RAS à LFI. En substance, c’est le message affiché par la direction de La France insoumise (LFI) depuis les élections législatives anticipées. Officiellement, le mouvement a traversé la double séquence électorale sans anicroche. Aux européennes, LFI a progressé de un million de voix par rapport à 2019 (9,8 % des suffrages exprimés). Aux législatives, son groupe à l’Assemblée nationale a réussi à rester le plus important à gauche – passant de 75 à 72 député·es.
Le parti peut également se féliciter d’avoir mis la main sur plusieurs postes clés du Palais-Bourbon, conservant in extremis la présidence de la prestigieuse commission des finances, obtenant deux vice-présidences, renforçant ainsi son poids au sein du très stratégique bureau de l’Assemblée nationale.
L’atmosphère des journées parlementaires de LFI, qui se tenaient les 9 et 10 septembre à l’Assemblée, était donc « excellente », affirme Manuel Bompard, coordinateur national du mouvement : « Les débats ont eu lieu sur un ton très positif », rapporte-t-il. En ouverture, lundi, Jean-Luc Mélenchon, coprésident de l’Institut La Boétie, y a fait le point sur la situation politique, fustigeant la responsabilité d’Emmanuel Macron dans le chaos actuel et insistant sur la volonté des Insoumis d’obtenir sa destitution.
Mathilde Panot et Jean-Luc Mélenchon, au centre, lors de l’université d’été de La France insoumise à Châteauneuf-sur-Isère, le 25 août 2024. © Photo Alain Robert / Sipa
La bataille contre l’extrême droite était bien sûr à l’ordre du jour de ces deux journées, le Rassemblement national (RN) ayant eu raison de plusieurs député·es LFI sortant·es. Enfin, la perspective de nouvelles élections législatives dès l’an prochain, voire d’une présidentielle anticipée, ont alimenté les discussions sur la remobilisation de l’électorat du Nouveau Front populaire (NFP).
Les « traces » des législatives
En apparence, LFI fait bloc, donc. De fait, depuis que cinq de ses figures – Clémentine Autain, François Ruffin, Alexis Corbière, Hendrik Davi et Danielle Simonnet – ont quitté avec pertes et fracas le groupe parlementaire pour aller siéger chez Les Écologistes, le mouvement n’est pas censé souffrir des affres de la contestation.
En sourdine pourtant, les divisions persistent, quand bien même elles s’expriment encore sous le couvert de l’anonymat. C’est ce qu’a notamment donné à voir l’épisode de l’élection de la présidente du groupe parlementaire à l’Assemblée, le 9 juillet. Alors qu’elle était la seule candidate déclarée, Mathilde Panot a demandé en préambule si aucun autre candidat ne se portait volontaire. Surprise, le député de Gironde Loïc Prud’homme a levé la main et demandé à la cheffe de file sortante des éclaircissements sur ce qu’elle pensait de la « purge » ayant eu lieu aux législatives.
Quelques minutes plus tard, sept Insoumis mettront un bulletin « Loïc Prud’homme » dans l’urne. Et quelques abstentions seront constatées. Du jamais-vu à LFI, où Mathilde Panot avait été réélue à l’unanimité en 2022.
Le député de Gironde avait été le seul, avec l’eurodéputée Leïla Chaibi, à dénoncer la non-investiture brutale des sortant·es Alexis Corbière, Hendrik Davi, Raquel Garrido, Frédéric Mathieu et Danielle Simonnet. Leur éviction avait suscité la stupeur de nombreux député·es, dont la boucle Telegram commune avait été brutalement supprimée. « La lumière s’est éteinte le jour des investitures, nous n’avions plus de moyens de discuter. Et quand elle s’est rallumée, il y avait cinq personnes à terre », témoignait alors un député, rapportant le « dégoût » provoqué par cette méthode.
L’épisode a laissé des traces, d’autant que plusieurs député·es qui ne cachent pas leur sympathie pour certain·es « purgé·es » sont encore membres du groupe LFI. Damien Maudet, élu dans la Haute-Vienne, était présent à la rentrée politique de François Ruffin, tout comme Leïla Chaibi. D’autres continuent d’entretenir des relations cordiales avec certaines personnalités évincées, comme Danielle Simonnet, une figure dirigeante du Parti de gauche (PG) à laquelle beaucoup étaient attachés. « On ne peut pas avoir passé autant de temps à militer ensemble sans que ça nous fasse quelque chose. Forcément, ça perturbe un groupe », témoigne aujourd’hui un député LFI.
Autre signe que la sortie des « frondeurs » du groupe parlementaire n’a pas tout à fait éteint la contestation : lors de la première réunion du groupe LFI à l’Assemblée en juillet, le député Matthias Tavel, directeur de la campagne de Manon Aubry aux élections européennes, a dit combien « tous ses camarades du précédent mandat lui manquaient », relate un participant. Joint par Mediapart, Matthias Tavel n’a pas donné suite à nos demandes.
Un mécontentement larvé que balaie Manuel Bompard : « Oui, [l’exclusion de certains députés du parti] a laissé des traces et des très bonnes. On n’est plus du tout dans des logiques d’ambitions personnelles », martèle-t-il. « La guerre de succession de Jean-Luc Mélenchon n’est plus l’enjeu principal des réunions », observe aussi le député Andy Kerbrat.
La stratégie au cœur des questionnements
De ce fait, Jean-Luc Mélenchon a le champ libre pour définir la ligne de LFI, ce qui n’est pas sans générer d’autres crispations. Une phrase du triple candidat à la présidentielle – enregistrée à son insu par « Quotidien » alors qu’il s’adressait à des militant·es dans la manifestation parisienne du 7 septembre – en donne une vision caricaturale : « Il faut mobiliser la jeunesse et les quartiers [populaires]. Là se trouve la masse des gens qui ont intérêt à une politique de gauche. Tout le reste, laissez tomber ! », a-t-il lancé, semblant exclure toute une partie de l’électorat, notamment vivant en zone rurale.
« C’est une phrase volée, tronquée, sortie de son contexte, évidemment qu’il y a des catégories populaires dans les villes moyennes et les campagnes ! », nuance Manuel Bompard.
Toujours est-il que la dernière partie de la phrase de Jean-Luc Mélenchon a provoqué des remous en interne. « C’est un non-dit, mais tout le monde l’a vu, tout le monde est mal à l’aise », confie un député. Au cours des journées parlementaires, plusieurs élu·es ont d’ailleurs insisté sur la nécessité d’aider les militant·es insoumis·es dans les zones rurales, en y investissant des moyens.
Une question d’autant plus brûlante qu’elle touche à un désaccord persistant au sein de LFI sur la lutte contre le RN. Alors que la direction du mouvement juge relativement inutile de chercher à récupérer des électeurs du parti de Marine Le Pen, du fait de la motivation raciste de leur vote, d’autres considèrent qu’il y a un enjeu à s’adresser à la composante « dégagiste » de cet électorat – les « fâchés pas fachos ». L’ancien député LFI Léo Walter, battu par le RN dans les Alpes-de-Haute-Provence, a défendu cette idée devant le groupe, soulignant, à rebours de la stratégie de mobilisation des abstentionnistes défendue par les huiles de la direction, que dans sa circonscription, le regain de participation avait surtout profité… au RN.
Plus généralement, la question de la crédibilité du parti à gouverner occupe également les discussions, quoi que mezzo voce, notamment l’attitude de ses représentant·es dans l’hémicycle. Plusieurs candidat·es aux législatives ont fait les frais de l’attitude et des propos de leur leader depuis le 7 octobre.
La question de l’image renvoyée par LFI se pose plus encore à l’heure où le parti jure qu’une destitution d’Emmanuel Macron est une hypothèse envisageable. « LFI doit adapter sa stratégie à la réalité électorale, qui est la probabilité d’une présidentielle anticipée. Cela passe par un discours qui ratisse plus large que celui qu’on a eu ces derniers mois », juge par exemple Aymeric Caron, qui avait critiqué ouvertement Rima Hassan après que l’eurodéputée avait remis en cause le caractère « terroriste » des attentats du 7 octobre en Israël.
« On aura beau mettre des costumes et des cravates, ça ne nous rendra pas plus fréquentables aux yeux de certains, mais il faut être dans une posture de personnes en capacité de gouverner et ce, par le travail produit », abonde son collègue LFI Bérenger Cernon, tombeur de Nicolas Dupont-Aignan aux législatives dans l’Essonne.
Arrondir les angles et adoucir le ton ? pour l’heure, LFI n’en est pas encore là. La semaine dernière, certain·es ont tiqué en entendant le député Aurélien Le Coq traiter Bruno Le Maire de « voleur » en pleine commission des finances. « Et alors ? », évacue Manuel Bompard, qui reconnaît néanmoins que la stratégie – plus ou moins conflictuelle – doit sans cesse s’adapter au moment politique et qu’il est bien difficile de qualifier la période inconnue qui s’ouvre.
Cette instabilité du temps politique est aussi la raison pour laquelle les critiques internes à LFI restent encore chuchotées. Le groupe socialiste à l’Assemblée nationale est sorti renforcé des législatives, au point qu’il suffirait de peu de défections pour qu’il dépasse celui de LFI. Plus largement, les Insoumis, même critiques, préfèrent rester fidèles au programme, pour ne pas donner de force à l’aile hollandiste renaissante au sein du groupe socialiste. D’autant qu’à la gauche du Parti socialiste, les initiatives de Clémentine Autain et de François Ruffin restent encore trop balbutiantes pour offrir un débouché immédiat.
Mathieu Dejean et Pauline Graulle