote inégalitaire peut amener une majorité parlementaire et à sa suite un président de la Commission européenne à être d’une opinion contraire à l’opinion majoritaire parmi les Européens.
Si le préambule du projet de traité sur l’Union européenne dit s’inspirer « des droits inviolables et inaliénables de la personne humaine » ainsi que de « l’égalité », le projet ne fait pas la moindre référence au droit de vote et d’éligibilité des résidents étrangers hors Union, pourtant en vigueur dans plusieurs États membres : certains humains sont « plus égaux que d’autres ».
Égalité des États membres : une construction intergouvernementale
Le texte prévoit que « l’Union respecte l’égalité des États membres » (tue 4-2 / tce I-5-1), ce qui se retrouve dans la composition de la Commission européenne et dans l’ordre de passage de leur ressortissant au sein de celle-ci (tue 9 D-5 / tce I-26), dans la composition du Conseil (tue 9 C-2 / tce I-23-2) et du Conseil européen (tue 9 B-2 / tce I-21-2), dans celle de la Cour de justice (tue 9 F-2 / tce I-29-2), de la Cour des comptes (tfue 246 / tce I-31-3), comme de divers comités (tfue / tce III-217 par exemple) où tous les pays ont le même nombre de ressortissants. Cela se retrouve également dans la composition du collectif des parlements nationaux veillant au principe de subsidiarité (art. 7 du protocole 2 repris du tce).
On pourrait justifier à la rigueur cette égalité d’États membres aux populations parfois si peu comparables pour une chambre des États (analogue à notre Sénat, au Bundesrat allemand, ou au Sénat des États-Unis). Mais est-il justifié qu’au sein de l’exécutif de l’Union qu’est la Commission, les commissaires issus des 7 États comptant seulement 2 % de la population soient plus nombreux que ceux issus des 6 États représentant les trois quarts de la population ? De toute évidence cette égalité des États n’est pas justifiable pour les institutions exécutives et judiciaires de l’Union, à moins de considérer que l’Union est essentiellement une construction intergouvernementale où les citoyens ne comptent pas.
L’égalité des États devant la loi européenne est à géométrie variable, le Royaume-Uni ayant obtenu par exemple une clause d’exemption le dispensant d’être concerné par la Charte des droits fondamentaux (prot. 7).
Par ailleurs les projets de traités prétendent dicter aux députés des éléments de leur ligne politique puisque « le Parlement européen [...] s’efforce de réaliser l’objectif de libre circulation des capitaux [...] dans la plus large mesure possible » (tfue 57-2 / tce III-157-2).
Un Parlement européen faible
Le Parlement européen reste écarté des décisions sur les recettes de l’Union, c’est-à-dire ne vote pas la partie recettes du budget de l’Union, ne vote pas l’impôt, est exclu de la fiscalité, dont le monopole appartient au Conseil après approbation à l’unanimité des États membres (tfue 269 / tce I-54-3). Les députés européens peuvent rejeter et même amender la seule partie dépenses du budget (tfue 272 / tce III-404).
Le Parlement reste écarté de la politique monétaire dont le monopole appartient à la Banque centrale européenne, totalement indépendante et donc hors d’atteinte de tout contrôle démocratique (tfue 108 / tce III-188).
Le Parlement n’est que consulté sur la politique étrangère et de sécurité qui reste du domaine exclusif du Conseil européen ou du Conseil des ministres unanimes (tue 13-1 / tce III-295 et tue 17 / tce III-300), tout comme la sécurité et la protection sociales (tfue 137-2 / tce III-210-3). Il est exclu de toute décision sur le marché intérieur et sur l’essentiel de la politique agricole.
Le Parlement est exclu de toute initiative législative, c’est-à-dire ne peut prendre l’initiative d’un acte législatif (directive ou autre), dont la Commission a le monopole (tue 9 D-2 / tce I-26-2), ce qui confère à celle-ci un pouvoir redoutable. Le Parlement européen pourrait seulement faire des propositions à la Commission qui est libre d’y donner suite ou non (tfue 192 / tce III-332), et doit motiver son refus. Le Parlement n’est donc guère mieux traité qu’un million de pétitionnaires...
Le Parlement peut censurer et donc démettre la Commission, mais seulement à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés (tue 9 D-6 / tce I-26-8, tfue 201 / tce III-340), ce qui signifie que la Commission peut gouverner tout en n’ayant le soutien que d’un tiers des députés élus.
Ni séparation, ni contrôle des pouvoirs
Tout pouvoir tendant naturellement, mécaniquement, à l’abus de pouvoir, il est essentiel, pour protéger les citoyens contre la tyrannie, de séparer les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, et d’organiser le contrôle des pouvoirs. C’est un principe essentiel de la démocratie connue depuis Montesquieu, sans doute la meilleure idée de toute l’histoire de l’Humanité : pas de confusion des pouvoirs, et pas de pouvoir sans contre-pouvoirs.
Ainsi le peuple dit : « Toi, tu fais les lois, mais tu ne les exécutes pas. Et toi, tu exécutes les lois, mais tu ne peux pas les écrire toi-même. » Ainsi, aucun pouvoir n’a, à lui seul, les moyens de devenir un tyran. « D’autre part, si l’un des pouvoirs estime que l’autre a un comportement inacceptable, il peut le révoquer : l’assemblée peut renverser le gouvernement, et le gouvernement peut dissoudre l’assemblée. Dans les deux cas, on en appelle alors à l’arbitrage (élection) du peuple qui doit rester la source unique de tous les pouvoirs. » C’est ça, la meilleure idée du monde, la source profonde de notre quiétude quotidienne.
Rappelons que la Commission mêle des pouvoirs législatifs (initiative des lois), exécutifs, et judiciaires (surveillance de l’application des lois) (tue 9 D-1 et 2 / tce I-26-1 et 2). Le Conseil est le seul organe qui vote toutes les lois (hors politique monétaire dépendant de la seule Banque centrale européenne), car le Parlement est exclu de 21 domaines parmi les plus importants sur 90. Or le Conseil n’est pas élu par les citoyens, mais est le représentant des exécutifs nationaux.
Les projets de traités laissent perdurer la dépendance des juges européens envers les exécutifs qui les nomment : « Les juges et les avocats généraux de la Cour de justice […] sont nommés d’un commun accord pour six ans par les gouvernements des États membres » (tfue 223 / tce I-29.2). Cette dépendance est extravagante. Elle est d’autant moins admissible que la Cour de justice européenne joue non seulement le rôle d’un tribunal qui juge du respect des lois, mais joue aussi le rôle d’une Cour constitutionnelle et est amenée à interpréter les traités eux-mêmes. Par exemple, en matière de commerce de services culturels et audiovisuels, de commerce des services sociaux, d’éducation et de santé, le Conseil ne statue à l’unanimité que si « ces accords risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l’Union » (tfue 188 C-4-a / tce III-315-4-a), ou respectivement s’il y a risque « de perturber gravement l’organisation de ces services au niveau national et de porter atteinte à la responsabilité des États membres pour la fourniture de ces services » (tfue 188 C-4-b / tce III-315-4-b) : ce sera à la Cour de justice d’apprécier si le droit de veto des Etats-membres s’applique ou non. De même comme on l’a vu, c’est la Cour de justice qui a défini ce qu’était une activité économique et donc à quels services s’applique la notion de service économique d’intérêt général.
Les projets de traités ne disent rien des médias, qui sont une composante indispensable de l’information des citoyens. Leur indépendance est une nécessité en démocratie, mais elle n’est pas prévue par les projets de traités.
De plus le Parlement ne peut renverser la Commission qu’à la majorité des deux tiers (tfue 201 / tce III-340). En cas de retournement d’alliance en cours de législature, si une partie des députés qui avaient élu le président de la Commission ne le soutiennent plus, mais sans arriver à une majorité des deux tiers, le Parlement refusera les projets de loi proposés par la Commission, mais ne pourra la renverser et élire un nouveau président. Aucun moyen n’a été prévu pour sortir d’une telle crise qui paralyserait les institutions européennes.
Enfin le gouvernement de l’Union ne peut dissoudre le Parlement et en appeler à l’arbitrage des citoyens. Ainsi dans le cas de figure ci-dessus, il serait impossible de provoquer de nouvelles élections législatives. Mais en outre, imaginons un tsunami politique lors de l’élection des députés européens, formant une majorité opposée à celle du Conseil. Le président de la Commission serait alors de la nouvelle couleur politique du Parlement, mais cette fois c’est le Conseil qui bloquerait toutes les lois. Les institutions seraient paralysées aussi longtemps que la majorité au sein du Conseil n’aurait basculé au gré des changements de majorité dans différents États.
Le Parlement, seule instance porteuse de la souveraineté populaire par le jeu du suffrage universel direct, est ainsi privé à la fois d’une grande partie de son pouvoir législatif et de son pouvoir de contrôle de l’exécutif, pendant que la confusion des pouvoirs la plus dangereuse est réalisée dans les mains d’un exécutif largement irresponsable, et qu’en cas de crise rien n’est prévu pour éviter la paralysie.
Les exécutifs nationaux et européen s’affranchissent ainsi du contrôle parlementaire : ces traités foulent aux pieds les principes fondateurs de la démocratie.
Une et une seule ligne politique, militaire, agricole, économique, monétaire
Le plus inacceptable car le plus anti-démocratique est le fait que les projets de traités, très difficilement modifiables comme on l’a vu, définissent sur plusieurs aspects une ligne politique, enlevant par là même aux citoyens de l’Union le droit et le pouvoir de choisir à tout moment la ligne politique commune.
Politique militaire
Ainsi le projet stipule que « la politique de l’Union » doit être « compatible avec la politique » arrêtée dans le cadre de l’OTAN (tue 27-2 / tce I-41-2), et que « au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations unies. […] Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’OTAN » (tue 27-7 / tce I-41-7). Les traités donneraient ainsi une reconnaissance quasi-constitutionnelle, en lui faisant allégeance, à l’OTAN. Cette reconnaissance très forte est totalement contraire au libre choix démocratique des Européens quant à leur politique commune de défense. De plus, c’est lier la politique de l’Union à celle d’une organisation qu’elle ne contrôle absolument pas, même si elle y participe ; c’est donner aux membres de l’OTAN et notamment aux États-Unis qui la contrôlent le droit de définir, au moins en partie, la politique européenne de défense.
Les projets de traités stipulent ensuite que « les États membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires » (tue 27-3 / tce I-41-3). C’est un appel clair, et un engagement des États, à une hausse continue des budgets de la défense ; c’est amputer clairement le droit de chaque nation à définir son budget militaire. Et ce doit être le seul endroit où le traité encourage les Etats à augmenter leurs dépenses publiques…
Politique agricole
Le deuxième domaine où le projet de constitution définit une ligne politique est la politique agricole commune (PAC). L’article tfue 33-1 / tce III-227-1 définit l’augmentation de la productivité de l’agriculture comme le premier but de la PAC, mais ne retient par exemple ni le maintien de l’emploi agricole, ni le respect de l’environnement, ni la souveraineté alimentaire comme des buts.
Politique économique
Le dernier domaine concerne les politiques économique, budgétaire, monétaire et commerciale qui sont définies et encadrées avec beaucoup de précision. Les traités, qui sont rappelons-le, une constitution par nature, définissent un système économique. La presse a fait grand cas de la disparition de la « concurrence libre et non faussée » des objectifs de l’Union (tue 3-2), par comparaison à l’article correspondant du projet de TCE (I-5-2) : on reviendrait ainsi à la formulation des anciens traités, qui laissent la concurrence à son rôle de moyen, certes prépondérant mais discutable par rapport aux objectifs. Cependant, le protocole 6, qui est un texte de portée équivalente aux traités, indique en se référant à ce même article tue 3 : « le marché intérieur tel qu’il est défini à l’article 3 du traité sur l’Union européenne comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée ». C’est ainsi que la concurrence non faussée se trouve réintroduite dans les objectifs de l’Union d’où elle semblait avoir disparu. Ce protocole indique qu’à cet effet, « l’Union prend, si nécessaire, des mesures dans le cadre des dispositions des traités », insistant ainsi sur le caractère opérationnel de cet objectif.
La solidarité, quant à elle, n’est ni une valeur, ni un objectif de l’Union. Elle n’est un objectif de l’Union qu’entre les générations, entre les États membres (tue 3-3 / tce I-3-3), et entre les peuples (tue 3-5 / tce I-3-4), et donc pas entre citoyens. Le préambule de la charte des droits fondamentaux classe sur un plan identique « la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux » (décl. 11 reprise de la partie II du tce). Cette exigence est le leitmotiv de tout le texte, le mot « marché » y figurant 63 fois, et le mot « concurrence » 25 fois (mais « progrès social » trois fois, « plein emploi » une fois et « chômage » jamais). On détaillera plus loin cette sacralisation de l’ultralibéralisme économique, auquel toutes les autres politiques sont subordonnées. La loi absolue du marché n’est plus une option à soumettre aux électeurs, mais un acquis, à ne pas discuter.
L’interdiction de toute entrave à la concurrence interdit d’aider certains acteurs nationaux et prive l’Union et les États membres de toute possibilité d’aider une entreprise, qu’elle soit en difficulté – avec des emplois à sauver – ou qu’elle présente un caractère industriel stratégique.
Le budget doit être équilibré (tfue 268-1 / tce I-53-2) et intégralement financé par les ressources propres de l’Union (tfue 269 / tce I-54-2). Les États membres doivent respecter des taux de déficit public et de dette publique par rapport au produit intérieur brut, ce qu’on appelle le pacte de stabilité (tfue 104 / tce III-184). Ces taux sont définis dans un protocole annexé. L’Union peut imposer à l’État qui ne respecte pas ce pacte des amendes. L’Union ne peut donc pas mener une politique budgétaire de soutien à l’activité (déficits interdits). Enfin l’indépendance de la Banque centrale européenne prive l’Union de toute politique monétaire. L’Union se priverait ainsi elle-même, et donc ses citoyens, des trois principaux leviers économiques qui permettent à tous les États du monde de gouverner.
Une politique monétaire sans contrôle des citoyens ou de leurs représentants
La monnaie de l’Union est l’euro (tue 3-4 / tce I-8), alors que 14 des 27 États membres ont une autre monnaie.
La politique monétaire de la zone euro est du ressort exclusif de la Banque centrale européenne, indépendante de tout contrôle des citoyens ou de leurs représentants, dont l’objectif principal est de maintenir la stabilité des prix (tfue 188 O-2 / tce I-30-2, tfue 245bis-2 / tce III-177, tfue 105 / tce III-185). C’est elle qui fixe les taux d’intérêt, contrairement à la Réserve fédérale américaine des États-Unis où les taux de change sont du ressort exclusif de la Maison Blanche qui peut obliger la Réserve fédérale à modifier ses taux d’intérêt. Ainsi les instruments traditionnels de la gestion macro-économique sont soit inexistants soit empêchés. De ce fait, les ajustements des économies nationales ne peuvent se faire que par des variations de prix et de coûts relatifs. D’où l’insistance sur la suppression des obstacles à la concurrence au risque de voir les inégalités se creuser davantage, les services publics et la protection sociale se réduire comme peau de chagrin. L’Europe se prive ainsi de tout moyen de réagir en cas de chocs externes.
La promotion de l’emploi et la formation ne font pas partie des missions de la Banque centrale européenne dont la mission est de rendre la zone euro attractive pour les investisseurs.
Modifier les attributions ou les missions de la Banque centrale exige une révision des traités et donc l’unanimité des 27 États membres (tue 33 / tce IV-443), y compris les pays qui n’ont pas l’euro comme monnaie. Un seul pays, non membre de la zone euro, serait donc en mesure d’interdire aux pays de la zone euro de changer de politique monétaire si ceux-ci le souhaitent unanimement !
Un projet contre la démocratie
Des projets de traités qui ont peu de légitimité pour ne pas s’être appuyés sur les citoyens mais plutôt contre eux, un projet très difficilement révisable, l’absence de référence au peuple européen seul souverain et seule source de légitimité, l’absence de séparation des pouvoirs, l’absence de contrôle parlementaire, la paralysie des institutions en cas de crise, la définition a priori de politiques militaire, agricole, économique, enfin l’absence totale de contrôle de la politique monétaire font de ces projets de traités des textes qui ne respectent pas les acquis fondamentaux de l’histoire des constructions démocratiques.
La démocratie n’est pas éternelle, elle est même extrêmement fragile. En la croyant invulnérable, nous sommes en train de la laisser perdre. Comme le disait P. Mendès-France à l’Assemblée Nationale en 1957, « l’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes : soit elle recourt à une dictature interne par la mise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit [elle recourt] à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car, au nom d’une saine économie, on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale..., finalement une politique, au sens le plus large du mot, nationale et internationale ».
5. « Une économie de marché ouverte où la concurrence est libre » jusqu’au délire
Les projets de traités font quelques appels louables à un vague « développement durable de l’Europe » (tue 3-3 / tce I-3-3), comme de la planète (tue 3-5 / tce I-3-4). L’Union « contribue [...] au commerce libre et équitable » (tue 3-5 / tce I-3-4), associant ainsi deux mots contradictoires. Le thème de l’économie de marché, ouverte, « hautement compétitive », où « la concurrence est libre et non faussée » infuse tout le projet et est répété à satiété. À cette aune, toute aide publique accordée à un secteur économique, tout service public, tout code du travail même, est une entrave à la « libre concurrence ».
Le projet instaure une politique économique des États membres conduite « conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre » (tfue 97ter-1 / tce III-177). Ce projet de traités européens organise concrètement la mise en œuvre d’un principe et d’un seul, celui de la concurrence libre et non faussée. C’est le seul principe pour lequel on précise que les politiques doivent, non pas le « prendre en compte », mais le « respecter ». Il est proposé que la concurrence, qui est souvent une réalité lointaine sur des marchés dominés par des monopoles privés, devienne la loi régissant les rapports sociaux entre les hommes et les rapports entre les États.
On a vu que la « libre circulation des capitaux » hante tout le projet de traités. « Les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites » (tfue 56 / tce III-156). Cependant, pour établir des mesures qui constitueraient « un recul dans le droit de l’Union en ce qui concerne la libéralisation des mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers », le Conseil statue à l’unanimité (tfue 57-3 / tce III-157-3), ce qui rend théoriquement possible mais hautement improbable toute taxe sur les transactions financières, type taxe Tobin. Ce type de taxe reste cependant strictement interdit entre les 13 pays de la zone Euro et les autres États membres. Par contre les États sont encouragés à intervenir (fait rare) pour aller plus loin dans la libéralisation (tfue 53 / tce III-148).
Ces traités partent de l’axiome que le meilleur moyen de réaliser l’accroissement du bien-être de la population est la concurrence. Il n’est pas une activité économique qui ne doive échapper à la concurrence libre, et à terme pas une activité humaine, puisque toute activité humaine est susceptible de faire l’objet de rapports économiques.
Ainsi, si on veut avoir une idée du délire libéral qui a atteint les rédacteurs de ce projet, on se reportera à l’article tfue 297 / tce III-131 qui indique que « en cas de trouble intérieur grave affectant l’ordre public, en cas de guerre ou [...] de menace de guerre », les États se consultent « pour éviter que le fonctionnement du marché intérieur ne soit affecté ». Aucune disposition n’est prévue pour assurer prioritairement le maintien de la paix, si nécessaire au détriment du marché intérieur.
Le projet, en sacralisant le principe de « concurrence libre et non faussée », revient sur la préférence communautaire, inscrite dans le traité de Rome pour l’agriculture et la pêche. Ces projets de traités calquent surtout la politique commerciale commune, c’est-à-dire vis-à-vis de l’extérieur, sur celle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à moins que ce ne soit l’inverse : « l’Union contribue [...] à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres » (tfue 188 B / tce III-314). Cela signifie que l’Union vise à prohiber toute forme de protection. Présenté dès l’article tue 3-5 / tce I-3-4 comme une « valeur » de l’Union dans ses rapports au « reste du monde », le commerce libre devient le credo unique de l’Union dans sa politique commerciale. Les coopérations renforcées entre États membres (pour aller plus loin au sein d’un groupe plus restreint de pays) ne sont possibles que si elles ne portent pas atteinte au marché intérieur, si elles ne constituent « ni une entrave, ni une discrimination aux échanges entre les États membres », et si elles ne provoquent pas « de distorsion de concurrence entre ceux-ci » (tfue 280 A / tce III-416).
La politique de recherche de l’Union n’a aucun objectif de création de connaissances, de maîtrise des évolutions de la société et des problèmes qui lui sont posés. Elle ne vise que « à favoriser le développement de la compétitivité » (tfue 163-1 / tce III-248-1), la multiplication des partenariats entre recherche privée et recherche publique (tfue 164-a / tce III-249-a), la stimulation de la mobilité des chercheurs (tfue 164-d / tce III-249-d). La recherche fondamentale est totalement ignorée.
L’harmonisation de la fiscalité des entreprises au sein de l’Union exige l’unanimité du Conseil des ministres (tfue 193 et 195 / tce III-171 et 173), ce qui la rend de fait impossible. Cela pousse à la concurrence fiscale entre pays, c’est-à-dire à terme à l’imposition zéro des entreprises. Par contre les projets de traités promeuvent « la mobilité géographique et professionnelle des travailleurs » ainsi que leur « adaptation aux mutations industrielles » (tfue 146 / tce III-219-1). De même les lois sur l’environnement exigent l’unanimité du Conseil (tfue 175-2 / tce III-234-2). L’emploi, le développement humain et social, l’environnement ne sont pas mentionnés dans les nombreux articles traitant de politique économique et monétaire.
La politique sociale est subordonnée à « la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union » (tfue 136 / tce III-209) et doit éviter « d’imposer des contraintes administratives, financières et juridiques » aux PME (tfue 137-2-b / tce III-210-2-b). On a vu que le préambule de la charte des droits fondamentaux (décl. 11) mentionnait « la libre circulation des services, des marchandises et des capitaux » (à quand une déclaration des droits de l’homme et des marchandises ?). Plus explicitement encore, dans le chapitre 3 du titre III intitulé « la libre circulation des personnes, des services et des capitaux », l’article tfue 49 / tce III-144 dit que « dans le cadre des dispositions visées ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation ». Les articles de ce chapitre (tfue 49 à 55 / tce III-144 à 150) sont identiques aux articles 49 à 55 de l’actuel traité de Nice.
Les travailleurs peuvent circuler librement sans discrimination en ce qui concerne « l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail » (tfue 39 / tce III-133). En revanche, dans cet article et ceux qui suivent, rien n’est dit sur la discrimination liée à la protection sociale des travailleurs. Le projet de traité affirme par ailleurs que l’Union Européenne s’en remet au marché pour « favoriser l’harmonisation des systèmes sociaux » (tfue 136 / tce III-209), que toute harmonisation sociale entre États membres est explicitement exclue (tfue 137-2-a / tce III-210-2-a), et que « les États membres se déclarent disposés à procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire en vertu des directives arrêtées [...]. La Commission adresse aux États membres intéressés des recommandations à cet effet » (tfue 53 / tce III-148).
Conclusion
Si ces projets de traités sont adoptés, l’Europe aurait ainsi réalisé en grande partie la vieille utopie des libéraux les plus radicaux : soustraire la décision économique au pouvoir du législateur, placer l’économie hors de portée de la responsabilité politique, soumettre toutes les politiques à l’exigence de la concurrence libre et non faussée, et finalement soustraire l’essentiel de la décision politique au pouvoir des citoyens, seuls dépositaires du pouvoir en démocratie.
Cependant les électeurs français et néerlandais ont très clairement refusé cette utopie en se prononçant contre le projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe. L’analyse article par article des projets de traités modifiés que nous avons menée démontre que le traité modificatif transfère la totalité de la constitution rejetée dans les traités actuels.
Lors d’un débat sur le nouveau Traité européen organisé au Parlement en amont de la conférence intergouvernementale du 23 juillet, Valéry Giscard d’Estaing avait salué le fait que l’accord politique actuel conservait les principaux éléments de la Constitution. Puis, s’exprimant devant la commission des Affaires constitutionnelles, le 17 juillet 2007, l’ancien président de la Convention a déclaré : « En termes de contenu, les propositions demeurent largement inchangées, elles sont justes présentées de façon différente », ajoutant : « La raison de ceci est que le nouveau texte ne devait pas trop ressembler au traité constitutionnel. Les gouvernements européens se sont ainsi mis d’accord sur des changements cosmétiques à la Constitution pour qu’elle soit plus facile à avaler ». Le député européen conservateur Timothy Kirkhope a ajouté : « Les commentaires tenus aujourd’hui par Valéry Giscard d’Estaing ne font que renforcer ce que tous les autres dirigeants européens pensent du nouveau Traité, à savoir que la Constitution est de retour ».
Les dirigeants européens et en particuliers les dirigeants français tentent ainsi de faire rentrer par la fenêtre le projet que nous avons chassé par la porte, en prétendant qu’il s’agit de tout autre chose.
Quel mépris ! Quelle arrogance !