Depuis le 15 août, date de l’annonce par la junte militaire birmane de l’augmentation des prix des carburants, la mobilisation se poursuit en Birmanie, et ce malgré l’arrestation des dirigeants de la « génération 88 », co-organisateurs d’une manifestation de protestation le 19 août dernier.
Effet de la mobilisation, la junte a demandé à certaines compagnies de bus de bien vouloir revoir leurs tarifs – qui avaient augmenté suite à l’accroissement des prix des carburants– à la baisse. Mais tout ne va pas pour le mieux, et la répression a de quoi inquiéter.
Le 25 août, de nouvelles manifestations ont encore eu lieu dans les villes de Mogok, Yae-nan-chaung et Taung-twin-gyi, 150 à 200 personnes ayant pris part à la manifestation de Mogok. Le groupe de manifestants s’est arrêté à une station-service pour remettre une lettre destinée au Ministère de l’Energie demandant la réduction des prix des carburants. Les autorités locales, ayant pris la lettre, ont demandé aux manifestants de dissoudre la manifestation.
Le 26 août, à Rangoun, la police et l’USDA (fausse émanation de la société civile contrôlée par la junte militaire) arrêtaient les voitures et inspectaient les bus, les voies ferrées et les terminaux des ferry espérant y trouver Htay Kiwe, dirigeant de la « génération 88 » qui n’avait pas été arrêté le 21 août, à l’instar des autres dirigeants. Son portrait a été affiché en de nombreux endroits de la ville.
Au moins 65 personnes ont été arrêtés la semaine passée. Min Ko Naing et les autres dirigeants de la « génération 88 » sont aujourd’hui détenus à Insein, prison birmane à la réputation la plus sinistre. Min Ko Naing, avant d’être relâché en novembre 2004, avait passé 15 ans en prison pour son rôle dans les manifestations pour la démocratie de 1988. Ayant repris ses activités politiques, il a connu depuis quatre mois de détention supplémentaire. Il est à craindre que le régime ne condamne les anciens leaders étudiants à vingt ans de réclusion.
Huit manifestants arrêtés mercredi auraient en revanche été relâchés selon Nyan Win, porte-parole de la Ligue Nationale pour la Démocratie, parti du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, toujours assignée à résidence par le régime.
L’Union européenne (UE), dans un bref communiqué, a condamné la détention d’individus qui ne faisaient qu’exercer leurs droits de manifester pacifiquement, et demandé leur libération immédiate. Au-delà, quelle sera la stratégie de l’Union vis-à-vis des événements actuels ? L’UE avait évoqué il y a quelques années l’éventualité d’accentuer la pression sur le régime birman si celui-ci s’abstenait toujours d’entreprendre des réformes - et relâcher au contraire la pression sur le régime si des réformes étaient entreprises. La junte militaire a maintes et maintes fois démontré son absence complète de volonté d’entreprendre ces réformes. Il est donc plus que nécessaire que la communauté internationale dans son ensemble se saisisse dorénavant plus énergiquement du problème birman. L’Union européenne, face à la montée de la répression, devrait envisager de renforcer sa position commune vis-à-vis de la Birmanie. La prochaine réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE se tiendra au Portugal les 7 et 8 septembre prochains. Il est souhaitable qu’une discussion autour d’un renforcement de la position commune sur la Birmanie soit à l’ordre du jour.
Rappel : l’Union européenne et la Birmanie
Les membres de l’Union Européenne se sont engagés pour une position commune concernant la Birmanie. En théorie, cette politique pourrait être très efficace, l’ensemble des 27 Etats membres travaillant ensemble pour soutenir tout progrès substantiel sur la voie de la réconciliation nationale et en matière de démocratie et de droits de l’homme en Birmanie. En pratique, les Etats ne se sont accordés que sur le plus petit dénominateur commun, d’où une position faible et inefficace, inapte à produire des effets sur le régime birman. Comme les 27 membres doivent être unanimement d’accord sur la mise en place de sanctions ou sur tout autre sujet, le seul « non » d’un Etat membre peut tout bloquer, et faire qu’ ensuite rien ne se passe.
L’UE est divisée sur la manière d’aborder le cas birman. Un petit nombre d’Etats – la Grande-Bretagne, la République Tchèque, les Pays-Bas, l’Irlande et le Danemark, est favorable à un accroissement de la pression à différents degrés, tandis qu’un autre petit nombre de pays y est opposé. Parmi eux, certains souhaitent réduire les mesures prises par l’UE. Ce sont la France, l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne et la Pologne. L’opposition française s’explique par la présence de la compagnie pétrolière Total sur le territoire birman. La France, cependant, soutient les initiatives pour le vote au Conseil de Sécurité des Nations unies d’une résolution sur la Birmanie.
Les mesures européennes existantes actuellement contre la Birmanie sont :
- Un embargo sur les armements
Ceci est bien sûr bienvenu, à ceci près qu’il n’existe pas d’embargo mondial sur les armes à destination de la Birmanie, en conséquence de quoi la junte birmane peut se fournir en armements, ce qu’elle fait notamment auprès de la Russie et de la Chine.
- Une interdiction de toute aide non humanitaire
Egalement bienvenu. Cette mesure, néanmoins, n’a pas un sérieux impact sur le régime.
- La fin de privilèges commerciaux
Encore une fois aucun effet signifiant sur le régime birman.
- Une interdiction de visas pour les principaux officiels du régime et leurs familles
Autrement connu sous le nom « d’interdiction de shopping ». Des exceptions permettent aux officiels birmans d’être présents à des réunions internationales se tenant en Europe. Mais comme l’admet un diplomate anglais, ces derniers viennent rarement en Europe de toute façon.
– Un gel des fonds tenus en Europe par les personnes inscrites sur la liste d’interdiction de visas
Moins de 7000 euros sont gelés dans les 27 Etats membres, ce qui peut difficilement mettre le régime à genoux.
– Une interdiction limitée d’investissements
Cette mesure a été introduite en 2004 ; son objectif est d’assécher les sources de revenus de la junte dont la plus large partie est consacrée aux dépenses militaires. Les options possibles sont soit une interdiction totale de tout investissement, comme c’est le cas aux Etats-Unis, soit de viser certains secteurs stratégiques qui enrichissent la junte tels que le gaz, le pétrole ou le minerais. L’UE n’a choisi aucune de ces deux options. Les compagnies européennes ont interdiction d’investir dans un petit nombre d’entreprises publiques listées préalablement, qui représentent une part insignifiante du secteur économique birman et des exportations. Le bois de construction, le minerai, le gaz et le pétrole ne sont pas concernés. Cependant, les entreprises européennes ont interdiction d’investir dans le domaine des entreprises birmanes produisant du jus d’ananas ou encore dans les boutiques de vêtements. Sachant qu’il est déjà illégal d’investir dans une entreprise publique selon la loi birmane !
Dans le domaine politique, l’UE ne semble pas avoir une stratégie claire et élaborée dans la manière d’aborder la crise birmane. L’Europe a préféré se concentrer sur l’assistance humanitaire. Accroître l’aide à la Birmanie est une nécessité, mais l’UE a absolument besoin de travailler sur les deux fronts, et non pas seulement fournir une aide pour s’attaquer aux conséquences de la politique du régime militaire birman. Il est essentiel de développer par ailleurs une stratégie politique cohérente pour lutter contre la pauvreté, dont l’origine est la nature même du régime. De plus, la Commission européenne a réduit le volume de ses subventions en direction de projets visant à la promotion des droits de l’homme et de la démocratie en Birmanie. L’UE s’engage mollement pour soutenir les initiatives internationales visant à trouver une solution politique à la crise birmane, telle que les projets de résolution sur la Birmanie au Conseil de sécurité des Nations unies. En septembre 2005, les Etats-Unis ont annoncé souhaiter que le Conseil de sécurité s’empare de la situation en Birmanie. Avec le soutien de la France et du Royaume-uni, ils sont parvenus à persuader le Conseil de tenir une discussion informelle sur la Birmanie en décembre 2005, et les premières discussions informelles se sont tenues en septembre 2006. Suit en janvier 2007 un vote d’une proposition de résolution rejetée par la Russie et la Chine. Mais la Birmanie reste inscrite à l’ordre du jour du Conseil de sécurité qui peut toujours jouer un rôle clé pour une évolution de la situation dans ce pays. L’UE n’a pris aucune position sur la manière dont le Conseil devrait traiter la situation birmane, n’offrant aucun soutien à une résolution, et de fait les officiels de la Commission européenne ont agi contre l’initiative. Le silence de l’UE dans ce domaine est étrange, et peut être interprété comme un manque de soutien.
En résumé, l’UE, une des organisations politiques et économiques les plus puissantes au monde, a échoué à user de son influence dans un sens positif et efficace afin de promouvoir et soutenir la démocratie et les droits de l’homme en Birmanie.
Recommandations
Que devrait faire l’UE pour aider à la promotion de la paix et de la démocratie en Birmanie ?
1/ L’UE devrait appuyer les efforts visant à persuader les membres du Conseil de sécurité de l’ONU de voter une résolution sur la Birmanie, et la Commission européenne et les membres de l’UE devraient faire un plaidoyer actif pour une telle résolution.
2/ L’UE devrait accroître son niveau d’engagement avec les pays asiatiques, incluant la Chine, l’Inde et l’Asean, afin de les persuader d’augmenter leur pression sur la Birmanie en vue de réformes.
3/ L’UE, ayant préalablement accepté que l’interdiction totale d’investissements est un outil efficace pour mettre la pression sur le régime birman, devrait rendre cette interdiction effective par une interdiction de tout nouveau investissement en Birmanie.
4/ L’UE devrait financer davantage des projets de promotion des droits de l’homme et de la démocratie en Birmanie.
5/ L’UE devrait interdire toutes importations de produits clés provenant de Birmanie qui apportent au régime des revenus significatifs, tels que le bois et les pierres précieuses.
6/ L’UE devrait fournir une aide transfrontalière pour les déplacés de l’intérieur.
A court terme dans le cadre d’une prochaine révision de la position commune de l’UE,
1/ L’UE devrait montrer son attention aux problèmes birmans abordés par le Conseil de sécurité.
2/ L’UE devrait geler les avoirs du régime birman en Europe. En ce moment, les avoirs gelés ne concernent que les personnes inscrites sur la liste d’interdiction de visas.
3/ L’UE devrait augmenter son financement pour les projets visant à promouvoir la démocratie et les droits de l’homme en Birmanie. Les subventions ont été divisées par deux ces dernières années.
4/ L’UE devrait ajouter dans la liste des entreprises publiques que les compagnies européennes ne peuvent investir dans les entreprises birmanes de bois.
5/ L’UE devrait apporter un clair soutien aux résolutions de l’Assemblée générale des NU pour un dialogue tripartite en l’incluant dans sa position commune.
6/ Comme il n’y a pas actuellement un soutien suffisant des Etats membres à une interdiction légale et formelle d’investissements, l’UE devrait émettre une déclaration décourageant tout investissement.
7/ L’UE devrait aussi être plus active pour soutenir les mesures de l’OIT de présenter le cas de la Birmanie devant la Cour Internationale de Justice