Aysenur Eygi
Des manifestations hebdomadaires ont été organisées par des Palestiniens et des militant·e·s pacifistes à Beita au cours des trois dernières années, depuis qu’un « avant-poste » illégal y a été établi par des colons israéliens radicaux. Cet « avant-poste » a été « légalisé » par le gouvernement Netanyahou en juin 2024. Depuis 2011, au moins sept personnes ont été tuées par les IDF (Forces de défense israéliennes) lors de manifestations à l’extérieur du village.
Les manifestations hebdomadaires commencent traditionnellement par une prière. Vendredi 6 septembre, des soldats israéliens ont encerclé les manifestant·e·s alors qu’ils priaient et ont commencé à essayer de les repousser vers le village. Lorsque certains ont résisté, les Israéliens les ont aspergés de gaz lacrymogène et leur ont tiré dessus à balles réelles.
Environ une demi-heure plus tard, les choses se sont calmées. Il n’y avait plus d’affrontements. Les jeunes Palestiniens et les ressortissants étrangers se sont séparés. Aysenur Eygi [1] se tenait dans une oliveraie, discutant avec d’autres membres de l’ISM (International Solidarity Movement), lorsque le sniper israélien lui a tiré dessus sans raison apparente.
Jonathan Pollack, militant pacifiste israélien et correspondant du quotidien Haaretz, a été témoin de la fusillade :
« Nous étions dans la rue, c’était calme, il ne se passait rien. Des soldats sont montés sur le toit d’une maison et j’ai vu un soldat viser, puis j’ai entendu des coups de feu. Le premier coup de feu a touché quelque chose de métallique, puis la cuisse d’un jeune homme du village, et il y a eu un autre coup de feu. Ensuite, quelqu’un a appelé mon nom en anglais et m’a dit qu’il avait besoin d’aide. J’ai couru sur une quinzaine de mètres et je l’ai vue [Eygi] allongée sur le sol sous des oliviers, se vidant de son sang. Elle avait reçu une balle dans la tête. J’ai levé la tête et j’ai vu qu’il y avait une ligne de visée droite entre nous et les soldats… C’était calme. Rien ne justifiait le tir. Le coup a été tiré pour tuer. » [propos recueillis par Jack Khoury, Hagar Shezaf et Ben Samuels, et publiés dans Haaretz en date du 6 septembre 2024]
Aysenur Eygi était arrivée à Beita quelques jours auparavant avec un contingent de l’ISM dans le cadre d’une campagne de protection des agriculteurs palestiniens. Elle a été tuée peu après avoir participé à sa première manifestation dans le village
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Comme Rachel Corrie [membre de l’ISM, tuée le 16 mars 2003, dans la Bande de Gaza et ensevelie sous des amas poussés par un buldozer israélien à proximité duquel elle manifestait], Aysenur Eygi, qui a été assassinée par les IDFFDI dans une oliveraie alors qu’elle défendait les droits fonciers des agriculteurs palestiniens. Rachel avait été étudiante au Collège d’Etat Evergreen dans l’Etat de Washington. Aysenur avait suivi le cursus de l’University of Washington où elle avait obtenu son diplôme au printemps dernier.
L’un de ses professeurs, Aria Fani, a déclaré qu’Aysenur s’était rendue en Cisjordanie pour « protéger les agriculteurs palestiniens de la violence des colons. Je sais exactement ce qu’elle dirait en ce moment si elle était encore en vie. Elle dirait : “La seule raison pour laquelle je fais la une des journaux, c’est parce que j’ai la nationalité américaine.” Ce qui est malheureusement vrai. Nous sommes devenus insensibles à la mort d’un Palestinien. »
Lorsqu’elle a été abattue d’une balle dans la tête par un tireur d’élite israélien, Azysenur Eygi manifestait contre les colonies illégales et les saisies de terres en Cisjordanie, auxquelles les Etats-Unis disent pieusement s’opposer mais ne font rien pour y mettre fin. Elle n’était armée que de sa conscience – une chose que le gouvernement des Etats-Unis a depuis longtemps abandonné toute prétention de posséder.
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Au cours des dix derniers jours, deux Américains ont été tués d’une balle dans la tête dans les territoires occupés. Deux réactions distinctes de l’équipe Biden.
Joe Biden sur la mort de l’otage américain Hersh Goldberg-Polin [américain-israélien blessé et enlevé par le Hamas lors du massacre commis contre les participants du festival de musique de Re’im] a déclaré : « Je suis dévasté et indigné. Hersh faisait partie des innocents brutalement attaqués alors qu’ils assistaient à un festival de musique pour la paix en Israël le 7 octobre. Ne vous y trompez pas, les dirigeants du Hamas paieront pour ces crimes. Et nous continuerons à travailler 24 heures sur 24 pour obtenir un cessez-le-feu et la libération des otages restants. »
Le département d’Etat de Joe Biden sur la mort d’Azysenur Eygi : « Nous sommes au courant de la mort tragique d’une citoyenne américaine, Aysenur Eygi, aujourd’hui en Cisjordanie. Nous présentons nos plus sincères condoléances à sa famille et à ses proches. Nous rassemblons d’urgence davantage d’informations sur les circonstances de sa mort et nous en dirons plus dès que nous en saurons plus. Nous n’avons pas de priorité plus importante que la sécurité des citoyens américains. » [2]. […]
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Au cours des 11 derniers mois, au moins 652 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. Parmi eux, 146 Palestiniens ont été tués et 54 blessés lors de 55 frappes aériennes. En revanche, six Palestiniens ont été tués dans des frappes aériennes en 2023 (jusqu’en octobre) et aucun au cours des trois années précédentes. Parmi les Palestiniens tués depuis le 7 octobre, 634 l’ont été par les IDF, onze par des colons israéliens, et sept l’ont été par soit des colons soit des soldats des IDF sans que cela ait été certifié.
Entre le 7 octobre 2023 et le 2 septembre 2024, il y a eu au moins 1300 attaques de colons israéliens contre des Palestiniens, dont 120 ont fait des morts et des blessés. Environ 1 050 attaques de colons ont infligé des dommages à des biens palestiniens, et plus de 140 ont fait à la fois des victimes et des dégâts matériels [voir à ce propos l’article de Gideon Levy publié sur ce site en date du 7 septembre 2024].
Depuis le 7 octobre 2023, les autorités israéliennes ont détruit, démoli ou confisqué 1478 structures palestiniennes en Cisjordanie, entraînant le déplacement de plus de 3477 Palestiniens, dont environ 1485 enfants. Cela représente plus du double du nombre de déplacements pour les dix mois précédents. Les démolitions effectuées après le 7 octobre comprenaient plus de 500 habitations, plus de 300 structures agricoles, plus de 100 installations de distribution d’eau et d’assainissement, et 200 établissements commerciaux.
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Il y a maintenant au moins 196 « avant-postes » de colons israéliens non autorisés sur des terres palestiniennes en Cisjordanie et, selon l’ONG israélienne Peace Now, Israël a construit au moins 29 colonies juives illégales en Cisjordanie occupée depuis octobre dernier, un record.
Dans la nuit d’août 2024, les IDF ont lancé un raid militaire à grande échelle dans le nord de la Cisjordanie occupée, utilisant des chars, des drones, des frappes aériennes et des troupes au sol pour pénétrer dans Jénine, Tulkarem et Tubas, ce qui a entraîné des pertes massives de Palestiniens. Une grande partie des infrastructures publiques a été détruite ou endommagée par les bulldozers israéliens. Le raid israélien sur Jénine a laissé plus de 70% des rues de la ville rasées au bulldozer ; 20 kilomètres de réseaux d’eau et d’égouts, de communication et de câbles électriques ont été détruits. Pendant ce temps, les Israéliens ont coupé l’approvisionnement en eau de 80% de la ville.
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Au moins 30 Palestiniens ont été tués au cours des premiers jours de l’opération militaire appelée « Camp d’été » [lancée fin août-début septembre]par les Israéliens, dont dix par des frappes aériennes. Le 31 août, le Bureau des droits de l’homme des Nations unies dans les territoires palestiniens occupés a condamné l’utilisation par les forces israéliennes « d’une force illégale au cours d’opérations militarisées en Cisjordanie occupée et a appelé à la fin immédiate de l’attaque actuelle contre le camp de réfugiés de Jénine ».
Tôt lundi matin [2 septembre], les forces israéliennes ont perquisitionné le domicile d’Ayman Abed dans le village de Kafr Dan en Cisjordanie. Aymand Abed [âgé de 58 ans] a été placé en détention et mis dans une Jeep militaire. Quelques heures plus tard, le corps sans vie d’Abed a été ramené à la maison avec des signes indiquant qu’il avait été battu et torturé. « Nous pensons qu’ils l’ont torturé dans la Jeep militaire parce qu’il ne s’est pas écoulé beaucoup de temps avant qu’ils ne le renvoient sous les traits d’un cadavre », a déclaré Isra, la fille d’Abed, à Middle East Eye [en date du 2 septembre 2024, article de Lubna Masarwa] « J’ai vu son corps et il portait des traces de torture sur son nez, sur sa tête (chevelure) ses mains et d’autres parties. Il est évident qu’il a subi de graves tortures et qu’il a été battu. »
Un jeune Palestinien de 14 ans accompagnait son père à la mosquée du camp de Tulakarem, en Cisjordanie, lorsqu’un tireur d’élite israélien lui a tiré une balle dans le cou. Israël a tué au moins 70 enfants en Cisjordanie cette année (Defense for Children International, Palestine, 29 août 2024). Deux d’entre eux étaient des citoyens américains.
Selon Médecins sans frontières, les IDF ont entravé l’accès aux établissements de santé, bloqué la circulation et pris pour cible les ambulances à Jénine, retardant ainsi l’accès des Palestiniens aux soins en Cisjordanie.
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Orit Strock, ministre israélienne des Colonies et des Missions nationales [elle membre du parti religieux d’extrême-droite Mafdal-Religious Zionism], a appelé le gouvernement Netanyahou à déclarer l’état de guerre contre les Palestiniens en Cisjordanie occupée. Idit Silman, ministre israélienne de la Protection de l’environnement [depuis le 29 décembre 2022, membre du Likoud] : « Il ne s’agit pas seulement du corridor de Philadelphie [situé à la frontière de Gaza avec l’Egypte]. Nous sommes sur la voie de récupérer la terre… Faites-leur savoir à Jénine, à Naplouse, et partout – nous voulons récupérer notre terre, attaquer – et nous en hériterons. »
Dans son nouveau livre [voir l’article du 2 septembre de Jacob Kornbluh [3] sur site progressiste de Forward. Jewish. Independent. Nonprofit] l’ancien ambassadeur de Trump en Israël, David Friedman, propose de détourner un milliard de dollars de l’aide étatsunienne aux Palestiniens pour financer l’annexion de la Cisjordanie par Israël au cours d’une deuxième présidence Trump. Friedman écrit que l’annexion de la Cisjordanie est justifiée « d’abord et avant tout par les prophéties et les valeurs bibliques ».
Jeffrey St. Clair