Deux ans. Convoquée en 2022 en vue d’une mise en examen dans l’affaire du financement de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2017, la députée insoumise Sophia Chikirou a profité d’un sursis de deux ans, prétextant d’abord un problème d’agenda pour ne pas se rendre à sa convocation, puis d’un changement de juge d’instruction, ce qui a retardé l’examen du dossier.
Cette fois-ci, la parlementaire, figure centrale de La France insoumise (LFI), n’a pu éviter l’obstacle : elle a été mise en examen, mardi 24 septembre, pour escroquerie aggravée, abus de biens sociaux et recel d’abus de confiance dans ce dossier explosif pour le camp mélenchoniste, qui tétanise le parti.
Sophia Chikirou, à Paris, le 25 janvier 2017. © Photo Geoffroy Van Der Hasselt / AFP
À son arrivée dans le cabinet de la juge d’instruction, Sophia Chikirou a fait une déclaration liminaire avant de faire usage de son droit au silence, décidant ainsi de ne répondre à aucune question.
Dans cette procédure, plusieurs membres du premier cercle de Jean-Luc Mélenchon, comme sa trésorière historique Marie-Pierre Oprandi ou le député Bastien Lachaud, sont déjà mis en examen, ainsi qu’une association qui fut au cœur de la campagne, L’Ère du peuple, poursuivie en tant que personne morale. En droit français, toute personne mise en cause judiciairement bénéficie de la présomption d’innocence.
La justice reproche aux proches de Jean-Luc Mélenchon d’avoir déclaré à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) des prestations fictives ou d’en avoir surfacturé d’autres dans le but de se faire rembourser des sommes indues par l’État. Celles-ci pourraient dépasser le million d’euros, selon l’enquête ouverte au printemps 2018.
Depuis plusieurs années, les investigations se concentraient sur Sophia Chikirou, élue à l’Assemblée nationale en juin 2022, et sa société de communication Mediascop. Un rapport d’expertise de 173 pages, révélé par Mediapart, avait conclu que grâce à la campagne présidentielle de 2017, la société Mediascop avait vu sa rentabilité bondir, avec un taux d’excédent brut d’exploitation de 22 % (contre 12 % lors de la campagne de 2012). Cette rentabilité est considérée par les experts comme « supérieure » à celle des entreprises du secteur de même taille.
Pendant la campagne 2017, Mediascop a livré des prestations de communication d’un montant total de 1,161 million d’euros, justifiées par deux factures adressées à l’association de financement de la campagne de Jean-Luc Mélenchon.
Selon les données financières obtenues par les enquêteurs, la campagne présidentielle suivie des élections législatives a in fine permis à Sophia Chikirou de se verser à titre personnel, pour des prestations s’étalant de septembre 2016 à juin 2017, plus de 135 000 euros de salaires et dividendes avant impôts, dont elle a décidé seule du montant en tant que présidente et unique actionnaire de Mediascop.
Une situation qui tranche singulièrement avec le bénévolat de beaucoup d’acteurs et actrices de la campagne, la précarité de plusieurs autres prestataires (rémunérés sous le statut d’autoentrepreneurs) ou des propres employés de Mediascop, payés pour beaucoup au Smic par Sophia Chikirou.
Un conflit d’intérêts au cœur de la campagne
Sophia Chikirou cumulait les fonctions durant la campagne présidentielle de 2017, étant à la fois la directrice de la communication officielle dans l’organigramme du candidat insoumis et la patronne de l’entreprise qui a été rémunérée pour cette même communication.
Ce conflit d’intérêts avait été relevé dès septembre 2018 par les policiers de l’Office anticorruption de la police judiciaire qui écrivaient dans un procès-verbal au sujet de l’actuelle députée de Paris : « Elle se retrouve à la fois donneur d’ordres et prestataire des dépenses de communication de la campagne de Jean-Luc Mélenchon. »
Créée en 2011, Mediascop était à l’origine une société coopérative qui comprenait trois actionnaires, dont Sophia Chikirou. Cette dernière est devenue la seule patronne à bord avant la campagne présidentielle de 2017, quand le statut juridique de l’entreprise a été transformé en société par actions simplifiée unipersonnelle.
Les experts judiciaires mandatés par les juges d’instruction pour analyser les comptes de Mediascop constatent dans leur rapport que depuis que Sophia Chikirou pilote seule la société, la totalité de son chiffre d’affaires est liée à Jean-Luc Mélenchon et à La France insoumise.
En ce qui concerne la campagne présidentielle de 2017, Sophia Chikirou avait expliqué en octobre 2018 aux policiers, qui l’avaient entendue sous le statut de suspecte libre, que sa société avait été choisie par Jean-Luc Mélenchon au terme « d’une sélection qui a duré des années ». « Un candidat doit être entouré de personnes en qui il a 100 % confiance », avait-elle précisé.
Cette affaire avait été à l’origine d’une perquisition menée au début des investigations au siège de La France insoumise, provoquant la furia de Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier avait tenté fermement de s’y opposer avec sa célèbre réplique : « La République, c’est moi ! » Ce qui lui avait valu d’être condamné par la suite à trois mois de prison avec sursis et 8 000 euros d’amende pour rébellion et provocation.
Dans la foulée de la mise en examen de Sophia Chikirou, LFI a diffusé un communiqué dans lequel le parti mélenchoniste « dénonce une opération politico-judiciaire sans fin », ainsi qu’un « acharnement judiciaire et médiatique ».
Fabrice Arfi et Antton Rouget