GUILLAUME SOUVANT / AFP. Olivier Faure, photographié lors de la rentrée du PS à Blois le 31 août (illustration)
POLITIQUE - Depuis plusieurs heures, la gauche, et singulièrement le Parti socialiste, est accusée d’avoir poussé Michel Barnier à Matignon. Leur faute ? Avoir refusé tout compromis, ne pas s’être rendu à toutes les convocations du Président de la République et surtout avoir lâché Bernard Cazeneuve en rase campagne. « Croyez-vous vraiment que c’est moi qui nomme le Premier ministre ? », s’est agacé ce vendredi 6 septembre le Premier secrétaire du PS Olivier Faure sur France Inter.
Avec des mots différents, il pose plusieurs fois la même question : « Où avez-vous vu que le PS avait le pouvoir de nommer ou de bloquer qui que ce soit ? Si nous en avions le pouvoir, c’est Lucie Castets qui serait actuellement à Matignon. » Puis, face à l’insistance de son interlocuteur : « Comme si la gauche avait pu choisir de renoncer au pouvoir pour préférer Michel Barnier… C’est une absurdité ».
En cause : le refus du PS de promettre un soutien sans condition à celui qui a quitté le parti à la rose et s’est positionné contre le Nouveau Front populaire, préférant affirmer que la censure serait déterminée en fonction du contenu politique, et non de la personne.
Intransigeance
L’offensive est pourtant tenace. Ouest-France, quotidien le plus lu du pays, titre même son éditorial : « La droite l’emporte grâce à la gauche ». Certains responsables se réclamant de la gauche sont également venus reprocher à leur famille politique d’avoir trop peu soutenu l’hypothèse Cazeneuve. Ainsi de Nicolas Mayer-Rossignol, le maire PS de Rouen et éternel opposant à Olivier Faure, qui estime que « la gauche a préféré se draper dans la posture de l’intransigeance stérile plutôt que de chercher les compromis utiles auxquels sa victoire sans majorité absolue l’obligeait. Irresponsable gâchis ». La sénatrice socialiste Marie-Pierre de La Gontrie, membre de l’aile droite du parti, s’emporte aussi : « À avoir récusé Cazeneuve, la gauche a Barnier. Bravo les gars ! » Quant au maire PS de Saint-Ouen Karim Bouamrane, il considère qu’après avoir demandé l’application de « 100 % » de son programme, la gauche se retrouve avec « 100 % de rien ». « Je suis en colère, dit-il. J’en veux à l’intransigeance d’une partie des responsables du NFP. »
Pourtant, comme le maintient la députée européenne et porte-parole du PS Chloé Ridel, « Emmanuel Macron n’a jamais eu l’intention de nommer Bernard Cazeneuve ». Pour une simple et bonne raison selon elle, étayée par plusieurs confidences de proches du Président : l’ancien ministre de François Hollande aurait mené une politique de gauche, impliquant de toucher à la réforme des retraites et de promouvoir une hausse des salaires. Ce à quoi Emmanuel Macron est vigoureusement opposé. Il a plusieurs fois expliqué qu’il ne voulait pas voir « détricotée » sa politique économique. « Dans toutes les discussions qu’il a eues avec le PS, Bernard Cazeneuve a rappelé que s’il y allait c’était pour mener une politique de gauche. A minima pour abroger la réforme des retraites, augmenter le SMIC, quelques marqueurs quoi. Et il a vite vu que c’était impossible », confie un cadre socialiste proche d’Olivier Faure au HuffPost.
« La faute à Macron »
De façon pas très intuitive par rapport à l’attente créée ces derniers jours, de nombreux socialistes se demandent d’ailleurs si la décision d’Emmanuel Macron de nommer une personnalité de droite à Matignon n’était pas prise depuis longtemps. L’entourage de Michel Barnier a ainsi révélé que le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler avait pris attache « dès le mois de juillet » avec l’ancien commissaire européen, avant un nouvel échange « début août ».
« L’opération Cazeneuve ne pouvait pas marcher. Tout ça c’est de la faute à Macron, tranche le député NFP Alexis Corbière. Il n’y a pas de gouvernement de gauche parce qu’Emmanuel Macron n’a pas voulu retenir un homme qui portait une politique de gauche. » Manière de clore le débat ? La députée européenne LFI Manon Aubry est sur la même ligne : « C’est hallucinant qu’on nous explique que c’est encore la faute de la gauche si un Président de droite a choisi un Premier ministre de droite radicale pour mener une politique de droite avec la bénédiction de l’extrême droite », regrette-t-elle sur X.
On rappellera par ailleurs que, lorsque le chef de l’État a reçu Bernard Cazeneuve à l’Élysée lundi 2 août, il avait déjà trouvé un accord avec le président du CESE, Thierry Beaudet, pour Matignon, avant de faire machine arrière. Ce qui laisse penser que le fondateur de La Convention n’était pas vraiment la priorité du Président de la République. D’ailleurs, Bernard Cazeneuve lui-même semble considérer que s’il n’a pas été nommé Premier ministre, c’est avant tout la faute d’Emmanuel Macron.
« Quand on organise une élection et que les résultats sont là, il vaut mieux se résoudre au résultat de l’élection, et laisser le gouvernement gouverner », a-t-il affirmé le 5 septembre face aux caméras lors d’un déplacement à Aix-en-Provence. Reste que pour le politologue Jérôme Jaffré, « c’est l’intransigeance de Bernard Cazeneuve dans sa visite chez Emmanuel Macron qui empêche la gauche d’accéder au pouvoir, car Cazeneuve a décidé qu’il fallait abroger la réforme des retraites ». Le raisonnement est implacable : si la gauche menait une politique de droite, peut-être aurait-elle eu une chance d’entrer à Matignon ?
Marceau Taburet