Définition
Le terme « génocide » est codifié par les Nations unies dans la Convention sur le génocide de 1948 et défini comme « des actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ».
Entre le 7 octobre et le 28 août, date de rédaction de cet article, au moins 40 435 Palestinien·es ont été assassiné·es par Israël. En prenant en compte les morts liées aux suites des blessures, aux épidémies et à la famine causées pas les exactions de l’armée israélienne à Gaza, ce chiffre pourrait être multiplié par 4, selon une étude du Lancet.
Mais un nombre élevé de morts ne constitue pas à lui seul une preuve de génocide. Les experts juridiques précisent que l’intention est un élément clé. Là aussi, les éléments ne manquent pas, à commencer par les déclarations du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu immédiatement après le massacre du 7 octobre, dans lesquelles il a qualifié Gaza de « ville du Mal ». : « Nous réduirons en ruines tous les endroits où le Hamas se déploie et se cache. Je déclare aux habitants de Gaza : sortez de là maintenant. Nous agirons partout et avec toute notre puissance ».
Pour Anisha Patel, chercheuse juridique au sein de l’association Law for Palestine, « Les intentions que nous avons observées sont nombreuses et proviennent de tous les secteurs de l’État israélien ». Son association, qui fournit des analyses juridiques sur le droit international en rapport avec les Palestiniens, affirmait en décembre 2023 avoir identifié plus de 400 cas « à tous les niveaux de l’élite israélienne » exprimant ce que l’organisation considère comme une preuve d’intention génocidaire.
Alors que la violence de l’armée israélienne continue de s’abattre sur les Palestinien·nes et que les déclarations déshumanisantes se suivent dans les discours des dirigeant·es israélien·nes, de plus en plus d’expert·es affirment qu’il s’agit bien d’un cas de génocide.
Chronologie non-exhaustive
Pour certain·es, il n’a pas fallu onze mois de bombardements et de blocage de l’aide humanitaire pour trouver le mot. Car comme le démontre Anisha Patel, l’intention était clairement formulée dès le début du mois d’octobre.
Dès le 13 octobre, peu après la déclaration du blocus total de Gaza par Yoav Galland « Pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant. Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence », et alors que le premier ordre israélien d’évacuation du nord de Gaza contraint plus d’un million de civils, dont la moitié sont des enfants, à se lancer dans une fuite frénétique au milieu de bombardements, le professeur agrégé d’études sur l’Holocauste et les génocides Raz Segal titre son analyse de la situation dans le média Jewish Current : « Un cas d’école de génocide ».
« Human Rights Watch a confirmé que les armes utilisées incluent des bombes au phosphore, qui mettent feu aux corps et aux immeubles, créant des flammes qui ne peuvent être éteintes au contact de l’eau. Cela illustre clairement ce que Gallant signifie par « agir en conséquence » : non pas cibler individuellement les militants du Hamas, comme le clame Israël, mais déchainer une violence meurtrière contre les Palestinien.ne.s de Gaza « en tant que tels », pour reprendre le langage de la Convention sur le génocide de l’ONU. », explique Raz Segal. « Je dis ça en tant qu’expert du génocide, qui a passé de nombreuses années à écrire à propos de la violence de masse d’Israël contre les Palestinien.ne.s. J’ai écrit sur le colonialisme de peuplement et la suprématie juive en Israël, la déformation de l’Holocauste pour renforcer l’industrie militaire israélienne, l’instrumentalisation d’accusations d’antisémitisme comme arme pour justifier la violence israélienne contre les Palestinien.ne.s, et le régime raciste d’apartheid Israélien. »
Le même jour, plusieurs organisations palestiniennes de défense de droits humains signent une tribune exhortant les États tiers à intervenir de toute urgence pour protéger le peuple palestinien contre le génocide : « Il est indiscutable qu’Israël impose délibérément au peuple palestinien des conditions de vie susceptibles d’entraîner sa destruction physique totale ou partielle. Il incombe désormais à la communauté internationale d’intervenir pour empêcher un génocide imminent. »
Fin octobre, le directeur du bureau des droits de l’homme à l’ONU signe sa lettre de démission, dans laquelle il affirme : « En tant que juriste spécialisé dans les droits de l’homme, avec plus de trente ans d’expérience dans ce domaine, je sais bien que le concept de génocide a souvent fait l’objet d’abus politiques. Mais le massacre actuel du peuple palestinien, ancré dans une idéologie coloniale ethno-nationaliste, dans le prolongement de décennies de persécution et de purge systématiques, entièrement fondées sur leur statut d’Arabes, et associé à des déclarations d’intention explicites de la part des dirigeants du gouvernement et de l’armée israéliens, ne laisse aucune place au doute ou au débat. »
Au fil des mois et alors que l’horreur se perpétue, les déclarations se poursuivent, dont nous proposons ici une chronologie non-exhaustive. Accompagnées d’exhortations à la communauté internationale, aux gouvernements, aux populations, de ne pas rester impuissant·es face au génocide.
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Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud dépose auprès de la Cour Internationale de Justice une requête affirmant que les actes et omissions d’Israël à l’égard des Palestiniens de Gaza depuis le 7 octobre 2023 revêtent un caractère génocidaire et qu’Israël viole ses obligations aux termes de la Convention de 1948 des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide. Les 11 et 12 janvier 2024, les audiences consacrées à la demande de l’Afrique du Sud se déroulent à La Haye. Le dossier de 84 pages accuse Israël d’actes et d’omissions à caractère génocidaire, car commis avec l’intention spécifique requise de détruire les Palestiniens à Gaza en tant que partie du groupe national, racial et ethnique palestinien au sens large.
Le verdict de la CIJ est rendu le 26 janvier 2024 : le tribunal conclut que la plainte de l’Afrique du Sud contre Israël pour violation de la convention sur le génocide est « plausible ». La Cour ordonne à Israël de prévenir et punir tous les actes qui relèvent de la convention sur le génocide.
De nombreuses organisations de défense des droits de l’homme et milant·es s’appuient sur cette décision pour légitimer leur propre usage du terme et exhorter la communauté internationale, les gouvernements, la société civile à réagir. Le 16 avril, un sondage révèle qu’un français sur trois estime qu’Israël commet un génocide à l’encontre des Palestiniens de Gaza.
Dans un court essai publié par le Guardian le 13 août 2024, Omer Bartov, historien de l’holocauste et spécialiste du génocide, raconte son récent séjour en Israël et la difficulté d’y exprimer sa conviction que l’armée israélienne perpétue un génocide. Dans son texte, puis dans une interview donnée au journaliste Owen Jones, il explique comment il en est venu à caractériser le génocide et les réticences auxquelles il a été confronté.
« Le 10 novembre 2023, j’ai écrit dans le New York Times : « En tant qu’historien du génocide, je pense qu’il n’y a aucune preuve qu’un génocide a lieu actuellement à Gaza. […] L’histoire nous apprend qu’il est crucial d’alerter sur les risques de génocide avant qu’ils ne se produisent, plutôt que de les condamner tardivement une fois qu’ils ont eu lieu. Je pense que nous avons encore le temps de le faire ». Je ne le crois plus. […] Au moins depuis l’attaque des FDI à Rafah le 6 mai 2024, il n’est plus possible de nier qu’Israël est engagé dans des crimes de guerre systématiques, des crimes contre l’humanité et des actions génocidaires. »
Après avoir détaillé les raisons sémantiques de cet usage du terme, il ajoute : « Je n’ai pu discuter de ces questions qu’avec une très petite poignée de militants, d’universitaires, d’experts en droit international et, ce qui n’est pas surprenant, de citoyens palestiniens d’Israël. Au-delà de ce cercle restreint, de telles déclarations sur l’illégalité des actions israéliennes à Gaza sont anathèmes en Israël. Même la grande majorité des manifestants contre le gouvernement, ceux qui appellent à un cessez-le-feu et à la libération des otages, ne les admettront pas. »
Car si le terme semble de plus en plus communément admis dans certains cercles, il n’en reste pas moins l’objet de vives critiques et attaques, et peu de dirigeant·es l’utilisent. Comment expliquer un tel fossé entre les expert·es en génocide, les organismes de défenses des droits humains et les militant·es d’une part, et les gouvernements occidentaux, qui peinent à reconnaitre qu’un génocide est en cours ?
Les corps de 111 Palestiniens tué·es lors de frappes israéliennes sur Gaza enterré·es dans une fosse commune au cimetière de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 22 novembre 2023. © MOHAMMED SABER
Censure des voix palestiniennes, répression des militant·es
Le 21 novembre dernier, l’Agence Média Palestine publiait une traduction d’un article de Rabea Eghbariah, avocat spécialisé dans les droits humains terminant ses études doctorales à la Harvard Law School, qui avait été censuré par la Harvard Law Review au cours d’une procédure inédite pour la revue. Il s’agissait du premier article écrit par un universitaire palestinien pour cette revue juridique, et le terme génocide, largement argumenté et documenté, y était employé pour définir les crimes d’Israël à Gaza.
« La discussion n’a pas porté sur les aspects techniques ou le fond de votre article », a écrit Tascha Shahriari-Parsa, éditrice, à Eghbariah. « La discussion a plutôt porté sur des préoccupations concernant les rédacteurs qui pourraient s’opposer à l’article ou être offensés par celui-ci, ainsi que sur la crainte que l’article ne provoque une réaction de la part de membres du public qui pourraient à leur tour harceler, dénoncer ou tenter d’intimider nos rédacteurs, notre personnel et la direction de HLR ».
Ces formes de censures, souvent appliquées dans des procédures exceptionnelles rocambolesques, ont été fréquemment observées depuis le 7 octobre 2023, alors que le blackout imposé par Israël à Gaza, ainsi que le ciblage de journalistes en exercice de leur fonction, rend déjà très difficile le relais de l’information.
Double standard des médias occidentaux
Si la société civile autant que la communauté internationale peine à prendre la mesure de ce qu’il se passe à Gaza, c’est aussi car les médias occidentaux participent à déshumaniser les Palestinien·nes et à invisibiliser leurs souffrances, affirmait Yara Hawari, codirectrice d’Al-Shabaka, lors du 2024 Annual Palestine Forum, organisé par l’Institute for Palestine Studies et l’Arab Center for Research and Policy Studies à Doha, au Qatar, en février 2024.
Outre la légèreté avec laquelle le groupe TF1 invitait le 30 mai dernier le premier ministre israélien à prendre la parole à une heure de grande écoute, on observe d’une manière générale dans les médias occidentaux que les sources israéliennes sont généralement acceptées comme « fiables », y compris lorsqu’elles ne fournissent aucune preuve. À l’inverse, les sources palestiniennes sont souvent citées au conditionnel ou traitées avec beaucoup de précaution.
L’emploi des mots est aussi vivement critiqué par les militant·es. Par exemple, les bombardements israéliens à Gaza seront rapportés comme des « explosions » dont personne n’est responsable, jusqu’à ce que l’armée israélienne en accepte ou en nie la responsabilité. », résumait le journaliste Daniel Boguslaw en janvier dernier. Depuis octobre, de nombreux activistes dénoncent par exemple qu’on parle de « mort·es » plutôt que de « tué·es » ou « assassiné·es », de « mineurs » plutôt que d’ « enfants », de « guerre » plutôt que de « génocide ».« Des milliers de personnes meurent et sont mutilées, submergées par un flot de violence qu’on ne pas peut qualifier de guerre, sauf par paresse », déclarait le journaliste Raffaele Oriani dans une lettre adressée à la direction de son journal, annonçant sa démission afin de dénoncer le traitement médiatique de la situation à Gaza.
Dans un texte publié sur le média Mondoweiss, le collectif Writers Against the War in Gaza (WAWG) dénonce ce double standard dans une analyse linguistique comparative des termes utilisés par le journal The New-York Times pour qualifier les affrontements en Ukraine et à Gaza. L’emploi des mots est un enjeu majeur ici, car il participe à la réception des informations que nous recevons, et à la désensibilisation devant des massacres qui se perpétuent en direct et au regard de tous·tes.
Pas qu’un mot
La bataille est plus que sémantique : si le mot est important, c’est aussi parce que l’article premier de la Convention de 1948 dispose que les États signataires ont l’obligation de tout mettre en œuvre pour prévenir les génocides.
Certain·es militant·es et universitaires ont critiqué le débat que soulevait ce terme, ou même les actions menées par l’Afrique du Sud pour faire reconnaitre le génocide à Gaza. Prouver la qualification de génocide prend du temps, et n’empêche pas les personnes d’être tuées. L’émotion que suscite le terme, et la vigueur des débats qu’il entraîne, détournerait l’attention des mesures urgentes à prendre.
Pour répondre à ces arguments, Raz Segal rappelle que le gouvernement américain a refusé de qualifier de génocide les crimes commis contre les Tutsis au Rwanda, car cela signifiait qu’il aurait dû envoyer du personnel pour intervenir. Les mots sont des idées, nous en avons besoin pour comprendre une situation et pour y réagir. « Si nous ne nous en tenons pas à la vérité, nous ne pourrons jamais faire un bilan honnête de la façon dont nous sommes arrivés au 7 octobre et de la façon dont nous allons aller de l’avant », déclare Segal. « Nous devons nommer les choses pour ce qu’elles sont. »
Agence Média Palestine